Décryptage

Droits humains, risques environnementaux : les députés européens se prononcent sur la loi Omnibus, pourquoi ce texte est-il décisif ?

À plus dans l’Omnibus. Ce mercredi, le Parlement européen doit se prononcer sur la loi Omnibus, une directive qui vise à «simplifier» plusieurs mesures du Pacte vert européen de 2019. Ce texte assouplit notamment les obligations des entreprises en matière de devoir de vigilance et de transparence, au risque de freiner la transition écologique.
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Ce qu’il faut retenir :

Ce mercredi, le Parlement européen se prononce sur la loi Omnibus, qui vise à «simplifier» des textes sur la transition écologique.

Certains textes clés risquent d’être affaiblis : notamment la directive sur le devoir de vigilance et la CSRD. La première oblige les grandes entreprises à prévenir les atteintes aux droits humains et à l’environnement sur toute leur chaîne de production. La seconde impose aux entreprises de publier chaque année des rapports sur leurs impacts sociaux et environnementaux.

La loi Omnibus pourrait être adoptée sans débat entre eurodéputé·es dans l’hémicycle.

Ce désir de «simplification» est poussé par la droite et l’extrême droite après leur percée aux élections européennes de 2024. Et par l’influence des États-Unis de Donald Trump ainsi que celle de lobbies industriels.

Le Green deal européen, ce très ambitieux plan de transition écologique adopté par l’Union européenne en 2021, est-il en train de vaciller ? Ce mercredi 22 octobre, le Parlement européen se prononce sur un texte-clé : le paquet législatif dit «Omnibus I», présenté en février dernier par le commissaire européen Stéphane Séjourné. Officiellement conçu pour «simplifier» certaines mesures du Green deal (ou Pacte vert, en français), il pourrait le vider de sa substance.

Parmi les textes qui risquent d’être affaiblis, il y a la directive sur le devoir de vigilance. Cette loi européenne oblige les grandes entreprises à prévenir les atteintes aux droits humains et à l’environnement sur toute leur chaîne de production (y compris chez leurs sous-traitants). Elle devrait prendre effet dans quelques mois, après avoir été adoptée en 2024.

Autre texte menacé : la Corporate sustainability reporting directive (CSRD), cette directive qui impose aux entreprises de publier chaque année des rapports sur leurs impacts sociaux et environnementaux.

Bruxelles, septembre 2025. Une marche «pour les droits humains» pour alerter sur les risques liés à la loi Omnibus. © DR

La semaine dernière, la commission des affaires juridiques du Parlement (Juri), chargée de préparer le texte avant son examen en plénière (devant l’ensemble des eurodéputé·es), a validé une version du projet, par 17 voix contre 6. Son rapporteur, le suédois Jörgen Warborn (du parti de droite PPE – Parti populaire européen), s’en est félicité en conférence de presse : «Le vote d’aujourd’hui confirme notre soutien à la simplification. Nous apportons de la prévisibilité aux entreprises européennes, réduisons les coûts, renforçons la compétitivité, tout en maintenant la transition verte de l’Europe sur la bonne voie.»

En réalité, l’avenir du Green deal se jouera peut-être dans un silence parlementaire : si les eurodéputé·es valident mercredi le mandat accordé à la commission Juri, le texte sera considéré comme adopté sans débat en plénière. Cela lancerait directement les négociations finales en trilogue – entre la Commission, le Parlement et le Conseil.

«On augmente la taille du filet»

Concrètement, la directive Omnibus prévoit de réduire drastiquement le champ d’application du devoir de vigilance. Aujourd’hui, cette loi impose aux entreprises de plus de 1 000 salarié·es qui réalisent un chiffre d’affaires mondial supérieur à 450 millions d’euros de prévenir les violations graves des droits humains et les dégâts environnementaux – travail forcé, exploitation des enfants, érosion de la biodiversité, pollution, destruction du patrimoine naturel – sur l’ensemble de leur chaîne de valeur. Le texte prévoit des sanctions financières et la possibilité pour les victimes de saisir la justice.

Si la loi Omnibus était adoptée, seules les entreprises de plus de 5 000 salarié·es seraient concernées. «Globalement, on augmente la maille du filet», résume auprès de Vert Dominique Potier, député socialiste français et rapporteur de la loi française sur le devoir de vigilance.

Les sociétés ne seraient tenues de surveiller que leurs partenaires directs, et non l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement, sous-traitants compris (sauf suspicion sérieuse de problèmes plus loin). Enfin, les évaluations des risques seraient réalisées tous les cinq ans au lieu d’une fois par an.

La directive Omnibus entraînerait aussi l’abandon de la responsabilité civile – ce cadre juridique qui devait initialement permettre aux victimes d’attaquer les entreprises en justice en cas d’atteinte aux droits humains ou à leur environnement. Désormais, le choix d’appliquer ou non ce cadre dépendra de la seule volonté des États européens. «Si la notion de responsabilité civile devient facultative, on peut dire que c’est la fin du devoir de vigilance», estime Dominique Potier.

«Si on ne fait rien, il y aura un autre Rana Plaza»

À l’origine, la loi sur le devoir de vigilance avait été conçue pour «faire comprendre aux marques qu’elles sont responsables des conditions dans lesquelles elles font produire», retrace Mathilde Pousseo, déléguée générale du collectif Éthique sur l’étiquette. «Et pour éviter que des catastrophes telles que celles de Bhopal ne se reproduisent», complète-t-elle.

Dans la nuit du 2 au 3 décembre 1984, à Bhopal (Inde), un nuage toxique d’isocyanate de méthyle – un gaz très toxique – s’est échappé d’une usine filiale de la multinationale américaine Union Carbide. La catastrophe a provoqué la mort de plusieurs milliers de personnes et a fait plus de 300 000 malades, dont beaucoup, en situation de handicap, en subissent encore les effets.

«À ce drame a succédé le scandale d’une impunité qui a permis aux dirigeants d’Union Carbide d’échapper à la justice indienne et à leurs responsabilités», retrace Le Monde diplomatique. Mathilde Pousseo poursuit : «Et ce n’est pas la seule catastrophe : il y a aussi cet incendie dans une usine de jeans au Pakistan, où 250 personnes sont mortes brûlées vives. Ou encore l’exemple du Rana Plaza.»

Le 24 avril 2013, l’effondrement de cet immeuble au Bangladesh avait causé la mort de plus de 1 100 personnes travaillant pour des marques internationales de textile. Ces entreprises «ont toujours affirmé ne pas être responsables, rejetant la faute sur leurs sous-traitants», rappelait Julia Faure, fondatrice de la marque responsable Loom, dans une interview accordée à Vert. «Quand les marques n’ont pas à se soucier de ce qui se passe chez leurs sous-traitants, elles deviennent des tortionnaires qui s’ignorent, alertait encore Julia Faure. Si on ne fait rien, il y aura un autre Rana Plaza».

Le devoir de vigilance n’est pas le seul pilier du Pacte vert à être menacé. La CSRD, qui impose la publication annuelle d’informations détaillées sur l’impact social et environnemental des entreprises, est aussi affaiblie. Le projet Omnibus restreint le périmètre aux entreprises de plus de 1 000 salarié·es dépassant 50 millions d’euros de chiffre d’affaires (au premier janvier 2025, elle devait s’appliquer aux entreprises qui comptaient au moins 250 salarié·es, et qui dépassaient 40 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel). Il simplifie aussi les règles en réduisant la quantité d’informations demandées. Objectif affiché : réduire le régime de déclaration pour qu’il soit «moins lourd et mieux adapté aux capacités des entreprises». Dominique Potier alerte : «Globalement la directive Omnibus rétablit l’impunité des multinationales.»

Une manière de «réduire la régulation excessive», selon Patrick Pouyanné

D’où vient ce désir de «simplification» ? Selon une tribune publiée dans Le Monde par Claire Nouvian (de l’association de protection marine Bloom) ou l’eurodéputé (Alliance progressiste des socialistes et démocrates) Raphaël Glucksmann, ce «sabotage» résulte «des élections européennes de 2024, marquées par la percée des forces de droite et d’extrême droite».

La directive Omnibus refléterait aussi un alignement progressif de l’Europe sur l’agenda des États-Unis trumpistes. En mars dernier, le Républicain Bill Hagerty a proposé une loi visant à interdire aux entités américaines d’être soumises à toute réglementation étrangère en matière de durabilité, y compris la directive européenne sur le devoir de vigilance. Une pression qui aurait poussé Bruxelles à reculer, selon les signataires de la tribune.

Cette directive illustre aussi «la faiblesse des institutions européennes face aux assauts des lobbys industriels» comme ExxonMobil, TotalEnergies ou Siemens, dénoncent encore les signataires. Elle bénéficie d’ailleurs du soutien de Patrick Pouyanné, président-directeur général de TotalEnergies, et de Roland Busch, président de Siemens AG. Il y a deux semaines, ces deux patrons, au nom de 46 grandes entreprises, ont appelé le président français Emmanuel Macron à soutenir cette directive qui, selon eux, permettrait de «réduire la régulation excessive» et «la bureaucratie».

Une lettre à laquelle plusieurs associations de défense des droits sociaux et de l’environnement – Fair Trade, Notre Affaire à Tous, Fédération internationale des droits humains, Oxfam, Reclaim Finance, WWF… – ont répondu, le 13 octobre, dans une missive adressée à Emmanuel Macron : «Monsieur le Président, nous vous invitons à réaffirmer sans délai l’attachement de la France à un devoir de vigilance européen fort, et à ne pas céder aux pressions nocives des seuls intérêts privés.»

Elles ajoutent : «Vous avez été réélu grâce aux forces qui souhaitent préserver nos principes démocratiques face à l’extrême droite. Rappelons-le, cet agenda de dérégulation est porté au niveau européen par l’extrême droite française. Y consentir reviendrait à appliquer le programme de listes aux relents climatosceptiques que vous avez combattues.»

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