Décryptage

L’Europe prête à revenir sur l’interdiction de vente des voitures thermiques neuves : «Je ne vois pas comment nos constructeurs européens vont survivre»

Auto thunes. Sous la pression de plusieurs pays, la Commission européenne va proposer ce mardi des assouplissements majeurs à l’interdiction de la vente de voitures thermiques neuves après 2035. Un nouveau recul environnemental doublé d’une erreur stratégique pour l’avenir de la filière automobile européenne, alertent nombre d’expert·es.
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Adoptée début 2023, la législation sur les normes CO2 des voitures, qui instaure l’interdiction de vente des véhicules thermiques neufs à partir de 2035, est un texte phare du Pacte vert européen (cet ensemble de lois censé mettre l’Europe sur la voie de la neutralité carbone). Pour cause : la voiture individuelle représente 15% des émissions européennes de CO2, sans compter l’émission d’autres polluants tels que les particules fines, classées cancérogènes.

Sur l’interiction de la vente de véhicules thermiques neufs après 2035, l’UE pourrait faire marche arrière. © Ludovic Marin/AFP

Trois ans et quelques scrutins plus tard, le texte risque de ne pas résister aux assauts conjugués de la droite et de l’extrême droite, qui dominent désormais dans plusieurs pays de l’Union, ainsi qu’au Parlement européen. L’Allemagne, qui mène la fronde depuis plusieurs années (après avoir soutenu la mesure), profite ainsi du plein soutien des leaders populistes d’Italie et d’Europe centrale et de l’Est (Hongrie, Slovaquie, République tchèque, Pologne…). Au Parlement européen, le parti de droite PPE et l’extrême droite ont promis de longue date de faire la peau à cette mesure. Or, ils sont désormais majoritaires dans l’hémicycle.

Assouplissement ou suppression de l’objectif ?

C’est dans ce contexte que le tabloïd allemand Bild a révélé la semaine dernière que la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen aurait scellé un accord avec le président du PPE, l’Allemand Manfred Weber, pour réviser la législation sur les normes CO2 des voitures. Selon Manfred Weber, l’accord enterre tout bonnement l’objectif de ne vendre que des véhicules neufs «zéro émission» à partir de 2035. Il serait remplacé par un objectif de «réduction de 90% des émissions», calculée sur l’ensemble de la flotte de véhicules vendue par chaque constructeur.

«Cela signifie que l’interdiction des moteurs à combustion est abandonnée. Tous les moteurs actuellement fabriqués en Allemagne peuvent donc continuer à être produits et vendus», a expliqué le chef du PPE dans Bild. Le parti ne s’est d’ailleurs pas privé d’annoncer cette victoire sur les réseaux sociaux, se vantant de «réparer l’erreur historique de bannir les moteurs à combustion».

«Nous corrigeons l’erreur historique qui a consisté à interdire le moteur à combustion», indique le visuel du PPE sur les réseaux sociaux. © PPE

Pour Nicolas Raffin, de l’ONG bruxelloise Transport & Environment, «passer de 100% à 90% de baisse d’émissions pourrait sembler marginal. En réalité, cela augmenterait considérablement les ventes d’hybrides rechargeables [qui combinent moteur thermique et moteur électrique, NDLR], jusqu’à 40% des ventes, potentiellement». Pour arriver à ce résultat, il rappelle que le niveau moyen d’émissions des voitures neuves s’élevait en 2021 à 110 grammes de CO2 par kilomètre (gCO2/km) et que les hybrides rechargeables ont un niveau d’émissions affiché de 28gCO2/km environ. Il serait donc possible pour les constructeurs de respecter l’objectif de -90% d’émissions (soit 11gCO2/km sur l’ensemble de leur flotte) en vendant jusqu’à 40% d’hybrides rechargeables.

Problème, nombre d’expert·es contestent depuis longtemps le niveau d’émissions affiché des hybrides rechargeables. Contrairement aux estimations officielles de l’Agence européenne pour l’environnement – qui tablent sur 84% de temps de conduite en mode électrique –, «les données réelles montrent qu’ils sont principalement conduits à l’aide du moteur à combustion et émettent donc quatre fois et demie plus de CO2 que ce qui est annoncé», explique Nicolas Raffin.

Même lorsqu’ils sont conduits en mode électrique, les véhicules hybrides rechargeables consomment en moyenne trois litres d’essence pour 100 km car leurs moteurs électriques manquent souvent de puissance, ce qui oblige le moteur à combustion à prendre le relais. En somme, ils polluent presque autant que leurs équivalents entièrement thermiques.

Une bataille mondiale bientôt perdue ?

En plus d’être un évident recul environnemental, cet assouplissement est aussi «perdant d’un point de vue industriel», assure Neil Makaroff, expert à la fondation Jean Jaurès et auteur de Décarboner ou décliner (Éditions de l’Aube, 2025). En effet, il risque d’avoir pour effet d’orienter la production de véhicules européens vers la production d’hybrides rechargeables. Or, même si l’Allemagne affiche 9% d’hybrides rechargeables parmi ses modèles fabriqués en 2024, cette technologie reste une niche à l’échelle européenne et mondiale : elle ne représente d’ailleurs que 4% de la production en France (contre 17% de véhicules électriques produits).

Pour Neil Makaroff, «le véhicule électrique a déjà conquis le marché asiatique, qui est en train de se fermer aux véhicules thermiques. Idem pour le marché africain.» Pour cette raison, il conteste l’argument selon lequel cet assouplissement serait une victoire pour les constructeurs automobiles européens : «En prétendant leur accorder cette victoire, on leur fait perdre la bataille mondiale», en particulier vis-à-vis des constructeurs chinois, déjà en pointe sur l’électrique. «Je ne vois pas comment notre industrie peut survivre, nos constructeurs risquent vraiment de disparaître pour la plupart», regrette-t-il.

Un recul perdant pour les consommateurs

Enfin, ce recul ne devrait pas non plus favoriser les consommateur·ices européen·nes, souligne Antoine Trouche de l’Institut mobilités en transition (IMT), qui rappelle que les véhicules hybrides rechargeables sont sensiblement plus chers que les véhicules électriques en coût complet (coût d’achat et coût d’utilisation du véhicule). Dans une étude tout juste parue, il a démontré que pour un véhicule acheté neuf, les hybrides rechargeables sont 7% plus chers que les électriques, en moyenne. Un écart qui grimpe à 18% pour un véhicule acheté d’occasion.

Alors que la Commission européenne devrait officialiser ce mardi ses propositions d’assouplissements. D’autres pays, dont l’Espagne (deuxième constructeur européen derrière l’Allemagne) et la France, ont manifesté leur désapprobation.

«On a demandé de manière extrêmement claire à ce que ces flexibilités soient minimales et surtout à ce qu’elles soient conditionnées à de la préférence européenne», a indiqué il y a quelques jours le cabinet de la ministre de la transition écologique, Monique Barbut. Pour Neil Makaroff, «le souhait de la France de favoriser le contenu local n’est pas une mauvaise idée en soi, mais là on risque d’encourager le contenu local sur des technologies qui n’ont plus d’avenir de toute façon».

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