Reportage

L’Assemblée générale de TotalEnergies fortement perturbée par des organisations écologistes

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Ce ven­dre­di matin à Paris, 700 activistes, selon les organisateur·ices, ont per­tur­bé la tenue de l’Assemblée générale du pétroli­er Total­En­er­gies. Un impor­tant dis­posi­tif polici­er a per­mis aux action­naires d’accéder à l’événement. Vert y était.

«Patrick, on est là, ton AG ne passera pas», scan­dent les manifestant·es, assis·es aux abor­ds de la salle Pleyel, dans le très chic huitième arrondisse­ment de Paris, où se tenait, ven­dre­di matin, l’Assemblée générale de la multi­na­tionale pétrolière Total­En­er­gies. Avec 19 mil­liards d’euros (20,5 mil­liards de dol­lars) de béné­fices en 2022, celle-ci prévoy­ait de dis­tribuer des div­i­den­des record de 9,4 mil­liards d’euros. Les asso­ci­a­tions Alter­nat­i­ba Paris, Green­peace, Les amis de la Terre, Attac, Sci­en­tifiques en Rébel­lion et Extinc­tion Rebel­lion avaient prévenu : l’Assemblée générale de Total­En­er­gies ne devait pas avoir lieu.

Depuis six heures du matin, les miltant·es occu­pent les abor­ds de la salle Pleyel et ten­tent de blo­quer l’accès aux action­naires. © Vert / Alban Leduc

Dès six heures du matin, 700 activistes, selon les organisateur·ices, blo­quent la rue du Faubourg Saint-Hon­oré qui per­met l’accès à la salle Pleyel. Parce que «Total s’en met plein les poches alors que les Français galèrent», explique le porte-parole d’Alternatiba Paris, méga­phone à la main. «Total veut nous faire croire qu’ils ont changé, mais ils ont con­stru­it leur empire sur la pré­da­tion de ressources naturelles et les vio­la­tions de droits humains», juge Juli­ette Renaud, porte-parole des Amis de la Terre, qui dénonce une «stratégie d’expansion agres­sive». Dans leur viseur, les «bombes cli­ma­tiques» que représente le dou­ble pro­jet Tilen­ga et Eacop, futur plus long pipeline chauf­fé au monde qui doit voir le jour en Ougan­da.

Présente dans la foule, l’activiste Camille Eti­enne explique à Vert : «Je ne peux pas les laiss­er manger des petits fours sans venir trou­bler la fête». Les mil­i­tantes de l’organisation Youth for cli­mate, l’Alle­mande Luisa Neubauer, la Belge Ade­laïde Char­li­er et l’Ougandaise Patience Nabukalu sont venues dire que «les pro­jets mor­tifères de Total nous touchent aus­si».

Les militant·es du col­lec­tif Sci­en­tifiques en rébel­lion en blous­es blanch­es déroulent leur ban­de­role aux couleurs des ban­des du réchauf­fe­ment cli­ma­tique. Chris­tine, 74 ans et 8 petits enfants, anci­enne chercheuse en physique et en his­toire des sci­ences au CNRS, veut «faire pren­dre con­science du rôle de Total dans le dérè­gle­ment cli­ma­tique». «Cela fait 20 ans que le Giec dit qu’il faut arrêter tout nou­veau gise­ment d’énergies fos­siles. Le dis­cours sci­en­tifique est inaudi­ble», déplore la retraitée. Le spé­cial­iste de la géopoli­tique du cli­mat et mem­bre du Giec François Gemenne, qui affirme son sou­tien aux activistes, pré­cise : «il faut détourn­er cet argent et l’investir dans les éner­gies renou­ve­lables plutôt que dans les fos­siles.»

Les sci­en­tifiques en rébel­lion rap­pel­lent que «la sci­ence est claire, il faut sor­tir des éner­gies fos­siles». © Vert / Alban Leduc

C’est ce que comp­taient appuy­er les 17 action­naires du col­lec­tif d’activistes Fol­low This, qui déti­en­nent 1,5% de l’entreprise. Le groupe, notam­ment com­posé de La Banque postale et d’Edmond Roth­schild, a soumis au vote une réso­lu­tion deman­dant à Total­En­er­gies d’align­er ses objec­tifs cli­ma­tiques sur l’ac­cord de Paris pour le cli­mat. Elles et ils dénonçaient le fait que la multi­na­tionale ne tienne pas compte des émis­sions liées à l’u­til­i­sa­tion d’énergies fos­siles de ses clients (dites de Scope 3), qui représen­teraient pour­tant près de 90% de son bilan car­bone. Cette réso­lu­tion a été rejetée.

Chants, musique et dans­es, les activistes occu­pent les lieux dans un esprit fes­tif devant le bar­rage polici­er. © Vert / Alban Leduc

Les eurodéputées Marie Tou­s­saint et Manon Aubry sont aus­si présentes dans la foule. «Je suis là pour réaf­firmer la néces­sité d’encadrer les entre­pris­es, de réen­cas­tr­er l’économie dans les lim­ites plané­taires, car les lois de l’économie ne sont pas au-dessus des lois de la nature», explique Marie Tou­s­saint.

Pour garan­tir l’accès des action­naires à l’Assemblée générale, un impor­tant dis­posi­tif polici­er est déployé, qui n’hésite pas user de gaz et de matraques ; des méth­odes aus­sitôt dénon­cées par les organisateur·ices. «Je n’avais jamais vu ça. C’est un dis­posi­tif polici­er prêt à tout pour que les action­naires ren­trent, au prix de vio­lences impor­tantes sur des activistes non-vio­lents», sig­nale Lorette Philip­pot des Amis de la Terre. «Le ser­vice pub­lic de main­tien de l’ordre est mis à la dis­po­si­tion d’une multi­na­tionale privée», con­damne Jean-François Jul­liard, directeur général de Green­peace France.

Les forces de l’ordre empêchent le blocage de la rue en tirant les manifestant·es à terre et à ren­forts de gaz lacry­mogène. © Vert/Alban Leduc

Au cours de la mat­inée, chants, slo­gans, pris­es de parole et per­for­mance de danse du col­lec­tif d’artistes Minu­it 12 s’enchaînent sous un soleil radieux. Vers 9 heures, les pre­miers action­naires ten­tent d’accéder à l’assemblée, empêchés par les militant·es qui les encer­clent, les qual­i­fi­ant de «crim­inels». «C’est pas nous les pol­lueurs, c’est les Chi­nois et les Améri­cains», lance l’un d’eux. «C’est nul, on est agressés, on nous prive de lib­erté alors qu’on n’a rien demandé», s’époumone une autre. Certain·es action­naires n’hésitent pas à enjam­ber les manifestant·es pour pass­er, voire à pouss­er vio­lem­ment.

Si les militant·es n’ont pas réus­si à blo­quer totale­ment le raout financier qui se tenait égale­ment en ligne, elles et ils l’auront forte­ment per­tur­bé. «Main­tenant, plus aucune multi­na­tionale de l’énergie n’échappera à des per­tur­ba­tions», prédit Jean-François Jul­liard. Ven­dre­di soir, six activistes étaient tou­jours en garde à vue.