Désordres de grandeur

À l’image des « bandes du réchauffement climatique », un nouvel outil pour mieux (se) représenter l’effondrement du vivant

Inspiré par les célèbres « bandes du réchauffement climatique » du scientifique Ed Hawkins, un chercheur britannique, Miles Richardson, vient de mettre au point une visualisation de l’effondrement de la biodiversité pour lutter contre l’invisibilisation de ce phénomène.
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Des ban­des d’un vert soutenu, puis de plus en plus faiblard, virant au jaune pétant qui devient pas­tel, et enfin gris. Même sans con­texte, voilà un enchaîne­ment de couleurs qui ne présage rien de posi­tif. Cette visu­al­i­sa­tion, appelée « les ban­des de la bio­di­ver­sité » par son créa­teur, Miles Richard­son, représente l’évolution de la bio­di­ver­sité depuis les années 1970.

Les « ban­des de la bio­di­ver­sité », mis­es au point par le Bri­tan­nique Miles Richard­son, représen­tent l’évolution des pop­u­la­tions ani­males entre 1972 et 2016. © Glob­al bio stripes

Pro­fesseur en psy­cholo­gie à l’université de Der­by (Roy­aume-Uni) spé­cial­isé dans l’étude du rap­port qu’entretiennent les humains avec la nature et auteur prin­ci­pal d’un futur rap­port d’évaluation de la Plate­forme inter­gou­verne­men­tale sur la bio­di­ver­sité et les ser­vices écosys­témiques (IPBES, le « Giec de la bio­di­ver­sité »), Miles Richard­son s’est inspiré des « ban­des du réchauf­fe­ment cli­ma­tique ». Mis au point en 2018 par le cli­ma­to­logue Ed Hawkins, cet enchaîne­ment de ban­des rouges et bleues représente l’évolution des tem­péra­tures moyennes dans le monde sur plusieurs décen­nies et illus­tre ain­si le réchauf­fe­ment du cli­mat.

« J’ai tou­jours espéré que quelqu’un met­trait au point une ver­sion des ban­des pour la bio­di­ver­sité », racon­te à Vert Miles Richard­son, « et puis j’ai fini par le faire moi-même ». Le pro­fesseur s’est appuyé sur le Liv­ing plan­et index (l’indice planète vivante), un pro­gramme transna­tion­al util­isé par l’ONU qui étudie l’évolution de près de 5 000 espèces et 28 000 pop­u­la­tions d’animaux. Les don­nées s’échelonnent entre 1972 et 2016 et con­cer­nent les mam­mifères, oiseaux, pois­sons, amphi­bi­ens et rep­tiles. Selon cet indice, les pop­u­la­tions de ces vertébrés ont décliné de 68 % moyenne depuis les années 1970.

Une visu­al­i­sa­tion cen­trée sur les pop­u­la­tions de pois­sons illus­tre le fort déclin des espèces marines en quelques décen­nies. © Fresh­wa­ter bio stripes

Miles Richard­son a mis au point plusieurs visu­al­i­sa­tions, cen­trées sur cer­taines régions du monde ou sur cer­tains types d’espèces ani­males, comme les pois­sons. « Rajouter des exem­ples d’animaux par-dessus les ban­des était une manière de con­cré­tis­er encore plus la représen­ta­tion de cet effon­drement des espèces », explique le pro­fesseur.

Der­rière cet out­il de sen­si­bil­i­sa­tion se cache un enjeu bien plus com­plexe : la mécon­nais­sance général­isée des sujets liés à la bio­di­ver­sité. Selon une étude fran­co-cana­di­enne pub­liée en 2018, la cou­ver­ture médi­a­tique du change­ment cli­ma­tique est huit fois supérieure à celle du déclin de la bio­di­ver­sité, et ce, en dépit d’un nom­bre sim­i­laire de pub­li­ca­tions sci­en­tifiques et de finance­ments.

Pour les auteur·rices de l’étude, ce décalage peut s’expliquer par la date de créa­tion de l’IPBES, en 2012, soit plus de vingt ans après le Giec. « L’intérêt pour le change­ment cli­ma­tique a aug­men­té dix ou quinze ans après la créa­tion du Giec, sug­gérant l’idée que l’intérêt médi­a­tique pour la bio­di­ver­sité pour­rait grandir dans les années à venir », indiquent les chercheur·ses.

L’étude avance aus­si un fac­teur plus psy­chologique, lié à l’expérimentation per­son­nelle des effets liés aux crises cli­ma­tiques et de la bio­di­ver­sité. Subis­sant directe­ment les con­séquences du dérè­gle­ment cli­ma­tique, lors d’inondations ou de tem­pêtes par exem­ple, les gens y sont alors plus sen­si­bil­isés.

« Il existe une per­cep­tion beau­coup plus claire du coût et du dan­ger du change­ment cli­ma­tique », abonde Miles Richard­son. « Quand on leur par­le de bio­di­ver­sité, les gens ont ten­dance à penser que ça n’a pas autant d’importance, que la réduc­tion des pop­u­la­tions d’oiseaux n’a pas vrai­ment d’impact sur eux par exem­ple ».

L’étude fran­co-cana­di­enne et le pro­fesseur bri­tan­nique pré­conisent tous deux de sen­si­bilis­er le grand pub­lic par le tra­vail con­joint des sci­en­tifiques spé­cial­isés, des médias et du sys­tème édu­catif. L’objectif ? Rap­pel­er à toutes et à tous que les humain·es et la nature ne sont pas des entités séparées, mais un ensem­ble d’espèces inter­con­nec­tées, et que la survie de l’être humain dépend entière­ment du bien-être des écosys­tèmes qui l’entourent.