Entretien

Johan Reboul et Victoria Guillomon : «Nous sommes venus incarner la sobriété dans une COP de la démesure»

Victoria Guillomon, 25 ans, et Johan Reboul, 24 ans, font un périple de six mois jusqu’en Inde, sans avion, pour réaliser un documentaire sur la préservation de l’eau et vulgariser ces enjeux sur leurs réseaux sociaux. Tous deux ont fait un détour par Dubaï pour intégrer la délégation française à la COP28 sur le climat. Rencontre.
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Qu’êtes-vous venus faire à la COP ?

Vic­to­ria : Nous sommes venus incar­n­er la sobriété. Nous sommes les seuls Européens à être venus sans avion. On a fait du stop, on est venus en camion et on a tra­ver­sé la fron­tière à pied. Deux jeunes qui n’ont pas de voiture, les Émi­rats n’ont pas l’habitude. Ça a été pas mal d’embrouilles.

Johan : Oui, et nous sommes venus porter le mes­sage de la préser­va­tion des ressources en eau.

Vic­to­ria Guil­lomon et Johan Reboul à la COP28 sur le cli­mat à Dubaï © Loup Espargilière/Vert

Cette halte fait partie d’un voyage plus long. Quand a‑t-il débuté et où en êtes-vous ?

Vic­to­ria : Nous sommes au tiers du voy­age. Cela fait deux mois que nous sommes par­tis. Après Dubaï, nous allons à Oman par la terre, prob­a­ble­ment en stop. Puis, nous chercherons un bateau pour rejoin­dre l’Inde où nous res­terons deux mois. Ce sera le gros du doc­u­men­taire. Beau­coup d’associations locales nous y atten­dent.

Johan : Dans chaque pays, nous étu­dions l’une des facettes de l’eau. En Égypte, c’était le partage de l’eau. En Ara­bie Saou­dite, les solu­tions, comme la désalin­i­sa­tion. En Inde, nous allons nous intéress­er aux pro­jets de citoyens qui n’attendent pas le gou­verne­ment pour agir.

Vic­to­ria : Ensuite, il nous restera un mois pour ren­tr­er en France fin mars, tou­jours sans avion.

Pourquoi avez-vous entrepris ce voyage ?

Johan : L’idée, c’est de mon­tr­er qu’on peut voy­ager dif­férem­ment. Et aus­si les dif­fi­cultés, car il n’y a pas tou­jours les infra­struc­tures dès que l’on veut se pass­er de l’avion. Tout cela dans le but de réalis­er un doc­u­men­taire sur l’eau. On sait que l’Inde est l’un des pays qui subit le plus de cat­a­stro­phes naturelles. On voulait étudi­er les prob­lèmes de l’Inde et en faisant notre tracé, on a remar­qué les pays que l’on tra­ver­sait subis­saient aus­si les impacts du change­ment cli­ma­tique. Le plus mar­quant, c’était l’eau : la sécher­esse par exem­ple. Alors, nous avons décidé de racon­ter les enjeux autour de cette ques­tion.

Vic­to­ria : On veut démoc­ra­tis­er ces enjeux. Mais aus­si met­tre en avant les solu­tions pour que les gens repar­tent avec des actions con­crètes. Nous voulons inciter à l’action. C’est aus­si ce que nous incar­nons sur nos réseaux soci­aux : une note de pos­i­tiv­ité.

Avez-vous trouvé des diffuseurs pour votre documentaire ?

Johan : Rien n’est fixé. Nous n’avons pas de for­mat pré­cis en tête. On laisse faire la spon­tanéité et les ren­con­tres.

Quelles étapes vous ont le plus marqué jusqu’à maintenant ?

Vic­to­ria : L’Égypte, ça a été un gros coup de cœur. On nous dis­ait que c’était dan­gereux, donc on est arrivés avec plein de préjugés. On s’est sen­ti hyper bien accueil­li, et on y mange bien en tant que végé­tariens.

Johan Reboul et Vic­to­ria Guil­lomon font du stop pour se ren­dre en Egypte. © DR

Johan : L’aventure dans le désert avec une famille alle­mande, une fille et son père, pen­dant qua­tre jours m’a beau­coup mar­quée. On a vécu pas mal de galères, on a crevé au milieu du désert. On a dû chang­er le pneu d’un gros camion sans aucune aide. Ça a été très intense. Ça donne de l’humilité, et ça remet chaque chose à sa place. Le voy­age est intense et on a du mal à digér­er tout ce qu’on vit. Chaque journée est l’équivalent d’une semaine.

Quelles leçons en tirez-vous ?

Johan : On a plus flip­pé à cause des mis­es en garde des gens que dans la réal­ité. Ce sera l’un des mes­sages du doc­u­men­taire : remet­tre l’humain au cœur des enjeux et redonner foi en l’humanité. On n’a jamais ressen­ti d’insécurité dans aucun pays.

Vic­to­ria : Main­tenant, on se sent chez nous partout. On a moins peur du monde, car on se sent chez nous partout. L’écologie, c’est faire ensem­ble. Ce qui est impor­tant aus­si, c’est la manière dont on a entre­pris ce voy­age : faire du stop, aller vers l’autre. On a fait des ren­con­tres incroy­ables, parce qu’on a un état d’ouverture à l’autre. Les gens nous voient souri­ants et ouverts. D’habitude, on a telle­ment peur de l’autre que dès qu’il est gen­til avec nous, on se méfie, on se dit qu’on lui doit quelque chose. On n’a plus l’habitude de recevoir.

Johan : Dans le tourisme tra­di­tion­nel, on s’est coupés de ce genre de voy­age. On a croisé beau­coup de touristes avec des cir­cuits tout tracés qui ont des pro­grammes chargés, prévoient de voir ci, ça, ça. Ils se coupent d’autres ren­con­tres. L’idée n’est pas non plus de dire qu’on a besoin de voy­ager loin pour faire des ren­con­tres. Ça peut être à côté de chez soi, en train, en Europe.

Comment avez-vous intégré la délégation française ?

Vic­to­ria : Plusieurs per­son­nes nous ont écrit pour nous deman­der pourquoi nous n’allions pas à la COP. Et nous nous sommes dits, «pourquoi pas». Nous avons sol­lic­ité tous nos con­tacts et le lende­main, nous rece­vions un appel de la délé­ga­tion. C’était il y a trois semaines.

Qu’est-ce qui vous marque ou vous surprend à cette COP ?

Johan : Beau­coup de choses. C’est la plus grande COP jamais organ­isée, avec 80 000 per­son­nes atten­dues durant ces deux semaines. La démesure dubaïote se retrou­ve ici. On voit aus­si que c’est le regroupe­ment de tous les pays du monde, la diver­sité est forte à vivre.

Vic­to­ria : Ce qui me touche, c’est que nous sommes tous là pour une cause com­mune. On sent une émul­sion d’idées. C’est même dur de suiv­re toutes les con­férences et toutes les propo­si­tions. Ça me donne de l’espoir.

Que faites-vous concrètement au quotidien à la COP ?

Johan : En étant dans la délé­ga­tion française, on a accès à toutes les séances plénières, à la zone bleue où se passent les négo­ci­a­tions. Hier, on a pu enten­dre le dis­cours de Macron sur l’eau. Ça nous per­met de com­pren­dre com­ment la COP28 fonc­tionne et on le racon­te ensuite sur nos réseaux soci­aux.

Vic­to­ria : On ren­con­tre aus­si du monde sur place, on explique notre tra­jet, on sol­licite les médias. Ce soir, nous allons faire un dis­cours au Pavil­lon France.

Sur quoi portera votre discours ?

Johan : Comme nous sommes à Dubaï, au pays de la démesure, nous avons envie d’appuyer sur la sobriété. Pour nous, elle doit s’incarner dans des valeurs, ici aux Émi­rats, comme chez nous en France.

Vic­to­ria : Nous voulons l’incarner avec la joie et l’espoir. Nous voulons rassem­bler. Ce qui nous booste et mène au rassem­ble­ment, c’est cette incar­na­tion, pas juste des mots.

Johan : Nous voulons dire que l’écologie, ce n’est pas juste des con­traintes, c’est vivre heureux.

Qu’est-ce que vous attendez de la COP ?

Johan : On n’attend rien en par­ti­c­uli­er, mais on espère être agréable­ment sur­pris par le traité de sor­tie des éner­gies fos­siles. On a vu que la Colom­bie l’avait signé, donc on attend au moins un accord à la COP sur la sor­tie des éner­gies fos­siles.

Que pensez-vous de Dubaï ?

Johan : On a l’impression d’être revenus en France. C’est telle­ment occi­den­tal­isé. Il n’y a pas d’âme ou d’identité. On est dans un pays très jeune qui fête ses 52 ans. Il faudrait aller voir hors de Dubaï pour com­pren­dre les Émi­rats. Après, la COP, c’est aus­si un envi­ron­nement de dia­logue et de dis­cus­sion, c’est hyper béné­fique pour la cause.