Décryptage

Au Parlement européen, l’extrême droite et la droite font bloc contre l’écologie : «On est dans une période de bascule»

À droite doute. À deux reprises en seulement 15 jours, droite et extrême droite se sont alliées contre l’écologie au Parlement européen. Beaucoup d’eurodéputé·es s’alarment de cette nouvelle coalition assumée pour «détricoter tous les textes du Pacte vert» et estiment que «les digues ont cédé».
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«Ce n’est qu’un début», promettait le 13 novembre dernier le groupe des «Patriotes pour l’Europe», présidé par le leader du Rassemblement national Jordan Bardella. Le Parlement européen venait alors de voter la directive Omnibus, qui acte plusieurs reculs environnementaux. Le tout grâce à une alliance entre la droite et l’extrême droite européenne. «Nous avons prouvé qu’une autre majorité – et une autre politique pour l’Europe – est possible», fanfaronnaient encore les «Patriotes».

La promesse a été tenue. Moins de deux semaines plus tard, mercredi 26 novembre, l’extrême droite et la droite ont de nouveau uni leurs voix. Cette fois, pour repousser l’application de la loi phare contre la déforestation, qui ne sera désormais pas en vigueur avant fin 2026, dans le meilleur des cas, et fera l’objet d’une révision d’ici à avril. Deux «grandes victoires» en 15 jours grâce à une alliance avec le Parti populaire européen (PPE, droite), le groupe qui compte le plus d’eurodéputé·es. «On est dans une période de bascule, jubile auprès de l’AFP un eurodéputé Les Patriotes, sous couvert d’anonymat. Le cordon sanitaire n’existe plus.»

Jordan Bardella au Parlement européen, le 22 octobre 2025. © Frederick Florin/AFP

Pour l’eurodéputée écologiste Marie Toussaint, le report de la mise en œuvre de cette loi «est une nouvelle catastrophe pour la nature à la sortie d’une COP [conférence mondiale sur le climat, qui a eu lieu au Brésil cette année] qui a pourtant mis le sujet de la déforestation sur la table». «Il y a une bascule, on est quasiment dans une passation de pouvoir à l’extrême droite, poursuit-elle auprès de Vert. Il faut être très clair aux yeux du public : l’Europe est dirigée par l’extrême droite. C’est elle qui décide de la politique européenne.»

«Les digues ont cédé»

Au Parlement européen, sur la majorité des textes, l’alliance traditionnelle composée de la droite (PPE), du centre (Renew) et des sociaux-démocrates a tenu pendant un an après les élections de juin 2024. Mais les tensions sont de plus en plus vives en son sein. Le PPE est accusé par ses alliés dits «proeuropéens» de cultiver l’ambiguïté avec l’extrême droite, notamment sur l’écologie. «Les digues ont cédé», s’alarme la centriste Laurence Farreng.

Dès janvier 2025, Jordan Bardella avait annoncé vouloir former une coalition avec la droite pour détricoter le Pacte vert. Aussi appelé Green deal, il rassemble tous les textes qui doivent permettre d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. L’eurodéputé d’extrême droite proposait de «mutualiser [leurs] forces pour proposer ensemble la suspension du Pacte vert en réponse aux mesures extrêmement attractives pour l’économie et pour les entreprises […] que va mettre en place Donald Trump aux États-Unis», comme l’a raconté Politico.

C’est cette volonté qui prend corps depuis deux semaines dans l’hémicycle européen. «Ils sont en train de créer un trumpisme européen basé sur un triptyque anti-migration,anti-wokeet anti-écologie. L’anti-écologie est devenue un facteur identitaire de l’union des droites, explique à Vert l’eurodéputé (Renew) Pascal Canfin, pour qui il y a désormais un risque de régression sur tous les textes du Pacte vert. Selon le centriste, Jordan Bardella a d’ailleurs passé «autant voire plus de temps à taper sur le Green deal» qu’à parler d’immigration «dans son discours lors de l’élection d’Ursula von der Leyen», la présidente de la Commission européenne, le 18 juillet 2024.

«Retournement» de la droite

À droite, Céline Imart, autre élue française, constate à l’inverse avec «beaucoup de joie» un «changement de majorité» pour «détricoter tous ces textes du Pacte vert». Mais «ce n’est pas quelque chose de théorisé, ce ne sont pas des alliances d’appareils conceptualisées, ce sont des choses qui arrivent sur certains textes. La seule chose qui compte, c’est le contenu», précise-t-elle.

Pour Manon Aubry, eurodéputée insoumise, «ce qui est frappant, c’est que nombre de ces textes du Green deal ont été adoptés par les mêmes députés du PPE lors du mandat précédent». Sa collègue insoumise, Emma Fourreau, observe que «c’est devenu acceptable de s’allier à l’extrême droite» et que les «figures d’extrême droite en Europe qui portent un agenda climatosceptique gagnent du terrain».

Théodore Tallent, chercheur spécialisé sur l’acceptabilité de la transition environnementale et le backlash («retour de bâton», en français) écologique, confiait à Vert dans un précédent entretien observer «un retournement» au sein des droites européennes : «Depuis 2-3 ans, l’extrême droite attaque très frontalement le Green deal. Elle est maintenant rejointe par une partie de la droite conservatrice européenne.» Le politiste l’explique par une volonté de concurrencer l’extrême droite «qui leur a pris énormément de voix aux dernières élections».

La droitisation du Parlement est aussi un reflet de l’influence des États membres de l’Union européenne, où la cheffe du gouvernement italien d’extrême droite Giorgia Meloni semble de plus en plus influente. Chez les eurodéputé·es, c’est d’ailleurs le groupe ECR, où siègent les élu·es de Fratelli d’Italia, le parti de Giorgia Meloni, qui fait régulièrement le pont entre l’extrême droite et la droite. Elles et ils sont jugé·es plus fréquentables que leurs collègues des groupes Patriotes ou Souverainistes. Ces derniers sont eux aussi classés à l’extrême droite et comptent comme seule élue française Sarah Knafo, vice-présidente du parti Reconquête d’Éric Zemmour.

L’alliance entre droite et extrême droite s’inscrira-t-elle dans la durée ? La majorité entre la droite, le centre, et les sociaux-démocrates «n’est pas morte, ce n’est pas vrai», nuance un autre interlocuteur au sein du Parlement. Mais beaucoup craignent que cette majorité alternative droite-extrême droite se forme de nouveau dans les prochaines semaines : à partir du 10 décembre, l’Europe doit réexaminer le vote de 2023 sur la fin de la vente des véhicules thermiques neufs – ou qui ne sont pas «zéro émission de CO2» – à partir de 2035. Les industriels font pression pour assouplir cette mesure. Ils pourront peut-être compter sur le soutien de l’extrême droite et de ses allié·es pour la détricoter.

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