Décryptage

Les populations d’animaux sauvages ont chuté de 69 % en cinquante ans

Élaborée par le WWF avec la Société zoologique de Londres, la dernière édition du rapport Planète vivante constate le déclin affolant des populations de vertébrés sauvages depuis 1970 - un phénomène renforcé par le changement climatique.
  • Par

Ça donne le cafard. Depuis 1970, la taille des pop­u­la­tions sauvages de vertébrés a dégringolé de 69 % en moyenne à tra­vers la planète. Un chiffre alar­mant révélé par le WWF à l’occasion de la pub­li­ca­tion du rap­port Planète vivante 2022. Pour établir cet « indice planète vivante » (IPV), le WWF a suivi l’évolution de près de 32 000 pop­u­la­tions d’animaux représen­tant 5 230 espèces dans le monde. L’IPV étudie l’abondance des pop­u­la­tions de vertébrés sauvages (les mam­mifères, pois­sons, rep­tiles, oiseaux et amphi­bi­ens), pas celle des insectes. Le WWF a col­laboré avec la Société zoologique de Lon­dres (ZSL), une organ­i­sa­tion sci­en­tifique inter­na­tionale.

Le déclin moyen des espèces analysées était de 68 % en 2020, et de 60 % en 2018, révélant une accéléra­tion de l’effondrement de la bio­di­ver­sité dans le monde. « On peut se dire que 1 %, ce n’est pas grand-chose, mais per­dre 1% en deux ans, c’est absol­u­ment colos­sal. Le seul fait que cet indice ne s’améliore pas est une cat­a­stro­phe en soi », insiste Arnaud Gauffi­er, directeur des pro­grammes à WWF.

D’autant que l’indice révèle d’immenses dis­par­ités régionales, avec des effon­drements mas­sifs de la bio­di­ver­sité sur cer­tains con­ti­nents. En Amérique latine et dans les Caraïbes, les pop­u­la­tions étudiées ont chuté de 94 % en moyenne depuis 50 ans. À l’inverse, l’Europe et l’Asie cen­trale (-18%) ain­si que l’Amérique du Nord (-20%) appa­rais­sent rel­a­tive­ment préservées. Un con­traste impres­sion­nant qui s’explique par plusieurs raisons : des pres­sions qui s’exercent plus forte­ment sur cer­taines régions (déforesta­tion, change­ment d’affectation des sols, effets du change­ment cli­ma­tique), mais aus­si le point de départ de l’étude. En 1970, l’état de base de la bio­di­ver­sité était plus pau­vre et plus faible en Europe qu’ailleurs, ce qui explique un moin­dre déclin. Le WWF estime aus­si que des efforts de con­ser­va­tion y ont porté leurs fruits.

En Amérique latine et dans les Caraïbes, l’ef­fon­drement de la bio­di­ver­sité atteint des records affolants, avec des pop­u­la­tions d’an­i­maux en moyenne 94 % plus petites qu’il y a cinquante ans. L’Europe et l’Asie cen­trale (-18%) ain­si que l’Amérique du Nord (-20%) sem­blent faire office de bons élèves. Cliquez pour affich­er la carte en plus grand © WWF

Out­re l’aspect géo­graphique, les espèces les plus touchées par un fort déclin vivent dans les écosys­tèmes d’eau douce, avec une diminu­tion moyenne de la taille des pop­u­la­tions de 83 %.

Ce rap­port souligne les liens pro­fonds entre l’effondrement du vivant et le change­ment cli­ma­tique, qui est en passe de devenir la men­ace numéro une pesant sur la bio­di­ver­sité. Cinq dan­gers prin­ci­paux pèsent sur le vivant : le change­ment d’usage des ter­res, la sur­ex­ploita­tion et le bra­con­nage, la pol­lu­tion, les espèces inva­sives et le dérè­gle­ment du cli­mat. Ce dernier, en dernière posi­tion dans l’échelle des men­aces il y a quelques années, s’est déjà hissé à la troisième place et pour­rait bien­tôt arriv­er en tête. La hausse des tem­péra­tures peut notam­ment affecter les capac­ités repro­duc­tives de cer­taines espèces, boule­vers­er des habi­tats, entraîn­er des phénomènes de mor­tal­ité mas­sive, voire des extinc­tions pures et sim­ples. Par exem­ple, un réchauf­fe­ment de +1,5 °C entraîn­era une perte de 70 % à 90 % des coraux d’eau chaude. Si le réchauf­fe­ment atteint +2 °C, 99 % des coraux dis­paraîtront.

Le rap­port souligne l’impact dif­féren­cié de la hausse des tem­péra­tures sur le déclin du vivant. Dans un monde à +4 °C, soit un scé­nario envis­agé par le Giec, plusieurs régions du monde comme l’Amazonie ou l’Afrique aus­trale pour­raient con­naître un effon­drement de plus de 75 % des espèces. © WWF

« Le change­ment cli­ma­tique est le clou final dans le cer­cueil de la bio­di­ver­sité. Les espèces sont déjà suff­isam­ment mal en point à cause de toutes les pres­sions qu’on leur impose ; si on rajoute le change­ment cli­ma­tique, cela risque d’être cat­a­strophique », alerte Arnaud Gauffi­er, du WWF. D’où l’importance de « jouer sur les deux tableaux » en dimin­u­ant dras­tique­ment les émis­sions de gaz à effet de serre tout en pro­tégeant, voire en restau­rant, la bio­di­ver­sité.

Le WWF pré­cise que l’effondrement du vivant n’est pas irréversible. L’indice planète vivante mon­tre que les efforts de con­ser­va­tion ont per­mis de faire revenir le lynx en France : alors que celui-ci a frôlé l’extinction dans les années 1970, on décompte désor­mais plus de 130 indi­vidus dans le pays.

Pour enray­er ce déclin glob­al des espèces, l’ONG demande des répons­es poli­tiques à la hau­teur de l’enjeu. La sor­tie du rap­port Planète vivante se fait dans un con­texte inter­na­tion­al prop­ice : la 15ème Con­férence des Nations unies sur la diver­sité biologique s’ouvre dans moins de deux mois à Mon­tréal (Cana­da). Ce som­met devrait définir un agen­da pour les dix prochaines années et déter­min­er un objec­tif ambitieux de pro­tec­tion des espaces naturels.

En 2023, les eurodéputé·es plancheront sur une loi sur la restau­ra­tion de la nature. En juin 2022, la Com­mis­sion européenne a mis sur la table un texte ambitieux qui oblig­erait les États à restau­r­er au moins 20 % des ter­res et des mers de l’Union européenne à hori­zon 2030. Cette démarche encour­ageante mon­tre que les sphères poli­tiques intè­grent enfin l’idée que stop­per l’érosion de la bio­di­ver­sité ne suf­fi­ra pas, mais qu’il fau­dra aus­si active­ment répar­er les dom­mages qui lui ont été causés.