Vous n’avez (plus) la base. Des cartons empilés à droite à gauche, des portants couverts de t-shirts sérigraphiés en attente de preneurs, des tonnes de câbles de sono emmêlés, des tables de bar entassées sous des pancartes de manifestations qui habillent les murs… c’est une drôle d’ambiance qui habite le bar de la Base, haut lieu parisien de la mobilisation pour le climat et la justice sociale, en ce mercredi 22 juin. Ce vendredi, après trois années d’existence, la Base ferme officiellement ses portes.
Ce tiers-lieu aux multiples fonctions est né en 2019, poussé par l’essor du mouvement Alternatiba Paris et par la dynamique entraînée par les marches mondiales pour le climat en 2018. Grâce au concours de nombreuses associations (ANV-COP21, Le mouvement, Action climat Paris, Utopia, le G.a.n.g), les activistes ont réussi à louer un bâtiment de 700 mètres carrés pour créer la Base, acronyme de « base d’action sociale et écologique ».

Située dans le 10ème arrondissement de la capitale, à deux pas de la place de la République, la Base est installée dans un immeuble grisâtre, dont les murs intérieurs ont été recouverts de fresques et de multiples banderoles de manifestations, et qui a été rempli d’objets de récupération au fil des ans. Un lieu unique, à la fois festif, militant, créatif et professionnel. Concerts, conférences, soirées électorales et furieuses fiestas ; à part lors de certaines parenthèses, comme celle du premier confinement, une multitude d’événements a été organisée presque chaque jour pendant trois ans dans le bar du rez-de-chaussée. « C’est une porte d’entrée super accessible, et le fait de montrer qu’on se bat dans la joie et la fête parce qu’on aime la vie, et pas parce qu’on se dit qu’on va tous crever dans dix ans, ça aide à mobiliser les gens », raconte Babeth Lainé, chargée de logistique à la Base.

Les étages accueillent un espace de coworking et des bureaux peuplés par plusieurs organisations. Parmi elles, l’association Notre Affaire à Tous, qui a obtenu la condamnation de l’État pour inaction climatique avec Greenpeace, Oxfam et la Fondation pour la Nature et l’Homme (notre article), les agences de conseil Greenlex et Partie prenante, l’association Aremacs, ou encore le mouvement Faire un monde équitable. C’est aussi dans ces bureaux que Vert a pris son envol au cours des derniers mois.
Pour beaucoup, la Base fut un espace de synergie essentiel pour faire avancer la cause de l’écologie et de la justice sociale. C’est ici qu’ont été organisées certaines des plus grandes mobilisations récentes du mouvement pour le climat. Parmi celles-ci, l’énorme opération « Bloquons la République des pollueurs » en 2019, les marches « Look up » (Vert) ou « pour le futur » organisées au printemps 2022, avant la présidentielle (notre reportage).

Une page se tourne, pour Élodie Nace, coordinatrice d’Alternatiba Paris. « Il y a bien sûr de la tristesse et de la nostalgie, mais aussi beaucoup de reconnaissance et de gratitude vis-à-vis de tout ce qu’on a réussi à faire, que ce soit du travail de fond, de réflexion et de “production d’intelligence”, mais aussi la dimension de rassemblement, de célébration qui a entouré nos luttes. » En tant que « centre névralgique physique » du mouvement climat, ce lieu a accompagné la montée en puissance d’une dynamique qui était encore en pleine structuration en 2019, selon l’activiste. D’autant que la Base a essaimé partout en France et que des petites sœurs ont fleuri à Marseille, Grenoble, Nantes, et bientôt Montpellier.

Au rez-de-chaussée, Babeth supervise le tri du bar d’une main de maîtresse, entre les choses à jeter, à donner, et celles qui suivront les différentes organisations dans leurs futures aventures. Elle est arrivée à la Base peu après son ouverture. Celle qui a aménagé, géré, encombré et désencombré chaque recoin du bâtiment a du mal à contenir son émotion. Difficile pour elle de réaliser que c’est bel et bien la fin. Il faut dire que la Base a failli fermer à plusieurs reprises ces derniers mois, le bail étant arrivé à échéance en février. Il avait alors été renouvelé in extremis une fois jusqu’en avril, puis une seconde fois jusqu’à fin juin. Cette fois-ci, c’est la bonne : la Base baisse définitivement le rideau de fer.
En plus de faciliter l’organisation du mouvement climat, la Base a permis de « donner un point de repère social et émotionnel ultra-important, estime Babeth, car on mène des luttes qui sont dures, qui nous touchent nous et nos proches, qui peuvent mener à des burn-outs militants. Et le fait d’avoir un lieu de convivialité, d’amitié où tu peux te rassembler et partager ton vécu, ça donne beaucoup de force pour continuer l’engagement ».

Si les au revoir à la Base sont amers, les organisations résidentes ont bon espoir de trouver rapidement un nouveau point de chute pour continuer de faire converger les luttes écologistes et sociales et leur faire connaître de nouveaux sommets.
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