Kamala s’y mettre. Elle avait suscité l’enthousiasme des milieux écologistes au moment de sa nomination. Mais la candidate démocrate à l’élection présidentielle américaine du 5 novembre prochain a choisi, pour des raisons électoralistes, de tempérer son discours sur la protection du climat. Sa stratégie, peu audacieuse à ce stade, se contente de défendre l’héritage de Joe Biden.
Si elle l’emporte en novembre, quel visage Kamala Harris laissera-t-elle entrevoir aux Américain·es ? Celui de la procureure très combative, qui s’est illustrée dans la chasse aux grands groupes qui ne respectaient pas les lois contre la pollution, comme la major pétrolière Exxon Mobil ou le constructeur automobile Volkswagen ? Ou celui d’une femme plus effacée, contrainte par les compromis que lui imposeront les lobbies, l’opposition ou la Cour suprême ? La réponse est sans doute entre les deux.
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Pour des raisons électoralistes, la candidate démocrate n’aura finalement laissé que peu d’espace durant toute sa campagne aux enjeux climatiques. Au grand dam des ONG écologistes qui l’avaient soutenue au moment de sa nomination, elle n’a pas dévoilé de programme construit sur le sujet. Se prononçant de façon générale sur certains thèmes, elle en a laissé d’autres de côté.
Des tornades plus violentes, des assurances plus chères
Début octobre, alors qu’elle se rendait au chevet des sinistré·es de l’ouragan Helene, qui a touché six États fin septembre, Kamala Harris a promis que l’aide fédérale continuerait à leur parvenir. Au même moment, son adversaire Donald Trump multipliait les déclarations mensongères, suggérant que son gouvernement abandonnait la population.
À l’occasion de son débat télévisé face au candidat républicain le 14 septembre sur CNN, elle avait abordé l’impact des catastrophes climatiques sous un angle jusqu’alors peu évoqué : «les propriétaires, à l’échelle nationale, font face à des coûts croissants d’assurance – ou la perte de couverture – alors que les tornades ou les incendies deviennent plus fréquents et violents». Nombre de commentateurs y ont vu une manière habile d’amener le débat sur les enjeux du quotidien des ménages américains moyens, auxquels son programme propose des réductions d’impôts et des aides ciblées.
Subventionner les énergies vertes… sans montant chiffré
Si elle était élue, Kamala Harris s’attèlerait à protéger les «acquis» de l’héritage de Joe Biden, dont son plan d’investissement massif de 20 milliards de dollars dans l’innovation et les énergies renouvelables, au travers de la loi sur la réduction de l’inflation (Inflation reduction act – IRA). Conjuguée aux nouvelles réglementations de l’agence de protection de l’environnement (EPA), cette loi devrait permettre de réduire de 50% les émissions du pays d’ici à 2050, selon les estimations du département américain de l’énergie.
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«Malgré l’IRA, les États-Unis ne sont toujours pas sur la bonne voie pour atteindre leurs objectifs climatiques pour 2030», rappelle cependant Linda Kalcher, directrice générale de l’organisation Strategic Perspectives. Elle ajoute : «Les forages pétroliers et les exportations de gaz naturel liquéfié (GNL) ont atteint des sommets historiques au cours des dernières années. Kamala Harris en est consciente et cherchera des moyens d’y remédier, probablement par le biais d’un mélange de réglementations et d’investissements». À ce stade, l’actuelle vice-présidente est restée vague sur la façon dont elle allait faire évoluer cette loi sur la réduction de l’inflation.
Maintenir la production d’énergies fossiles, en la taxant davantage
Kamala Harris s’est également faite discrète sur ses intentions à l’égard du très polluant secteur pétrolier et gazier, alors que les États-Unis restent les champions de la production mondiale de pétrole. Pour l’emporter, la candidate démocrate ne doit pas s’aliéner le vote des États pivots, dont celui de la Pennsylvanie, l’un des plus grands producteurs de gaz de schiste, un gaz non conventionnel contesté en raison de l’impact de son extraction sur l’environnement.
Lors du débat qui l’a opposée à Donald Trump, elle a d’ailleurs fait machine arrière en se prononçant contre l’interdiction de la fracturation hydraulique – une technique très polluante utilisée dans l’extraction du pétrole ou du gaz. Interdiction qu’elle avait pourtant défendue lors de sa précédente campagne en 2019. Un revirement électoraliste justifié par le besoin de diversification des sources d’énergie du pays, totalement assumé par son colistier Tim Walz lors du débat contre JD Vance, le colistier de Donald Trump, sur CBS le 1er octobre. «Nous produisons plus de gaz naturel et plus de pétrole que nous ne l’avons jamais fait. Nous produisons également plus d’énergie propre», s’est félicité le gouverneur du Minnesota. «Réduire notre impact est absolument essentiel», a-t-il ajouté.
S’il était élu, le tandem démocrate pourrait tenter de taxer davantage les émissions de méthane ou encore de réduire des subventions au secteur du gaz et du pétrole comme cela est indiqué sur le site internet du parti démocrate. «Sans majorité à la Chambre des représentants et au Sénat, Kamala Harris ne peut cependant pas faire grand-chose, estime Linda Kalcher. Elle sera en mesure d’augmenter les frais de forage sur les terres fédérales ou de réglementer les permis de forage, et elle pourra cesser d’autoriser de nouveaux terminaux d’exportation de GNL».
Manque de leadership global
Pour les défenseurs du climat qui ne seraient pas tentés par la candidate écologiste Jill Stein (notre article), le choix de Kamala Harris s’impose dans la mesure où Donald Trump risque à nouveau de remettre en question l’Accord de Paris comme il l’avait fait lors de son premier mandat.
Lors de sa visite à la 28ème conférence mondiale sur le climat (COP28) à Dubaï, fin 2023, la vice-présidente avait déclaré : «Partout dans le monde, des communautés sont étouffées par la sécheresse, emportées par les inondations et décimées par les ouragans. La fumée des feux de forêt assombrit notre ciel et la montée des mers menace la vie et les moyens de subsistance de millions de personnes. L’urgence de ce moment est claire. L’horloge ne tourne plus seulement, elle sonne. Et nous, nous devons rattraper le temps perdu.»
«Il est grand temps pour les États-Unis de joindre le geste à la parole en matière d’abandon des combustibles fossiles, comme convenu lors de la COP28», insiste Linda Kalcher. Si les États-Unis ou le Canada se refusent à faire preuve de leadership, il ne faut pas s’étonner que de grands émetteurs comme l’Arabie saoudite ou le Qatar aient une excuse de plus pour ne pas agir non plus». Kamala Harris aura-t-elle le cran – et surtout la marge de manœuvre – de mener à bien cette révolution dans un pays qui est aujourd’hui le deuxième plus grand émetteur mondial de gaz à effet de serre après la Chine ?
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