Dans le ciel, des couleurs rougeoyantes se lèvent. Sur la terre, sous des centaines de tentes, des âmes de tous horizons en font de même. Ce samedi, non loin du chantier de la future « méga-bassine » de Sainte-Soline (Deux-Sèvres), le camp des opposant·es au projet se réveille doucement. La fin de semaine s’annonce rude. En dépit des arrêtés préfectoraux d’interdiction de manifestation et de circulation, plusieurs milliers de personnes se joindront bientôt aux nombreux activistes déjà présents. Les forces de l’ordre sont attendues en nombre.
À Sainte-Soline, près de 150 associations, collectifs, syndicats et partis politiques (Bassines non Merci, Soulèvements de la Terre, Confédération paysanne, CGT, Attac, Solidaires, LFI, EELV…) appelaient à une « mobilisation nationale […] pour stopper le chantier de la plus grande méga-bassine jamais construite ». Pour l’heure, un immense trou de 16 hectares a déjà été creusé dans la terre ; soit « 720 000 mètres cubes d’eau privatisée pour 12 exploitants agricoles », souligne Bassines non-merci (BNM).
Baptisées « réserves de substitution » par leurs soutiens et « méga-bassines » par leurs opposant·es, ces retenues ont pour objectif de stocker un maximum d’eau – de pluies ou issues de nappes phréatiques – afin d’irriguer des exploitations agricoles de plus en plus assoiffées par la sécheresse. Problème : elles contribuent à artificialiser les sols, privent la biodiversité de cette ressource et diminuent la recharge des nappes. Pis, elles constituent une « maladaptation » au changement climatique. En répondant aux conséquences à court terme sans agir sur les causes du problème, « elles bloquent le passage vers une agriculture responsable, résiliente, économe en eau », avait expliqué à Reporterre le naturaliste Christian Amblard.
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La bassine de Sainte-Soline est la seconde parmi 16 retenues en projet dans les Deux-Sèvres, la Charente-Maritime et la Vienne. Des chantiers financés à 70 % par l’Etat et par l’Agence de l’eau Loire-Bretagne.
« Nous sommes l’eau qui se défend »
Pour l’occasion, les opposant·es ont déployé un campement à l’organisation particulièrement bien huilée : alimentation à prix libre, sanitaires, préparation d’actions, communication, soins et prévention des comportements sexistes. Objectif de cette implantation : constituer une base arrière en vue de « manifestations-actions » contre le chantier.
L’installation des « anti-bassines » a débuté mardi dernier sur ce champ situé au cœur des Deux-Sèvres, qui appartient à Philippe Béguin, agriculteur et « irrigant repenti ». « Normalement, on restera jusqu’au 19 mai », expose Mathieu, membre de l’organisation de BNM. Une date qui interroge : « Après, c’est le retour de l’outarde canepetière ». Emblème de la lutte, cette espèce est classée « en danger » dans l’Hexagone par l’UICN. Le camp comme le chantier se trouvent au beau milieu d’une zone Natura 2000. « Nous ne défendons pas l’eau. Nous sommes l’eau qui se défend », prévient une banderole.
Une mobilisation nationale qui connaît de premières victoires
« Avec nous, il y a les camarades de la Clusaz ! », s’exclame Benoît Feuillu des Soulèvements de la Terre, à l’entame d’une conférence de presse. Un clin d’œil à la récente suspension par la justice du projet de retenue d’eau pour alimenter les canons à neige de cette station de ski de Haute-Savoie, obtenue notamment grâce à une forte mobilisation locale. « Il y a une montée en puissance extrêmement symbolique contre un modèle agro-industriel qui accapare l’eau dans un contexte de sécheresse ». Le vendredi 28 octobre, 38 départements – dont les Deux-Sèvres – étaient encore « en crise », soit le niveau d’alerte maximale.
« Ils nous disent que l’on lutte contre des agriculteurs », s’agace, la main accompagnant les mots, Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne, syndicat opposé de longue date au modèle « industriel » de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), qui soutient le projet de Sainte-Soline. « Non, on combat un système ! ». Sous une salve d’applaudissements, Léna Lazare, jeune figure de l’écologie et membre des Soulèvements de la Terre (SLT), reprend le micro pour le passer à un « soutien historique de la lutte ». « Le seul stockage qui vaille est sous-terrain, soutient Benoît Biteau, paysan, agronome et eurodéputé écologiste. En surface, c’est une hérésie ! » à cause de l’évaporation de cette eau. « Si on gagne ici – et je sais qu’on va gagner – on arrêtera les autres projets ! », s’enthousiasme Lisa Belluco, députée EELV de la première circonscription de la Vienne, département voisin.
Désobéissance civile
À l’heure du cassage de croute, la discussion s’engage avec Maïa et Sam, l’une enseignante en lycée agricole et l’autre moustachu – il n’en dit pas plus. « Pour une même cause, il y a différents degrés de luttes, dit-il. Quand ça pète, ça fait parler ». Maïa de le compléter : « Il faut qu’il y ait de la désobéissance civile ». Ce que les manifestant·es, scindé·es en trois différents cortèges s’apprêtent à faire, en se dirigeant vers le point névralgique : le chantier de la méga-bassine à environ deux kilomètres de là. Objectif : déjouer le dispositif de maintien de l’ordre et que son cortège arrive en premier sur le site de construction. L’opération « 1, 2, 3 : bassines ! » va commencer.
Sur le chemin du cortège où Vert se trouve, quelques gendarmes tirent déjà plusieurs grenades lacrymogènes. Les forces de l’ordre sont vite dépassées. Les manifestant·es finissent par sortir de l’épais manteau blanc. Sous leurs pieds, un énième champ. Mais de quoi ? « C’est du colza », nous sourit Edouard, gérant de scierie proche de la retraite. Au loin, des centaines de casques bleu nuit. Les opposant·es parviennent finalement à investir le chantier de la bassine, après avoir subi un déferlement de violence : gaz lacrymogène, grenade de désencerclement et tirs de LBD – dont plusieurs reçus à la tête, selon les organisateurs. « 61 gendarmes ont été blessés, dont 22 sérieusement », s’est ému le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, sur Twitter.
Une fois de retour au camp, sous le calme d’un barnum, on retrouve Léna Lazare. « Tous les curseurs sont au vert, sauf celui de la répression » qui n’a « jamais été aussi forte », semble-t-elle regretter, entre satisfaction et amertume. A quelques pas, couvert par le chapiteau principal, Julien Le Guet lance, le sourire aux lèvres : « Aujourd’hui, Darmanin et consorts ont pris une véritable leçon de stratégie par plus de 8 000 personnes. Décidément, la campagne n’est pas leur milieu naturel ! » Le lendemain, un tuyau destiné à alimenter la méga-bassine a été sectionné.
D’autres actions de désobéissance civile sont prévues dans les prochains jours. En l’absence d’un moratoire sur des chantiers du même acabit, une nouvelle date de mobilisation nationale, à l’image de celle de ce week-end, pourrait être annoncée. La balle est désormais dans le camp du gouvernement. « L’objectif n’est pas de faire une ZAD [pour Zone à défendre, NDLR], mais de mettre un coup d’arrêt au chantier », nous confie Mathieu de BNM. Un mode d’action que cherche à tout prix à éviter le ministère de l’Intérieur, mais qui a largement circulé dans les bouches des manifestant·es pendant tout le week-end.
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