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Les «polluants éternels» du fart des skis se répandent sur les pentes enneigées

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Ski cloche. Surnom­més «pol­lu­ants éter­nels», les PFAS con­stituent une classe de plus de 10 000 pro­duits chim­iques dif­férents. Cer­tains sont util­isés dans le fart appliqué sur les skis et les snow­boards en tant qu’agents de lubri­fi­ca­tion. Avec quels effets sur l’environnement ?

Chaque année, lors des vacances de févri­er, je repense au séjours au ski dans les Alpes de mon ado­les­cence. Je me sou­viens de la fraîcheur de l’air froid et viv­i­fi­ant lorsque je dévalais les pistes en chas­se-neige. Un lieu d’apparence aus­si immac­ulée me sem­blait être aux antipodes de l’endroit où j’ai gran­di à Lon­dres.

À l’époque, je n’avais jamais envis­agé que la neige puisse être une source d’exposition poten­tielle à un pro­duit chim­ique nocif. Cepen­dant, des preuves récentes sug­gèrent que des pro­duits chim­iques syn­thé­tiques per­sis­tants sont trans­férés dans la neige et le sol à par­tir des farts appliqués à la sur­face des skis pour en amélior­er les per­for­mances.

Surnom­mées «pol­lu­ants éter­nels», les sub­stances per- et poly-flu­o­roalkyles (PFAS) con­stituent une classe de plus de 10 000 pro­duits chim­iques dif­férents, dont beau­coup sont util­isés depuis les années 1950. Elles repoussent l’eau et l’huile et con­stituent donc d’excellents revête­ments imper­méables pour les vête­ments, le papi­er sul­fu­risé et les matéri­aux de con­struc­tion.

Cer­tains agis­sent comme des agents ten­sioac­t­ifs, per­me­t­tant à dif­férents liq­uides de se mélanger plus facile­ment. Beau­coup résis­tent aux tem­péra­tures élevées, ce qui les rend idéaux pour fab­ri­quer des poêles anti­ad­hé­sives ou des mouss­es anti-incendie.

Cer­tains PFAS sont util­isés dans le fart appliqué sur les skis et les snow­boards en tant qu’agents de lubri­fi­ca­tion. Ces pro­duits ren­dent les sur­faces des spat­ules de ski plus glis­santes, ce qui per­met aux skieurs d’accélérer et de tourn­er plus facile­ment de piste en piste. Avec quels effets sur l’environnement ? Une nou­velle étude a décou­vert des con­cen­tra­tions élevées de PFAS, tant dans les farts de ski que dans des échan­til­lons de neige et de sol prélevés dans des sta­tions de ski pop­u­laires en Autriche.

Le problème de la persistance

Les PFAS sont des com­posés organoflu­o­rés : leurs liaisons car­bone-flu­or très solides les ren­dent incroy­able­ment sta­bles. Comme les PFAS ne se décom­posent pas facile­ment, ils peu­vent per­sis­ter dans notre corps ou dans l’environnement pen­dant de nom­breuses années.

Une dose unique d’acide per­flu­o­rooc­tanoïque ou PFOA, l’un des PFAS les plus étudiés, pour­rait pren­dre entre trois et sept ans pour être réduite de moitié dans l’organisme. Autrement dit, il faudrait 100 ans pour élim­in­er 99,9 % de cette dose.

Cer­tains PFAS peu­vent être tox­iques pour l’homme et la faune, et sont liés à des can­cers, des prob­lèmes de développe­ment ou de repro­duc­tion, des per­tur­ba­tions hor­monales, du dia­bète ou encore de l’obésité.

Une pente glissante ?

La présence de PFAS dans les farts de ski n’est pas une décou­verte récente. En 2010, une étude sué­doise a révélé des niveaux élevés de divers PFAS dans le fart de ski et dans le sang des tech­ni­ciens de fartage.

Ce qui est fasci­nant dans cette nou­velle étude, c’est le poten­tiel de trans­fert de ces sub­stances chim­iques dans l’environnement à par­tir des équipements de ski. Elle révèle que les niveaux de PFAS retrou­vés dans la neige et le sol des sta­tions de ski sont sys­té­ma­tique­ment plus élevés que ceux de l’échantillon de con­trôle prélevé à l’écart des sta­tions de ski, ce qui indique que les skis pour­raient en être la source.

Les chercheurs soulig­nent aus­si que les pro­fils des PFAS (la com­bi­nai­son des dif­férents PFAS trou­vés dans chaque échan­til­lon) dif­fèrent selon les lieux et les types d’échantillons étudiés. Cette vari­abil­ité a été attribuée aux dif­férences entre les farts de ski, en fonc­tion du moment ou du lieu de fab­ri­ca­tion.

Je pense à titre per­son­nel que d’autres sources de PFAS sont envis­age­ables dans ces zones, d’autant plus que des PFAS ont aus­si été détec­tés dans des zones où l’on ne pra­tique pas le ski. En effet, ils sont présents dans cer­tains vête­ments imper­méables très prisés des skieurs, ain­si que dans les embal­lages ali­men­taires, les pein­tures et les câbles, autant de pro­duits que l’on retrou­ve dans ces zones. Ces pro­duits sont égale­ment sus­cep­ti­bles de présen­ter des pro­fils PFAS dif­férents.

La nou­velle étude met en évi­dence la dif­fi­culté à éval­uer les PFAS à l’échelle mon­di­ale. Il existe un très grand nom­bre de com­posés chim­iques PFAS dif­férents. À tel point que l’on ne sait tou­jours pas com­bi­en il en existe réelle­ment. Les PFAS étant présents dans de nom­breux pro­duits, il est dif­fi­cile d’identifier chaque source de façon unique.

Compte tenu du grand nom­bre de PFAS en cir­cu­la­tion, il est dif­fi­cile de savoir lesquels tester. Les chercheurs de la nou­velle étude ont recher­ché 34 sub­stances chim­iques PFAS, ce qui n’est pas une mince affaire. Pour chaque PFAS mesuré, l’analyse prend plus de temps et d’argent et les choses se com­pliquent.

Cela pour­rait ne con­stituer que la par­tie émergée de l’iceberg. La somme des con­cen­tra­tions de ces 34 PFAS représen­tait moins de 1% du total des com­posés organoflu­o­rés présents dans les mêmes échan­til­lons, de sorte que la con­cen­tra­tion réelle de PFAS pour­rait être encore plus élevée.

Une approche basée sur les classes de polluants

His­torique­ment, les pro­duits chim­iques indi­vidu­els ont été inter­dits en fonc­tion de leur tox­i­c­ité, de leur per­sis­tance et de leur résis­tance à la dégra­da­tion. Cela a invari­able­ment con­duit au rem­place­ment des pro­duits chim­iques inter­dits par des pro­duits sim­i­laires en ter­mes de struc­ture chim­ique.

Il serait impos­si­ble d’évaluer 10 000 PFAS de façon indi­vidu­elle. Les PFAS présen­tent des niveaux vari­ables de tox­i­c­ité et de per­sis­tance, cer­tains se décom­posant assez facile­ment. Ces dernières années, les chimistes de l’environnement ont demandé que les PFAS soient régle­men­tés ensem­ble en tant que groupe (ou caté­gorie) de molécules.

L’Agence européenne des pro­duits chim­iques envis­age une propo­si­tion de restric­tion visant à inter­dire la fab­ri­ca­tion et l’utilisation des PFAS, avec quelques déro­ga­tions pour des util­i­sa­tions essen­tielles lorsqu’il n’existe pas d’alternatives. Si cette propo­si­tion est accep­tée par les États mem­bres, elle pour­rait con­stituer une étape impor­tante vers le début de la fin de ces pol­lu­ants éter­nels. Pen­dant ce temps, la lég­is­la­tion bri­tan­nique prend du retard en se con­cen­trant sur des PFAS indi­vidu­els, avec des retards dans la mise en œuvre de nou­velles restric­tions.

Il est intéres­sant de not­er que les farts con­tenant des PFAS ont été inter­dits par la Fédéra­tion inter­na­tionale de ski et de snow­board au début de la sai­son 2023- 2024. La médail­lée d’argent olympique norvégi­en­ne Ragn­hild Mow­inck­el a d’ailleurs été dis­qual­i­fiée en octo­bre dernier pour avoir con­cou­ru avec du fart au flu­or.

Mais une inter­dic­tion qui ne s’applique qu’aux com­péti­tions pro­fes­sion­nelles n’empêchera pas les pro­duits chim­iques con­tenant des PFAS d’atteindre les pistes de ski. Il est essen­tiel d’interdire la fab­ri­ca­tion de pro­duits con­tenant des PFAS. Ce n’est qu’à cette con­di­tion que nous pour­rons empêch­er les PFAS de se répan­dre dans les mon­tagnes. Même avec une inter­dic­tion com­plète dès aujourd’hui, les PFAS déjà présents dans la neige ne dis­paraîtront pas de mon vivant.

Cet arti­cle est repub­lié à par­tir de The Con­ver­sa­tion, sous licence Cre­ative Com­mons. Il a été rédigé par Daniel Drage, maître de con­férences en san­té envi­ron­nemen­tale à l’Uni­ver­sité de Birm­ing­ham Vous pou­vez lire l’article orig­i­nal ici.

Pho­to d’illustration : © Maarten Duineveld/Unsplash

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