Que pensez-vous de la reconnaissance de la Palestine annoncée par Emmanuel Macron, ce lundi ?
Il était temps que la France reconnaisse la Palestine. Mais c’est un peu tard, et surtout pas suffisant. Nous faisons face à un génocide, et les États sont liés par des traités : ils doivent agir pour l’empêcher. Or, ils restent passifs face aux crimes coloniaux en Cisjordanie et au génocide à Gaza.
Nous demandons des sanctions claires : un embargo total sur les armes, la fin du blocus et la suspension de l’accord d’association entre Israël et l’Union européenne.
Pourquoi s’engager sur la flottille quand on est députée européenne ?
Je commençais à désespérer du Parlement européen et des gouvernements occidentaux. L’exception, c’est Pedro Sánchez [le président espagnol affiche son soutien à la Palestine depuis des mois et vient de demander l’exclusion d’Israël des compétitions sportives internationales, NDLR]. La plupart des gouvernements de l’UE bloquent toute sanction. Pour la première fois, une résolution a été adoptée la semaine dernière par l’Union européenne, mais le mot «génocide» a été retiré. Même la mention «d’origine humaine» a disparu après le terme «famine».
J’ai des collègues qui se battent depuis deux ans pour la reconnaissance de la Palestine au Parlement européen, et je vois bien l’influence néfaste de la droite et de l’extrême droite. La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen commence à bouger parce que l’opinion publique se mobilise. Les flottilles, par exemple, mettent en lumière le génocide. C’est pour ça que la société civile doit continuer d’agir.
Je ne suis pas élue au Parlement européen pour rester derrière mon bureau à me désoler des images d’enfants tués. Je suis là pour mettre la pression sur les gouvernements occidentaux et sur Israël. Il faut les forcer à lever le blocus sur Gaza et permettre enfin d’acheminer de l’aide humanitaire, de la nourriture, des médicaments, à celles et ceux qui en ont besoin.
En tant que députée écologiste, j’avance sur deux jambes : le travail institutionnel et l’action citoyenne. C’est toujours comme ça qu’ont fait les écologistes.
Avec qui embarquez-vous ?
Je ne peux pas tout vous dire par mesure de sécurité, mais on aura des personnalités politiques, des membres des parlements nationaux de France, d’Espagne, du Danemark, de Belgique qui assurent la protection de ces bateaux grâce à l’immunité parlementaire dont nous bénéficions. Mais aussi des journalistes, des infirmières, des médecins, des activistes. On embarque depuis la Sicile à plusieurs bateaux dans une action non-violente, pacifiste.
J’ai prévenu le Parlement européen et le quai d’Orsay. Je ne sais pas quels risques je prends exactement mais, la dernière fois, les eurodéputés français ont été kidnappés dans les eaux internationales – ce qui est illégal – et enfermés pendant quelques jours.
Quels sont les liens entre la lutte pour la Palestine et le mouvement écolo ? Est-ce que l’action de Greta Thunberg, qui avait embarqué à bord de la première flottille, vous a inspirée ?
Pas forcément celle de Greta Thunberg en particulier, mais l’écologie politique prend ses racines dans les luttes décoloniales. Aujourd’hui, les premières victimes des dérèglements climatiques, des pollutions et des rapports inégaux sont le Sud global, les femmes, les personnes racisées.
En tant qu’écoféministe, je prends en compte tous les rapports de domination. C’était important pour moi de participer à cette lutte décoloniale contre le blocus, la colonisation en Cisjordanie. La lutte pour la Palestine est profondément décoloniale. Je suis arrivée à l’écologie politique par la justice environnementale.
Vous avez un enfant, comment lui avez-vous expliqué votre départ ?
J’ai une fille de trois ans. Je lui ai écrit une lettre, qu’elle lira plus tard, dans laquelle je me demande dans quel monde je veux qu’elle grandisse. Je suis une maman lesbienne et je me bats de toutes mes forces pour éviter le péril fasciste. Je veux que les enfants puissent vivre dans un monde sans bombardement, sans génocide.
Aujourd’hui, nous faisons face à une faillite morale. Si les États restent complices, quel monde allons-nous laisser à nos enfants ?
Je veux pouvoir dire à ma fille que je me bats pour arrêter ce génocide, pour un avenir fait d’égalité et de justice.
Récemment, des activistes sont intervenus à la fête de l’Humanité pour dénoncer la présence de Paul Watson, jugé «raciste». Que pensez-vous du racisme dans les mouvements écolo ?
J’ai vu les événements à la Fête de l’Huma et dans des festivals écologistes, cet été. Il y a une question de la représentativité au sein du mouvement écolo et d’absence de perspective décoloniale. Une écologie politique doit revoir les rapports de domination.
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Il faut aussi interroger la place des premières victimes. Dans les quartiers populaires, beaucoup savent très bien ce qu’est la pollution atmosphérique : ils se rendent compte que leurs enfants sont asthmatiques.
J’ai fait un mémoire sur des femmes issues des gens du voyage, installées sur un terrain pollué près de Lille (Nord). Elles se battent parce que leurs enfants souffrent de maladies respiratoires, de dermatoses. C’est un exemple, mais il montre bien une chose : il est essentiel que ces personnes soient avec nous. Et il est temps de soutenir ces luttes, au plus près des populations les plus marginalisées.
Parmi vos nombreux combats, vous vous opposez à l’extrême droite. En quoi est-ce lié à vos autres batailles ?
C’est profondément lié. Regardez : qui bloque les sanctions à l’encontre d’Israël aujourd’hui ? Viktor Orbán [le président d’extrême droite de la Hongrie, NDLR]. Ces dirigeants construisent une internationale fasciste. Leur projet, c’est un monde invivable pour les minorités. C’est pour ça qu’il faut faire front commun et mener des luttes intersectionnelles.
On est aussi dans un moment de bascule. Pendant la campagne interne au sein des Écologistes, Sandrine Rousseau a mis sur la table des sujets, des concepts, des luttes qu’on n’avait jamais vues auparavant sur la scène politique française. Ça a ouvert de nouveaux combats, avec une vraie vision intersectionnelle.
Comment suivre votre traversée de la Méditerranée ?
Suivez de près les flottilles sur les réseaux sociaux : ce qui nous protège aujourd’hui, c’est la pression populaire. Les personnes à bord – médecins, activistes – agissent au nom du droit humanitaire et cherchent à briser le blocus pour livrer de l’aide. Il faut que les gens sachent où nous sommes et relaient nos actions sur les réseaux ; la visibilité publique met la pression sur les gouvernements.
Quand un mouvement populaire est fort, il fait bouger les institutions : on l’a vu avec la Pride [marche des fiertés, NDLR] à Budapest, à laquelle je me suis rendue et qui a rassemblé des foules immenses malgré son interdiction. Ce fut un vrai revers pour Viktor Orbán. Il faut continuer à infliger ce genre de camouflets aux gouvernements complices.
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