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«La honte va aux marchands de pollutions» : atteinte d’un cancer, l’autrice Sandrine Roudaut raconte son choix de montrer son crâne chauve

Sandrine Roudaut est autrice et éditrice chez La Mer salée. Dans cette chronique, elle revient sur son cancer du sein, l’exposition politique de son crâne chauve et les responsables de cette «infamie». Avec force, audace et détermination.
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Les cheveux qui tombent… effet secondaire redouté, celui dont on te prévient le plus, la compassion dans la voix.

Parce qu’alors ton cancer se voit, dans chaque regard, dans le tien, dans ceux qui t’aiment. Tu n’y échappes plus, ce qui était déjà compliqué.

Et pour une femme les évocations s’emballent : atteinte à la féminité, marque de l’infamie, tondue après la guerre, dans les camps… une punition.

Sandrine Roudaut, autrice et éditrice de La mer salée. © DR

Sitôt mes derniers cheveux sur le sol, l’adorable coiffeuse bénévole aux cheveux bleus m’a parlé de Sinéad O’Connor [une autrice-compositrice irlandaise, NDLR], moi je pensais à Britney Spears. On la pensait folle, c’était peut-être son geste le plus censé.

Par ce geste elle disait : «Vous ne contrôlez pas mon corps, mon identité s’arrache de vos regards, essayez donc de me dépouiller encore.»

Entre infamie et Britney, j’avançais en bordure des deux. 15 minutes après, sur un marché estival bondé, sans l’avoir prémédité, j’ai enlevé mon bonnet. Simplement.

Un octobre pudiquement qualifié de «rose»

Un truc clochait, tête cachée je trahissais la puissance de vie qui enflait en moi depuis ce fameux diagnostic. J’ai refusé un diktat inconscient : me cacher.

La honte va aux marchands de pollutions, pesticides et autres particules, à ceux qui les autorisent, les votants de la loi Duplomb, ceux qui décident d’en faire de l’argent, idée de génie du gouvernement [dans son projet de budget pour 2026, NDLR] : réduire les indemnités des «affections de longue durée»… L’infamie, la vraie, semble ne pas avoir de limites.

Crâne rasé, je refusais l’accord tacite, ne pas déranger une société qui célèbre un octobre pudiquement qualifié de «rose», mais préfèrerait qu’on reste discrètes les 12 mois de l’année, combattives, victorieuses, mais discrètes.

Et m’affranchissais de la peur des regards. Comme Britney : ma valeur, mon devenir, je me les réapproprie. Je n’aurais jamais pensé l’assumer. C’est plutôt léger. Une évidence intime, rien de plus.

Crâne rasé, tête haute,

un geste intime et politique.

Conjurer le tabou,

se cramponner à la justesse.

La réalité pour récit.

La morale et l’Histoire.

Dans cette traversée, j’apprends à ne pas me soumettre à ce qui est attendu et à ne rien anticiper. Traitement après traitement, effet après effet, un matin après l’autre, je prête attention à mon corps, traquant le courant de la vie, je le suis pour me frayer un chemin sensé. Doux, souple et solide, le mien.

Depuis que je me balade ainsi, je croise des sourires de femmes, le regard appuyé, si chaleureux, que c’en est émouvant. Probablement des anciennes malades. Et je trouve assourdissante l’absence de nos crânes dans la rue, et même dans les couloirs du service cancérologie.

Alors je suis passée du refus de le cacher au désir de le montrer. L’évidence intime est devenue un geste politique. Entendez politique au sens large, ce que nous construisons ensemble.

Reste vous, votre regard, un regard est aussi intime qu’il est politique. Va-t-il changer ? Sur moi ? Sur cette «épidémie» ? C’est le mot employé par une revue scientifique.

Raz de marée

Une tête nue raconte la réalité brute, elle l’honore. Conjurer le tabou, me cramponner à la justesse.

Imaginez partout nos crânes rasés, dans les villes et dans les champs, sur les plateaux, à l’Assemblée, dans les commerces, aux terrasses de café, sur les réseaux, l’ampleur nous exploserait au visage.

Peut-être qu’un raz de marée de crânes rasés et de tout autre signe évident du cancer nous inviterait à poser honnêtement et brutalement le véritable sujet sur la table : pourquoi ? En disqualifiant cette phrase : «Oh, vous savez, c’est un peu compliqué.»

Moi, sur l’échelle des risques hérédité/hygiène de vie, je devais flirter avec le 0. Reste l’endroit où je vis…

Poser le sujet et le régler.

En sortant de la dialectique : donner plus de moyens aux labos pharmaceutiques pour tenter de régler les conséquences (cynisme subsidiaire le labo Bayer a racheté Monsanto…). En décidant d’en éradiquer la source.

Cancer colère ouvre la voie, porte nos voix

Je n’arrive pas à comprendre que la valeur de la vie humaine soit un sujet. Ce n’est pas de la naïveté, c’est ce qu’on appelle l’éthique, la morale, l’humanité, le sens. Des «principes» qui n’ont pas la côte, ce qui est fort commode pour normaliser l’absurde, l’indigne.

Ne laissons plus personne, jamais, faire diversion aux vrais sujets, se défausser avec du rose ou du vert, éluder les causes, les responsabilités, faire l’économie de la vérité, de l’honnêteté, posons les mots justes, montrons la réalité, ramenons la morale dans l’histoire, juste honorons la vie.

Pensées et reconnaissance envers toutes celles qui parlent, interpellent, par leur crâne ou autre chose. Je garde au cœur toutes les femmes, touchées de plus en plus jeunes, et nos enfants frappés par le cancer.

Toute ma gratitude à Fleur Breteau qui a créé Cancer Colère, «collectif ouvert de (ex et futurs) malades», qui ouvre la voie, porte nos voix. Qui rassemble les chiffres, études scientifiques et liens avérés, ainsi que les alertes du corps médical, dont une : la France est championne du monde du cancer du sein.

Sur ce, je reprends ma traversée, la foi intacte. Prenez soin de vous, de ce monde et de ce qu’il raconte.

Ce texte a été écrit par Sandrine Roudaut, autrice d’essais et de romans d’anticipation et éditrice pour la maison d’édition La mer salée. Il a été initialement publié sur ses réseaux sociaux.

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