Le vert du faux

À quand la fin des nouveaux projets d’exploitation des énergies fossiles ?

Fossile à dire. Alors que s’ouvre la 28ème conférence mondiale (COP28) sur le climat à Dubaï, la question de la sortie des énergies fossiles est au cœur des débats. Peut-on vraiment envisager la fin des hydrocarbures à un horizon proche ? Décryptage.
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Le 20 novem­bre dernier, suite à une enquête publique, la com­pag­nie pétrolière cana­di­enne Ver­mil­ion Ener­gy a reçu un avis favor­able au pro­jet de for­er huit nou­veaux puits de pét­role dans la forêt de La Teste-de-Buch, près d’Arcachon (Gironde). C’est dans cette zone que des incendies dévas­ta­teurs ont eu lieu à l’été 2022 (notre arti­cle). Il revien­dra désor­mais au préfet de la Gironde de pren­dre un arrêté d’autorisation ou de refus pour le pro­jet des nou­veaux puits.

Une sit­u­a­tion sur­prenante, puisque la France avait fait fig­ure de leader sur la sor­tie des fos­siles en adop­tant la loi Hulot en 2017, qui inter­dit l’exploration et prévoit la fin de l’exploitation des hydro­car­bu­res en 2040. Le pro­jet de La Teste-de-Buch n’est pour­tant pas illé­gal, puisque la con­ces­sion de l’entreprise avait été pro­longée dès 2010 et peut donc libre­ment être exploitée jusqu’en 2035. Si Caza­ux est le pre­mier pro­duc­teur pétroli­er dans l’Hexagone, ce pro­jet s’annonce sûre­ment anec­do­tique puisque la France ne pro­duit sur son sol qu’1% de sa con­som­ma­tion.

Au niveau inter­na­tion­al, la sit­u­a­tion est encore plus com­plexe. «Il n’y a pas de date glob­ale de sor­tie pour les fos­siles. Tant que l’Accord de Paris n’est pas retran­scrit dans le droit de chaque pays sig­nataire, il n’a aucune portée juridique. C’est pour cela qu’en dépit de la sig­na­ture de l’Accord, les émis­sions ne mar­quent pas le pas», souligne Lou Wel­gryn, de l’association Data for Good, à qui l’on doit de tout récents travaux sur ces 425 bombes car­bone qui ruinent les efforts cli­ma­tiques (notre arti­cle).

De timides tentatives pour mettre fin aux fossiles

Les expert·es sont pour­tant unanimes sur la ques­tion : la sor­tie des fos­siles est inévitable pour main­tenir le réchauf­fe­ment cli­ma­tique à un niveau souten­able. En 2021, l’Agence inter­na­tionale de l’énergie a affir­mé qu’il fal­lait cess­er immé­di­ate­ment tout nou­veau pro­jet pétrogazier si l’on souhaitait attein­dre la neu­tral­ité car­bone (l’équilibre entre le CO2 émis par les activ­ités humaines et son absorp­tion par les écosys­tèmes) en 2050 (notre arti­cle). Une con­clu­sion partagée par le Groupe­ment d’experts inter­gou­verne­men­tal sur l’évolution du cli­mat (Giec) lors de son dernier rap­port, pub­lié en 2022 (notre arti­cle).

Plusieurs ini­tia­tives émer­gent à l’échelle mon­di­ale pour acter l’abandon des hydro­car­bu­res. Lors de la COP26 à Glas­gow, une quin­zaine de pays se sont accordés sur une sor­tie pro­gres­sive des fos­siles au sein d’une coali­tion inti­t­ulée Beyond oil and gas alliance (BOGA). Portée par le Dane­mark et le Cos­ta Rica, la coali­tion compte la France, la Suède, l’Irlande et plusieurs acteurs non-éta­tiques (les États de Wash­ing­ton et de Cal­i­fornie aux États-Unis par exem­ple). Il ne s’agit pas for­cé­ment de gros pro­duc­teurs, mais cela reste sym­bol­ique­ment impor­tant, souligne Romain Ioualalen, chargé de cam­pagne pour l’ONG Oil change inter­na­tion­al.

Depuis 2015, plusieurs États du Paci­fique plaident pour la mise en place d’un Traité de non-pro­liféra­tion des éner­gies fos­siles, une ini­tia­tive sim­i­laire au traité de non-pro­liféra­tion des armes nucléaires con­clu en 1968. Soutenu par huit pays, l’Organisation mon­di­ale de la san­té, le Par­lement européen et des mil­liers d’organisations de la société civile ou de villes et col­lec­tiv­ités, le traité se présente comme un texte com­plé­men­taire à l’Accord de Paris. De nou­veaux mem­bres sont atten­dus pen­dant la COP28, pré­cise une porte-parole de l’organisation.

Les COP, le lieu idéal pour acter la sortie des fossiles

Si ces ini­tia­tives sont salu­taires, elles demeurent trop spo­radiques pour entraîn­er un bas­cule­ment à l’échelle mon­di­ale. C’est pour ça que les COP sont des moments essen­tiels pour avancer sur le dossier de la fin des fos­siles. «La COP est la seule instance inter­na­tionale ayant la par­tic­i­pa­tion de tous les pays qui peut pren­dre cette déci­sion et envoy­er aux gou­verne­ments et aux marchés le sig­nal que nous sommes vrai­ment à la fin de l’ère fos­sile», juge Romain Ioualalen, de Oil change inter­na­tion­al.

Si, à l’issue d’une COP, une déci­sion est prise sur la sor­tie des éner­gies fos­siles, les États sont ensuite chargés de met­tre en place des plans nationaux pour s’aligner avec cette mesure. En dépit de la con­tro­verse qui entoure le pays hôte de la COP28 — les Émi­rats arabes unis -, et le prési­dent de l’événement — patron d’une entre­prise pétrolière -, cette COP représente para­doxale­ment une occa­sion idéale pour avancer sur cette ques­tion.

«Par rap­port aux autres années, le sujet de la sor­tie des fos­siles a vrai­ment émergé comme un des enjeux prin­ci­paux de la COP, et ceci dès le départ. On com­mence cette COP avec une volon­té col­lec­tive de nom­breux pays (de l’Union européenne, du Paci­fique et d’Amérique latine) d’avoir un accord sur cette ques­tion», analyse Romain Ioualalen. «Les négo­ci­a­tions risquent d’être féro­ces, recon­naît cet expert du sujet, mais on n’a jamais été aus­si proches d’un accord.»

Pho­to d’illustration : À la COP28 de Dubaï, le 29 novem­bre 2023. © Sean Gallup / AFP

Cet arti­cle est issu de notre rubrique Le vert du faux. Idées reçues, ques­tions d’actualité, ordres de grandeur, véri­fi­ca­tion de chiffres : chaque jeu­di, nous répon­drons à une ques­tion choisie par les lecteur·rices de Vert. Si vous souhaitez vot­er pour la ques­tion de la semaine ou sug­gér­er vos pro­pres idées, vous pou­vez vous abon­ner à la newslet­ter juste ici.