La Méditerranée est une mer malade. Chaque année, 229 000 tonnes de plastiques y sont déversées, selon l’Union internationale pour la conservation de la nature. Une catastrophe qui n’est pas le fruit d’un hasard. En Europe, les fleuves charrient chaque jour des tonnes de déchets. Parmi eux, le Rhône, qui se jette dans la Méditerranée, est un vecteur majeur de la pollution de masse de cette mer. Symboles de la surconsommation et de la surproduction de plastique à l’échelle mondiale, ses déchets ne restent pas bloqués en Suisse, près de sa source, ni autour de Lyon (Rhône), qu’il traverse.

Au large des côtes de Marseille (Bouches-du-Rhône), le soleil décline à l’horizon, en ce début de soirée d’août. Dans l’anse de la fausse monnaie, pittoresque calanque du 7ème arrondissement, une dizaine de plongeur·ses se jettent à l’eau. Ces bénévoles de l’association environnementale Mer veille traquent le plastique. Marseille, près d’un million d’habitant·es et deuxième ville de France, est la porte d’entrée d’un cimetière sous-marin pour déchets.
Car la Méditerranée, mer presque fermée qui s’étend du détroit de Gibraltar à celui des Dardanelles (Turquie), bordant les côtes du sud de l’Europe, du nord de l’Afrique et de l’ouest de l’Asie, est devenue «l’une des mers les plus polluées par le plastique au monde», selon François Galgani, spécialiste du suivi des déchets en mer et responsable de projet à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer).
En cause, notamment : un flux «massif de plastiques et de microplastiques» aux origines diverses, alerte Laura Barbaro, de l’ONG Sea shepherd. Une pollution de masse qui devrait conduire à compter autant de déchets plastiques que de poissons dans la Méditerranée d’ici à 2050, selon la Fondation Tara océan.
Des microplastiques «dans le placenta des femmes»
Mais de quoi parle-t-on vraiment ? Si les macro plastiques (emballages, bouteilles, mégots…) sont facilement visibles, ils ne sont que la partie émergée de l’iceberg. La Méditerranée est souillée de microplastiques, de petites particules (entre cinq millimètres et un micromètre), souvent invisibles à l’œil nu, issues notamment de la fragmentation de déchets plus imposants.
Ces derniers, paradoxalement, prennent de la place. L’ONG Expédition med a compté jusqu’à deux millions de particules par kilomètre carré lors de sa campagne Vigieplastic 2024. Une pollution aux conséquences directes sur la biodiversité marine et la santé humaine. «On a du microplastique dans notre corps, dans le cerveau, dans les testicules, dans le placenta», alerte Ophélie Giraud, chargée de projet pour l’association Wings of the ocean, qui lutte pour des océans et des mers sans déchet.
En plongeant dans l’eau avec l’association Mer veille, impossible de distinguer ces particules de plastique, pourtant largement présentes. «Une fois les plastiques fragmentés à ce point, on ne peut plus rien faire», se désole Floris Cesano, co-fondateur de l’association spécialisée dans les patrouilles de surveillance sous-marine et les opérations de dépollution plastique.
Une pollution issue en grande partie de nos activités quotidiennes
Les macro-plastiques, eux, jonchent les plages et colonisent les rochers de la côte marseillaise. Sur les plages du Prado, plébiscitées par les locaux et les touristes, poubelles, canettes, emballages à usage unique et mégots bronzent au milieu des baigneur·ses. «Une fois en mer, ils s’évacuent très rapidement vers le large, polluant souvent définitivement les eaux», note Floris Cesano, après une pêche aux plastiques une nouvelle fois fructueuse.
Mais d’où viennent-ils ? «Les sources sont diverses. À 90%, cette pollution est causée par nos consommations quotidiennes», explique le scientifique François Galgani. La part de pollution directe du secteur industriel (le rejet de particules plastiques, sans intermédiaire) ne représente, selon lui, que «10% du total. On retrouve beaucoup de déchets issus de sacs à usage unique, de mégots et de fibres textiles. Ce n’est pas propre à Marseille, c’est une problématique globale.»
Elle est tout de même renforcée localement par une forte concentration de population (1,6 million de personnes dans l’aire urbaine Marseille-Aix-en-Provence), et par «une gestion discutable des déchets», souligne le scientifique.
Une sonnette d’alarme face à une problématique en partie locale
«Les poubelles débordent et les gens jettent dans la nature des déchets énormes», confirme Céline Abinet, co-fondatrice de Clean my calanques, association de dépollution de la côte marseillaise. Ramassant jusqu’à une tonne de déchets plastiques par sortie de ramassage avec son groupe de bénévoles, elle dénonce des trous dans la raquette des politiques mises en place par la métropole et la Ville de Marseille.
«C’est un combat difficile à mener, reconnaît Christine Juste, adjointe (Les Écologistes) au maire en charge de la lutte contre la pollution et conseillère de la métropole déléguée à la propreté de la Ville. La surconsommation, avec notamment la vente de nourriture à emporter, est ancrée dans le comportement des gens depuis la Covid. Il y a une surabondance de plastiques à usage unique, qui reste difficile à juguler.»
Seule réelle solution, selon elle, sensibiliser les enfants marseillais : «On a loupé le coche avec les parents, misons sur les jeunes.»
Dans la cité phocéenne, nombreuses sont les associations qui commencent à perdre espoir. Voire à jeter l’éponge. «J’arrête Clean my calanques, je vais changer de métier, annonce Céline Abinet. Depuis huit ans, je me donne à fond pour essayer de changer les choses, mais les calanques sont toujours autant polluées. On commence à prendre au sérieux nos actions, mais c’est lent. Il n’y a pas assez de moyens mis en place par les collectivités pour réellement lutter, c’est décourageant.»
En réalité, les causes de cette pollution massive sont loin d’être uniquement liées à Marseille.
Des causes complexes et globales
Dans une mer traversée par «30% du trafic maritime mondial», selon les chiffres du scientifique François Galgani, les courants jouent aussi un rôle important.
«Il y a beaucoup d’apports externes de déchets à Marseille. Le courant liguro provençal [un courant orienté est-ouest, qui dirige une partie de la circulation des eaux de la Méditerranée, NDLR] apporte sur les côtes françaises une traînée de plastique provenant d’Italie et des pays d’Afrique du Nord», indique-t-il.
Une problématique renforcée par la forte présence à Marseille de «criques et calanques qui jouent le rôle d’attrape-déchets», remarque Floris Césano, de l’association Mer veille.
Et côté français ? Le fleuve du Rhône, qui se jette dans la Méditerranée au niveau du delta de Camargue, agît comme une véritable autoroute à déchets. «Ce sont des apports importants localement, reconnaît François Galgani. Une fois dans la Méditerranée, les plastiques du Rhône sont expulsés vers le sud, polluant notamment les côtes espagnoles.»
Un véritable fleuve plastique, massivement pollué sur 812 kilomètres, tant par l’industrie que par les populations française et suisse. Tel est le bilan clinique d’une Méditerranée déjà malade en amont.
Vous venez de lire le premier épisode de notre série «Méditerranée, le syndrome du fleuve plastique». Dans des articles à paraître prochainement sur le site de Vert, nous remonterons les flots du Rhône, qui charrie des déchets depuis sa source jusqu’à la Méditerrannée, en passant par Genève et Lyon.
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