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Emmanuel Macron relance le nucléaire français sans demander l’avis des citoyens

Jeudi, Emmanuel Macron a annoncé la « renaissance du nucléaire français », avec la construction de six nouveaux réacteurs EPR2 et l'ébauche de huit autres. Comme par le passé, les Français n'auront pas été consultés, malgré les profondes transformations que ce choix implique.
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Et en même temps. Depuis Belfort (Ter­ri­toire de Belfort), où il s’est ren­du pour annon­cer le rachat de Gen­er­al Elec­tric par EDF, le prési­dent en cam­pagne a fixé un nou­veau cap pour le futur énergé­tique du pays. Tant pis pour celles et ceux qui espéraient une tran­si­tion franche vers un mix énergé­tique com­posé à 100% de renou­ve­lables – ou tout-nucléaire, d’ailleurs. « Aucun expert ne dit que ces deux sché­mas sont réal­istes, sérieux, pos­si­bles pour la nation, a‑t-il tranché, s’ap­puyant sur la récente étude du ges­tion­naire de réseau RTE, qui a ébauché six pistes vers la sor­tie des fos­siles pour 2050 (notre arti­cle). Avec l’élec­tri­fi­ca­tion de nom­breux usages et la fin pro­gram­mée des éner­gies fos­siles à plus ou moins longue échéance, « la réal­ité […], c’est que nous n’avons d’autre choix que de miser en même temps sur ces deux piliers », a jugé Emmanuel Macron.

Emmanuel Macron, ce jeu­di, dans l’u­sine Steam pow­er de Gen­er­al elec­tric de Belfort. Jean-Fran­cois Badias / AFP

Une manière de clore un débat qui mérite pour­tant d’être posé : l’as­so­ci­a­tion negaWatt a échafaudé des scé­nar­ios vers le tout-renou­ve­lable (voir ci-dessous) ; s’ils posent des défis tech­niques indé­ni­ables, ils ne sont pas hors d’at­teinte. Mais pour cela, il faudrait se résoudre à davan­tage de sobriété, ce que n’en­vis­age pas le prési­dent. Au reste, trois des six scé­nar­ios de RTE envis­agent de ne pas con­stru­ire de nou­veaux réac­teurs, con­traire­ment à ce qu’a indiqué Emmanuel Macron.

Ain­si, Emmanuel Macron a promis le début des travaux « à hori­zon 2028 » de six réac­teurs à eau pres­surisée EPR2, pour une mise en ser­vice d’i­ci 2035. Un délai qui impose de pro­longer la durée de vie de « tous les réac­teurs nucléaires qui peu­vent l’être sans rien céder sur la sûreté », au-delà de 50 ans dans la mesure du pos­si­ble. Le dis­cours du can­di­dat de 2022 tranche avec celui qui fut le sien cinq ans plus tôt : « Nous réduirons notre dépen­dance à l’énergie nucléaire, avec l’objectif de 50% d’énergie nucléaire à l’horizon 2025 », promet­tait l’aspi­rant à l’Elysée en 2017. Un an plus tard, il déclarait vouloir fer­mer 14 réac­teurs d’i­ci 2035. A Belfort, il a annon­cé que huit EPR 2 sup­plé­men­taires étaient à l’é­tude, soit un total de… 14 nou­veaux réac­teurs. Il a égale­ment promis de « dou­bler la pro­duc­tion élec­trique des éner­gies renou­ve­lables d’ici 2030 ». 50 parcs éoliens en mer devraient voir le jour d’i­ci 2050, et la capac­ité de l’éolien ter­restre devrait être mul­ti­pliée par deux.

Une drôle de conception du débat

Pour que l’on ne l’ac­cuse pas de décider seul, le prési­dent a promis « une large con­cer­ta­tion du pub­lic » qui « aura lieu au sec­ond semes­tre 2022 sur l’énergie, puis des dis­cus­sions par­lemen­taires se tien­dront en 2023 pour révis­er la pro­gram­ma­tion pluri­an­nuelle de l’énergie », le texte qui fixe la stratégie nationale en matière de tran­si­tion énergé­tique. Des dis­cus­sions qui inter­vi­en­nent, donc, après que le prési­dent aura tranché.

Une fois encore, comme ce fut le cas à chaque généra­tion de cen­trales nucléaires, l’exé­cu­tif engage le pays dans la con­struc­tion de réac­teurs sans avoir con­sulté les citoyen·nes — ni même leurs représentant·es à l’Assem­blée nationale. En décem­bre dernier, la Com­mis­sion nationale du débat pub­lic (CNDP) avait jugé dans un avis qu’il s’agis­sait pour­tant d’« un choix démoc­ra­tique majeur, engageant les généra­tions futures. Toute per­son­ne vivant en France doit pou­voir être pleine­ment infor­mée de ces enjeux et par­ticiper à l’élaboration des déci­sions con­cer­nant cette poli­tique. Faute de débat, il est à crain­dre « une rad­i­cal­i­sa­tion des con­flits et un accroisse­ment de la défi­ance à l’égard des respon­s­ables publics », avait prévenu la CNDP.

La dis­cus­sion publique appa­raît d’au­tant plus néces­saire qu’il s’ag­it, ni plus ni moins, que d’en­gager le pays dans des trans­for­ma­tions pro­fondes qui doivent lui per­me­t­tre d’af­fron­ter le boule­verse­ment du cli­mat. En out­re, le seul réac­teur mis en chantier depuis 1991, c’est l’EPR de Fla­manville (Manche), véri­ta­ble fias­co indus­triel. Ce réac­teur de nou­velle généra­tion, en travaux depuis 2007, devait entr­er en ser­vice cinq ans plus tard et coûter trois mil­liards d’eu­ros ; à cause d’in­nom­brables retards, il ne devrait pas com­mencer à pro­duire avant la mi-2023, et la fac­ture s’est envolée à 19 mil­liards d’eu­ros, selon la Cour des comptes.

Out­re le tor­rent de cri­tiques de la droite, qui lui reproche d’avoir viré sa cuti, ou de la gauche, qui tance son entête­ment dans le nucléaire, les annonces du prési­dent ont par­ti­c­ulière­ment inspiré les réseaux soci­aux. Mieux vaut en rire, à défaut d’avoir son mot à dire.

Pour tout com­pren­dre aux mille sujets qui entourent l’atome, lisez notre dossier sur les neuf idées reçues qui pol­lu­ent les débats sur le nucléaire.