Bonnes feuilles

Non, les renards ne sont pas des «nuisibles»

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Bonnes feuilles. Ani­ma­teur des pod­casts «Baleine sous grav­il­lon» ou «Mécaniques du vivant», Marc Mortel­mans pub­lie le 19 avril 2024 aux édi­tions de l’Ate­lier un ouvrage pour en finir avec les idées reçues sur le vivant. Vert pub­lie en exclu­siv­ité plusieurs extraits. Aujourd’hui, l’idée reçue 56 : «Les renards sont des nuis­i­bles».

Chez l’humain, un ani­mal est «mignon», «ami pour la vie», «utile», «mange­able» ou «corvéable», «nuis­i­ble», «érad­i­ca­ble». Dans le pre­mier cas, l’animal donne la pap­at­te, dans le deux­ième cas, il finit en bar­quette au super­marché après une vie con­cen­tra­tionnaire et, dans le troisième cas, il est piége­able et chas­s­able toute l’année. En France, les renards font par­tie de la troisième caté­gorie.

Les goupils sont les meilleurs alliés bios des agriculteurs et agricultrices !

Pour­tant, les renards sont d’abord les alliés des agricul­tri­ces et agricul­teurs… et des milieux ! Démon­stra­tion.

Les tumuli (pluriel de tumu­lus) sont ces petits mon­tic­ules de terre que vous voyez par­fois dans les pâturages. À cer­tains endroits, des prairies entières sont défon­cées et génèrent de gros man­ques à gag­n­er, voire des pertes, pour les agricul­teurs et les éleveurs. Ces rav­ages sont le fait des cam­pag­nols ter­restres ou «rats taupiers». Leurs tumuli ressem­blent forte­ment aux taupinières, les tumuli des tau­pes, mais s’en dis­tinguent par leur entrée oblique (ver­ti­cale pour les tau­pes). Les cam­pag­nols creusent leurs galeries avec les dents. En chemin, ils grig­no­tent les col­lets et les racines des herbes des prairies mais aus­si des carottes, navets, céleri, poireaux, pommes de terre, blettes, ain­si que les racines des arbres fruitiers. Ils vivent deux ans, sont adultes à 1 mois et les femelles peu­vent avoir jusqu’à 6 portées de 4 à 5 petits par an. Ils se mul­ti­plient donc très vite. Les belettes, les putois, les her­mines et les rapaces diurnes (dont les milans roy­aux) et noc­turnes sont des pré­da­teurs naturels des cam­pag­nols ter­restres.

Et pour­tant, les plus effi­caces face à ce prob­lème restent ces bons vieux goupils et leur mulotage. Ils en chas­sent entre 2 000 à 6 000 par an. Ils sont beau­coup plus effi­caces et beau­coup moins dan­gereux que les poi­sons (comme la bro­ma­di­olone, un anti­co­ag­u­lant, aujourd’hui inter­dite, qui exter­mine aus­si ses pré­da­teurs) et que les pes­ti­cides, par ailleurs cat­a­strophiques pour le vivant et les milieux.

Les sci­en­tifiques ont mis en évi­dence le rôle essen­tiel des renards dans la régu­la­tion des rongeurs, et rel­a­tivisent forte­ment les torts que leur prê­tent encore cer­tains.

Gibier ou nuisible ?

Les chas­seurs et chas­seuses tuent chaque année 600 000 renards, soutenus en cela par des préfets. Les voitures et d’autres fac­teurs font grimper ce chiffre au mil­lion cer­taines années. Mal­gré cet acharne­ment, les pop­u­la­tions de renards sem­blent sta­bles en France: dès qu’un goupil est tué, il est vite rem­placé par un autre qui reprend le ter­ri­toire vacant. Comme les loups, ces pré­da­teurs se régu­lent eux-mêmes. Il est aus­si vain qu’inutile de vouloir faire du chiffre… Comme ailleurs, une fois la rage dis­parue les renards ont rétabli ses effec­tifs et colonisé les espaces urbains où sa den­sité est aujourd’hui plus élevée qu’à la cam­pagne.

En France, les renards peu­vent avoir deux statuts suiv­ant les départe­ments. Soit celui de «gibier», c’est-à-dire chas­s­able de sep­tem­bre à mars; soit celui de «nuis­i­ble». Depuis 2016, on utilise un par­avent séman­tique, ESOD, pour «espèce sus­cep­ti­ble d’occasionner des dégâts». Dans ce cas, les renards peu­vent être tirés de jour comme de nuit, mais aus­si piégés, enfumés, déter­rés ou enter­rés vivants avec leurs petits, douze mois sur douze.

L’échinococcose alvéolaire, un danger évitable

Pour jus­ti­fi­er les mas­sacres, les chas­seurs et chas­seuses ont invo­qué d’abord la rage, aujourd’hui éradiquée en France. Aujourd’hui, c’est le spec­tre de l’échinococcose alvéo­laire qui est agité. Autre­fois lim­itée à la Franche-Comté, cette zoonose provo­quée par un ver ténia (Echinococ­cus mul­ti­loc­u­laris) est désor­mais recen­sée dans toutes les régions de France, prin­ci­pale­ment dans l’Est.

À l’origine, des cam­pag­nols sont con­t­a­m­inés, puis infectent les renards qui les man­gent. Les crottes de ces renards con­ti­en­nent alors les œufs du ver. Le dan­ger pour l’humain vient des pro­duits ramassés au sol en forêt (champignons, baies, etc.) et qui ont pu être en con­tact avec ces excré­ments. Ces œufs con­t­a­mi­nent l’humain lorsqu’il met les mains à la bouche. Si le diag­nos­tic n’est pas fait à temps, la mal­adie s’aggrave et le décès est fréquent. Fac­teur aggra­vant : la mal­adie est très peu con­nue des médecins et sou­vent con­fon­due avec le can­cer du foie ou la cir­rhose. Il y a autour de 30 cas par an en France, en grande majorité dans l’Est.

Pour éviter les risques, il faut cueil­lir les fruits en hau­teur et ne jamais touch­er de renard, même mort, bien cuire les ali­ments comme les champignons ou les légumes du potager. Et peut-être oubli­er les frais­es des bois et les myr­tilles.

Quant à l’abattage, très mau­vaise idée! Il fait aug­menter la pro­por­tion de jeunes subadultes dans les pop­u­la­tions, lesquels sont con­nus pour se dis­pers­er loin afin de trou­ver un ter­ri­toire libre, propageant ain­si la mal­adie de plus en plus loin. Pour ne rien arranger, ces jeunes por­tent une charge en vers adultes pro­duc­teurs d’œufs plus impor­tante que leurs aînés.

Le dan­ger de l’échinococcose alvéo­laire est bien réel, et il faut faire preuve de vig­i­lance, c’est cer­tain. Mais ce que les détracteurs des renards oublient aus­si de dire, c’est qu’en mangeant des cam­pag­nols, les goupils agis­sent comme un repous­soir de la mal­adie de Lyme (bor­réliose), autrement plus prob­lé­ma­tique avec plus de 800 hos­pi­tal­i­sa­tions par an. En 2021, on estime que près de 47 000 cas ont été diag­nos­tiqués en médecine générale, soit une inci­dence de 71 cas pour 100 000 habitant·es en France, con­tre moins de 0,5 pour l’échinococcose alvéo­laire !

«En finir avec les idées reçues sur le monde vivant», Marc Mortel­mans, édi­tions de l’Atelier, 19 avril 2024, 344 pages, 13,50 €. Plus d’infos ici.

Pho­to d’illustration : Erik Mclean/Unsplash