«Notre manifestation envoie un message très fort», se réjouit Nathalie Hervé, membre du collectif fraîchement créé Stop pétrole Bassin d’Arcachon. Brassards, pancartes colorées et gouttes de pétrole sur le visage ; entre 1 200 personnes — selon la préfecture — et 3 000 — selon les organisations — se sont retrouvé·es en début d’après-midi, ce dimanche, sur la place de la Victoire, au cœur de Bordeaux pour s’opposer à la création de huit nouveaux puits de pétrole non-loin de là.
Au milieu des drapeaux de nombreuses associations, comme Greenpeace France ou Extinction Rebellion, de nombreux jeunes activistes internationaux prennent la parole au pied de l’obélisque. «Cette lutte peut devenir très symbolique, confie à Vert Camille Étienne. Des jeunes de toute l’Europe sont venus et cela attire une attention internationale pour dire cette phrase : ni ici, ni ailleurs ! On ne peut pas autoriser de nouveaux puits de pétrole, peu importe le pays.»
Le climatologue Christophe Cassou, qui s’exprimait «en tant que scientifique, mais aussi en tant que citoyen», rappelle que les actions d’aujourd’hui déterminent les niveaux de risques de demain. «Les émissions cumulées des infrastructures existantes nous font déjà dépasser les seuils de l’Accord de Paris, explique-t-il. S’il faut fermer les infrastructures existantes, il faut aussi bien sûr ne pas en ouvrir de nouvelles».
Dans le viseur des protestataires, qui se mettent en branle dans les rues de Bordeaux : le groupe canadien Vermilion Energy. Le premier producteur d’hydrocarbure dans l’Hexagone souhaite forer huit nouveaux puits de pétrole dans la forêt de la Teste-de-Buch, dans le bassin d’Arcachon. «Cette même forêt qui a vu 14 000 hectares [5 800 en réalité, selon l’Office national des forêts] de sa surface dévastée par les flammes en 2022», rappelle l’eurodéputée écologiste Marie Toussaint.
Pour se défendre, la société qui exploite déjà 50 puits dans le bassin d’Arcachon plaide que son pétrole sera «Made in France». Un argument qui ne passe pas du tout : «Je ne savais pas que le pétrole français avait moins d’impact que les autres, rit (jaune) Camille Étienne. Une demi tonne de CO2, peu importe où elle est produite, a des effets partout à travers le monde».
«Rien n’empêche» de continuer à extraire du pétrole
Au milieu des chants et des tambours, un nom revient souvent : celui du préfet de Gironde, Étienne Guyot. En Novembre, la commissaire-enquêtrice missionnée par le tribunal administratif de Bordeaux, Carole Ancla, a rendu un avis favorable au projet. Depuis, la décision finale d’autoriser — ou non — les nouveaux puits est entre les mains du Préfet. «Si Monsieur Guyot donne son accord, ça sera l’illustration de la duplicité du gouvernement sur la question climatique et environnementale», dénonce l’eurodéputée Marie Toussaint, qui défile en compagnie de Pierre Hurmic, maire écologiste de Bordeaux.
Ironie du sort, au même moment, le nouveau ministre de l’Énergie, Roland Lescure, donnait son feu vert au projet d’extraction girondin sur France 3. Le ministre a rappelé qu’en 2017, la France avait voté une loi prévoyant la fin de l’exploitation des hydrocarbures sur le sol français d’ici à 2040, mais, «que rien n’empêch[ait] de continuer à en extraire d’ici là». De quoi donner de l’eau au moulin du cortège bordelais, qui crie à l’incohérence entre les paroles et les actes d’Emmanuel Macron.
Longuement attendue, Greta Thunberg apparaît enfin au milieu de la foule, à mi-parcours. Entourée d’une véritable carapace de manifestant·es, la célèbre militante suédoise refuse de communiquer avec la presse, ou avec les politiques. Elle se contente de chanter et de danser avant de fuir la presse (en courant) à la fin de la manifestation.
Le cortège termine sa course devant les miroirs d’eaux, place de la Bourse, après avoir longé la Garonne. «Huit puits de pétrole, noooooon !», chante le jeune rappeur César, autour duquel se rassemble la foule, avant de se disperser. Nathalie Hervé proclame fièrement : «Les politiques voulaient faire passer cette autorisation sous les radars, mais ils sont très surpris de l’ampleur que ça prend». La balle est désormais dans le camp du gouvernement.
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Photo d’illustration : Le cortège, qui s’est élancé dans les rues de Bordeaux, ce dimanche. © Alexandre Carré/Vert