Décryptage

« Nature positive » : derrière un objectif de restauration des écosystèmes, le greenwashing en embuscade

À Montréal (Canada), où se tient la 15ème conférence mondiale (COP15) sur la biodiversité, un terme fait florès : « nature positive » (c’est en anglais). Tour d’horizon d’un concept-parapluie qui abrite le meilleur comme le pire.
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La positive attitude. Entre les pavillons des ONG et les représentations des pays, une vaste salle du palais des congrès de Montréal est dédiée aux initiatives pour restaurer le vivant. Sur un mur, un graphique dessine la trajectoire idéale : après un effondrement inédit des populations animales et végétales ces dernières décennies, la courbe se redresse, atteint un point d’équilibre en 2030 puis réussit l’exploit d’une « régénération complète » en 2050.

Au palais des congrès de Montréal, l’indicateur de biodiversité montre l’effondrement du vivant puis une inversion de la courbe pour atteindre une neutralité “positive” en 2030 et la restauration complète des écosystèmes en 2050. © Juliette Quef / Vert

« Plus de biodiversité en 2030 qu’aujourd’hui : c’est ça, le nature positive », explique à Vert Pierre Cannet, directeur du plaidoyer et des campagnes de WWF France. Porté par des ONG telles que Birdlife ou WWF, ainsi que par des coalitions d’entreprises, cet objectif se veut l’équivalent pour la biodiversité de la neutralité carbone – principe selon lequel il faudrait diminuer nos émissions de gaz à effet de serre (GES) au maximum et compenser les émissions restantes en capturant du carbone dans l’atmosphère.

« À chaque COP, un nouveau concept de greenwashing »

« La “biodiversité positive” ? Nous ne savons même pas ce que c’est ! », s’est exclamée Souparna Lahiri, de la coalition Global Forest, lors d’une table ronde sur les « fausses solutions pour éviter l’effondrement du vivant ». Plusieurs organisations, qui trouvent le concept peu clair, flairent un risque de greenwashing de la part du secteur privé. Pour parvenir à un effet « positif » sur le vivant, certaines grandes entreprises n’hésitent pas à faire de la « compensation écologique » : c’est-à-dire à contrebalancer leurs destructions de biodiversité par la restauration de milieux naturels ailleurs. De quoi vanter un impact neutre, voire positif, sur le vivant.

WWF, Global forest ou les Amis de la Terre international condamnent la vision marchande, voire « comptable », associée à ce type de compensation qui conduit à faire la somme entre destructions et créations de vie. « Une forêt primaire détruite n’est pas la même chose que replanter des eucalyptus plus tard. Le territoire a une valeur spirituelle et culturelle qui dépasse le reste », explique Caroline Prak des Amis de la Terre. Par extension, « Nature positive, c’est un permis pour détruire plus, juge sa collègue Nele Marien, coordinatrice du programme biodiversité de l’ONG. On nous promet une restauration, mais cela n’arrive jamais. 90% des projets sont mauvais : ce sont des plantations de monocultures, de la géo-ingénierie, des OGM ». Celle-ci déplore qu’« à chaque COP, un nouveau concept de greenwashing » soit mis en avant.

Le stand de « Nature positive » au Palais des Congrès de Montréal © UN biodiversity / Flickr

Une chose est sûre : les entreprises se sont déjà emparées du terme de « nature positive ». « Nous pensons que le concept de “Nature positive” en lui-même est très attractif », s’est ainsi réjouie Catherine Remy, vice-présidente de TotalEnergies en charge de l’environnement et du social, lors d’une table ronde intitulée « intégrer la biodiversité au business » à Montréal (notre article). TotalEnergies, tout comme British Petroleum (BP) ou Ikea, fait partie du Conseil mondial des entreprises pour le développement durable qui soutient officiellement l’initiative. Malgré la destruction de 2 000 kilomètres carrés d’habitats sauvages situé sur le tracé de son projet de pipeline Eacop entre l’Ouganda et la Tanzanie, TotalEnergies jure que celui-ci offrira un « gain net pour la biodiversité », car la firme jure qu’elle « apportera notamment son soutien aux ressources du parc des Murchison Falls pour contribuer à l’augmentation des populations d’animaux sauvages et contribuera à un programme de réintroduction du rhinocéros noir en Ouganda ».

« Les entreprises ici ne sont pas des lobbyistes, mais veulent contribuer et sont très engagées pour trouver des solutions », a avancé Marco Lambertini, directeur général de WWF International, sans que l’on sache s’il mentionnait aussi les pétroliers. À la COP15, le flou demeure sur le nombre de représentant·es d’intérêts privés présent·es ; la liste des participant·es ne sera rendue publique qu’à la fin de la quinzaine.

« Il est très clair que Total est sur notre liste noire des entreprises qui menacent le vivant, mais nous ne pouvons pas réduire le monde économique aux grandes compagnies pétrolières », assure Pierre Cannet ; « si le nature positive c’est de la compensation alors ce n’est pas du nature positive ». Présidente du comité français de l’Union internationale de conservation de la nature (UICN), qui soutient également le concept, Maud Lelièvre met l’accent sur la mise en place d’indicateurs clairs pour suivre l’évolution du vivant : « Pour transformer l’ambition en réalité, nous devons être en mesure d’évaluer et de suivre les progrès réalisés de manière vérifiable et basés sur la science. […] Comme pour des termes génériques comme “commerce équitable” ou “économie circulaire”, il faut être extrêmement vigilants dans la définition que nous lui donnons. »

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