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L’Autorité de sûreté nucléaire pointe la « fragilité inédite » du parc français

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Nuke, la police. Mar­di, le prési­dent de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a présen­té un bilan sans con­ces­sion de la sit­u­a­tion du parc français, alors que plus de la moitié des réac­teurs sont à l’arrêt et que l’en­gorge­ment du sys­tème de ges­tion des com­bustibles inquiète. Les promess­es de relance d’Em­manuel Macron en ont aus­si pris pour leur grade.

Lors de sa présen­ta­tion aux par­lemen­taires (voir la vidéo) de son rap­port pour l’an­née 2021, le patron de l’ASN, Bernard Doroszczuk, en a prof­ité pour dis­tribuer les bons et les mau­vais points aux acteurs de la fil­ière. Il a com­mencé par une bonne appré­ci­a­tion générale, jugeant la sûreté des instal­la­tions nucléaires « sat­is­faisante ». Mais une série d’aver­tisse­ments s’en est ensuiv­ie : « le sys­tème nucléaire doit faire face à dou­ble fragilité inédite, qui résulte pour l’essentiel de l’absence de marge et d’un déficit d’anticipation », s’est-il notam­ment inquiété.

La pre­mière fragilité tient tout d’abord au fait qu’un nom­bre record de 29 réac­teurs (sur 56) est actuelle­ment à l’ar­rêt. Aux inter­rup­tions déjà prévues pour con­trôle, main­te­nance ou recharge­ment du com­bustible (un cal­en­dri­er d’ailleurs com­pliqué par la pandémie), s’est ajouté un phénomène inat­ten­du et encore large­ment inex­pliqué : EDF a dû met­tre sur pause douze réac­teurs dont les tuyau­ter­ies sont atteintes par la cor­ro­sion (Vert). Alors que des con­trôles sont encore en cours pour déter­min­er l’o­rig­ine et l’am­pleur de ces anom­alies, le prési­dent de l’ASN a prévenu que les travaux de répa­ra­tion dur­eraient plusieurs années. De quoi grev­er sig­ni­fica­tive­ment la pro­duc­tion nucléaire.

L’autre fragilité tient aux dys­fonc­tion­nements con­statés depuis plusieurs années dans la ges­tion du com­bustible usé, qui con­duisent notam­ment à une sat­u­ra­tion pré­maturée des lieux d’en­tre­posage. « Ces dif­fi­cultés, si elles s’ag­gra­vaient, pour­raient frag­ilis­er le fonc­tion­nement des cen­trales nucléaires dans la mesure où elles ne pour­raient plus évac­uer les com­bustibles usés de leurs instal­la­tions », a prévenu Bernard Doroszczuk. Cer­taines de ces sit­u­a­tions sont pour­tant con­nues depuis longtemps. L’ar­rivée à sat­u­ra­tion, au plus tard en 2030, de la piscine de refroidisse­ment des com­bustibles usés de la Hague (Manche) est sue depuis 2010. Or, une deux­ième piscine ne sera pas prête avant 2034, au plus tôt.

Emmanuel Macron, le 10 févri­er, dans l’usine Steam pow­er de Gen­er­al elec­tric de Belfort. © Jean-Fran­cois Badias / AFP

Dans ce con­texte, Bernard Doroszczuk s’est per­mis quelques mis­es au point cen­sées tem­pér­er l’enthousiasme, aus­si récent qu’immodéré, du prési­dent de la République pour l’atome. Le 10 févri­er dernier, Emmanuel Macron a en effet annon­cé son souhait de con­stru­ire 6 à 14 nou­veaux réac­teurs et de pro­longer « tous les réac­teurs qui peu­vent l’être » au-delà de cinquante années d’exploitation (Vert). Or, selon le gen­darme nucléaire, ce scé­nario « risque d’en­gager le sys­tème élec­trique dans une impasse, en par­ti­c­uli­er dans le cas où le nom­bre réac­teurs aptes à fonc­tion­ner jusqu’à ou au-delà de 60 ans serait finale­ment insuff­isant ou con­nu tar­di­ve­ment ».

L’ASN, qui délivre les autori­sa­tions décen­nales d’ex­ploita­tion aux cen­trales, indique qu’« à ce stade, les élé­ments ne per­me­t­tent pas de con­clure que la pour­suite de cer­tains réac­teurs est acquise au-delà de cinquante ans ». Surtout, ces chantiers devraient s’an­ticiper d’au moins 10 à 15 ans pour être cor­recte­ment menés, juge-t-il.

Enfin, le prési­dent de l’ASN rap­pelle que « la relance des activ­ités nucléaires rend la ques­tion des déchets encore plus prég­nante », celle-ci étant déjà « sen­si­ble et sujet à con­tro­ver­s­es ». En par­ti­c­uli­er, Bernard Doroszczuk prévient que la con­struc­tion de nou­veaux réac­teurs et/ou la pro­lon­ga­tion d’autres, entraîn­erait « for­cé­ment » une exten­sion du cen­tre d’en­fouisse­ment des déchets haute­ment radioac­t­ifs Cigéo à Bure (Meuse). Il a invité à se pos­er dès à présent « toutes les ques­tions liées à l’emprise du pro­jet et à l’ac­cep­ta­tion du pub­lic » alors que la con­tro­verse est déjà vive.