Reportage

Les entrepreneurs du Mouvement Impact France en quête d’une économie de la paix

Mercredi 30 août, le mouvement Impact France a tenu la cinquième édition de son Université d’été de l’économie de demain à la Cité universitaire, à Paris. Une journée riche en débats pour faire advenir une économie de la paix.
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C’est dans les boîtes. Après les deux jours de ren­con­tres du Mou­ve­ment des entre­pris­es de France (Medef) à l’Hippodrome de Longchamp (notre reportage), c’est au tour du Mou­ve­ment Impact France, un réseau d’entrepreneur·ses qui veut remet­tre les enjeux écologiques et soci­aux au cœur de l’entreprise, de faire sa ren­trée, ce mer­cre­di 30 août. Un poil moins guindée, un chouïa moins mas­cu­line, et quelques rides en moins, la cinquième édi­tion des Uni­ver­sités d’été de l’économie de demain (UEED) prend ses quartiers dans le superbe bâti­ment de la Cité uni­ver­si­taire, dans le sud de Paris.

Entrepreneur·es de l’économie sociale et sol­idaire (ESS), start-ups à impact, entre­pris­es à mis­sion, sci­en­tifiques et femmes et hommes poli­tiques, s’y retrou­vent pour ten­ter d’inventer une «économie de la paix». Car «l’économie con­tem­po­raine ne rem­plit pas effi­cace­ment son rôle de développe­ment, d’inclusion et de partage des ressources, ont déploré 100 chefs d’entreprises dans un man­i­feste paru en juil­let. Elle échoue à fournir des emplois dignes au plus grand nom­bre, à don­ner toute sa place aux diver­sités, à s’engager vers la sobriété, quand elle ne con­tribue pas directe­ment à exac­er­ber les ten­sions par sa ges­tion des êtres humains et de la nature.»

De nouvelles règles du jeu

Sur scène, le min­istre de l’industrie Roland Les­cure et le député de la France insoumise François Ruf­fin ouvrent le bal des échanges libres. Ce dernier fustige «la con­cur­rence dev­enue un poi­son» : «le libre-échange n’est pas l’harmonie entre les peu­ples, il abaisse le droit du tra­vail, les normes envi­ron­nemen­tales, fis­cales». Bien au fait de la fibre sociale de son pub­lic, le min­istre Renais­sance lui emboîte le pas : «Je veux réc­on­cili­er la fin du monde et la fin du mois, notam­ment dans l’industrie : con­di­tion­ner les aides publiques et garder l’œil sur la com­péti­tiv­ité».

Le député insoumis défend le rôle stratège de l’État pour opér­er «une trans­for­ma­tion com­plète de la société» et un change­ment d’imaginaire «de la guerre de tous con­tre tous». En juin dernier, il avait médi­atisé le con­cept d’«économie de guerre cli­ma­tique», notam­ment dans un grand entre­tien à Vert, pour relever les défis de la bifur­ca­tion écologique. De son côté, le min­istre l’assure : «Les patrons de Total, Arcelor, LVMH sont tous con­va­in­cus qu’il faut y aller», et faire la tran­si­tion écologique. Il vante aus­si la plan­i­fi­ca­tion mise en place par Emmanuel Macron et pilotée par la pre­mière min­istre Élis­a­beth Borne.

Dans un jeu de miroir, le nou­veau coprési­dent du Mou­ve­ment Impact et directeur général de la MAIF, Pas­cal Demurg­er, et le min­istre de l’économie, Bruno Le Maire, exam­i­nent les «règles du jeu pour une économie de la paix». Au-delà de l’assertion con­v­enue «économie et enjeux écologiques et soci­aux ne sont pas incom­pat­i­bles», Bruno Le Maire rap­pelle qu’il veut faire de la France «la pre­mière économie décar­bonée en Europe à hori­zon 2040». Pas­cal Demurg­er pose que «face au mur écologique et au mur social, ce n’est pas en réfor­mant à la marge le sys­tème qu’on va pass­er le cap» et martèle que les aides publiques aux entre­pris­es doivent être accordées selon des critères soci­aux et envi­ron­nemen­taux. Le min­istre recon­naît que la loi Indus­trie verte, pro­mul­guée cet été, qui con­di­tionne l’accès aux marchés publics aux entre­pris­es ayant réal­isé leur bilan car­bone, est «un point de départ». Le coprési­dent du mou­ve­ment Impact sug­gère plus de fis­cal­ité com­porte­men­tale. Il pro­pose par exem­ple des taux dif­féren­ciés sur l’impôt sur les sociétés : les béné­fices dis­tribués aux action­naires pour­raient être plus large­ment taxés que les béné­fices réin­vestis dans l’entreprise. Plaidoy­er réus­si pour le Mou­ve­ment Impact ? Bruno Le Maire se dit «ouvert» à toutes les idées, y com­pris celles de son «voisin de gauche».

Bruno Le Maire et Pas­cal Demurg­er aux Uni­ver­sités d’été de l’é­conomie de demain. © Juli­ette Quef/Vert

De la compétition à la «coopétition»

Entre les pitchs de start-ups, les fresques et autres «work­shops», la journée recèle de débats four­nis. Face à la jour­nal­iste de Blast Palo­ma Moritz, Dominique Steil­er, doc­teur en man­age­ment de l’U­ni­ver­sité de New­cas­tle, tit­u­laire de la chaire Mind­ful­ness, bien-être au tra­vail et paix économique à Greno­ble École de Man­age­ment, veut anéan­tir la guerre et la com­péti­tion à la racine. Il sug­gère d’instaurer de nou­veaux critères de réus­site ; à moyen terme, de for­mer les futurs man­agers ; à long terme, de chang­er tout le sys­tème édu­catif pour met­tre en place «les con­di­tions d’un sen­ti­ment de paix» qui intè­gr­eraient «notre côté vul­nérable et sen­si­ble».

Aus­si, peut-on con­serv­er un mod­èle basé sur la com­péti­tion qui casse les prix, détru­it les emplois et le vivant, et accroît les iné­gal­ités et la pol­lu­tion ? Ne faut-il pas pass­er «en mode coali­tion» ? Dans un autre pan­el, le Haut com­mis­saire à l’inclusion dans l’emploi et à l’engagement des entre­pris­es, Thibaut Guil­luy, déclare : «la coopéra­tion ne se décrète pas. C’est un chemin et c’est aux pou­voirs publics de créer les con­di­tions de la coopéra­tion». Par la voix de son prési­dent Eric Chenut, la Mutu­al­ité française défend son mod­èle de coopéra­tion. Elle a créé Mutuelle Impact, un regroupe­ment de 63 mutuelles et 80 mil­lions d’euros mis en com­mun avec des col­lec­tiv­ités locales pour accom­pa­g­n­er des start-ups et des entre­pris­es en tran­si­tion dans le social. Même son de cloche du côté de Loom et de sa fon­da­trice et coprési­dente du Mou­ve­ment Impact, Julia Fau­re, qui voit trois niveaux de «coopéti­tion» (mélange de coopéra­tion et com­péti­tion) entre entre­pris­es : d’abord sur le «busi­ness», ensuite les enjeux de la fil­ière et, enfin, un com­bat plus grand «qui nous ani­me». C’est pourquoi elle a cofondé le col­lec­tif En mode cli­mat qui regroupe de nom­breux acteurs du tex­tile et demande la fin de la fast fash­ion. «Notre intérêt économique est le même que celui de la planète», avance-t-elle. C’est aus­si le cas de beau­coup d’entreprises de l’économie sociale et sol­idaire croisées au fil de la journée, notam­ment les Licoornes — ces coopéra­tives qui veu­lent «trans­former rad­i­cale­ment l’économie».

Encore la croissance verte

Mais la coopéra­tion dans un sys­tème «respon­s­able de destruc­tions envi­ron­nemen­tales et des acquis soci­aux depuis les années 1980» est-elle effi­cace ? Invité comme «sniper», le prési­dent de l’association Alter Kap­i­tae Gabriel Malek, vient chahuter la table ronde et cible le cap­i­tal­isme lui-même. Il l’accuse aus­si de pro­pos­er des mirages comme celui de «l’avion vert», le pro­jet Tilen­ga ‑un pipeline gigan­tesque à tra­vers l’Afrique de l’Est- ou la 6G.

La prési­dente de la région Occ­i­tanie Car­ole Del­ga livre alors un plaidoy­er en faveur de la crois­sance verte : «je crois à la crois­sance verte non lim­itée au PIB, la crois­sance de la con­nais­sance», avant d’enchaîner «je pense que l’avion est néces­saire pour la ren­con­tre des peu­ples, pour com­pren­dre d’autres mod­èles de cul­ture». Eric Chenut vante aus­si une «crois­sance verte au ser­vice de l’humain» qui serait mesurée par une «PIBE», une par­tic­i­pa­tion intérieure au bien-être. Inter­rogé par Vert, Pas­cal Demurg­er se dit «favor­able à une réflex­ion sur la décrois­sance. Mais pour l’instant, je ne sais pas com­ment elle fonc­tionne et je ne vois pas com­ment con­va­in­cre les acteurs». Une réflex­ion pour l’année prochaine ?