Un franc dissous. Vendredi, les Soulèvements de la Terre ont réuni leurs soutiens devant le Conseil d’État avant une nouvelle audience au cours de laquelle doit se décider l’avenir du mouvement. Après avoir suspendu la dissolution voulue par le gouvernement en août, les juges de la plus haute juridiction administrative du pays ont étudié le fond de l’affaire. Vert y était.
«Nous sommes les Soulèvements de la Terre !», scandent quelques centaines de personnes réunies en milieu de journée ce vendredi, devant le Conseil d’État, en plein cœur de Paris. Drapeaux bigarrés aux couleurs de la Confédération paysanne, d’Extinction rebellion ou de l’Union syndicale Solidaires, pancartes en tous genres : les soutiens ont répondu à l’appel du mouvement écologiste, avant l’audience qui doit confirmer ou annuler sa dissolution, décrétée par le gouvernement en juin dernier (notre article).
«L’audience va être un moment majeur pour l’histoire de notre mouvement et un moment emblématique dans l’avenir des libertés publiques», insiste Lena Lazare, porte-parole des Soulèvements de la Terre (SLT). «Aujourd’hui, les juridictions administratives sont le dernier rempart démocratique face à l’autoritarisme glissant du gouvernement, donc nous espérons que le Conseil d’État se prononce une bonne fois pour toutes contre la dissolution», appuie Thomas Gibert, secrétaire national de la Confédération paysanne, qui s’est jointe au recours en tant qu’«intervenante volontaire». De nombreuses organisations en ont fait de même, et plusieurs milliers personnes ont déposé des recours individuels pour contester la dissolution.
Peu avant 14 heures, les parties prenantes au recours se massent devant le Conseil d’État pour accéder à l’audience. Le recours est jugé par les quinze magistrat·es de la section du contentieux, où sont tranchées les affaires qui présentent une importance «remarquable». La salle du public est pleine à craquer, reflet de l’engouement médiatique qu’a provoqué la dissolution des Soulèvements de la Terre.
La notion d’incitation à des actes violents au centre des débats
Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, avait justifié la dissolution en reprochant aux Soulèvements d’inciter à la commission de sabotages et de dégradations matérielles, y compris de manière violente. C’est donc la notion de «provocation» aux agissements violents à l’encontre de personnes ou de biens qui est au cœur des débats. Pour établir la légitimité – ou non – de la dissolution, il faut définir ce qui constitue une provocation et déterminer la gravité des incitations justifierait une telle décision.
«Il faut prendre en compte le fait qu’avec les réseaux sociaux, les messages qui peuvent tenir en trois lignes ou s’exprimer par hashtag peuvent contenir des incitations à commettre des violences, même de manière indirecte et insidieuse. L’incitation peut être implicite», défend le rapporteur public, Laurent Domingo. Il ajoute : «Il ne faut pas s’arrêter à l’énoncé du message qui pourra apparaître relativement sobre et anodin». Une argumentation qui ouvre la voie à une interprétation très large de la notion de provocation, potentiellement inquiétante pour la liberté d’expression.
Le rapporteur, magistrat chargé d’éclairer les débats de manière indépendante après avoir étudié le dossier, énumère une série de dégradations commises depuis la création des SLT en 2021. Il rappelle également la publication de tutoriels pour démanteler des méga-bassines, d’appels réguliers à mener des actions de désarmement ou à couper l’eau des «accapareurs» – des provocations qu’il juge suffisamment graves pour justifier la dissolution.
«Les Soulèvements ont raison de dire que le débat sur les ressources en eau est un problème majeur», reconnaît le rapporteur public. «Mais aucune cause ne justifie de porter atteinte à l’ordre public», tranche-t-il avant de proposer aux juges de rejeter les requêtes en annulation du décret et de confirmer la dissolution.
Des agissements qui ne justifient pas la dissolution pour la défense
«Si vous suivez votre rapporteur public, vous créez l’idée qu’il puisse être dit qu’un décret est manifestement illégal, et quelques mois après qu’il est légal», avance maître Lyon-Caen, conseil des Soulèvements, en référence à la suspension de la dissolution décidée par les juges des référés en août (notre article).
L’avocat poursuit : «Lorsqu’il s’agit de l’expression d’un groupe militant, évacuer la cause me paraît inconcevable». Les Soulèvements de la Terre «revendiquent une radicalité éthique menée au nom de l’intérêt général, défend maître Sevaux, qui représente plusieurs intervenant·es volontaires dans le recours. Les actions ne sont jamais gratuites ou aveugles, ne visent pas des structures vitales pour le pays, mais s’attaquent à des entités privées, néfastes pour le pays». Maître Lyon-Caen rebondit sur le «désarmement» revendiqué par les SLT et dénoncé par le rapporteur public : «Quand vous réfléchissez au sens du terme, il s’agit de l’expression la plus pacifique qui soit».
Il invoque les dommages «modestes» causés par les actions des Soulèvements de la Terre, évalués à quelques milliers d’euros par la représentante du ministère de l’intérieur lors de l’audience qui s’est tenue en août. Pour l’avocat, c’est la preuve que leurs agissements «ne posent pas de troubles graves à l’ordre public».
«Il s’agit à mon avis d’un mouvement en avance sur notre époque», conclut l’avocat des Soulèvements de la Terre. «Ce sont des gens impatients et je pense que vous aurez du mal à leur donner tort d’être impatients devant l’urgence climatique. C’est pourquoi j’attends de vous une annulation de ce décret de dissolution.»
Le délibéré de l’audience n’est pas attendu avant une semaine, voire un peu plus. Si les juges du Conseil d’État confirment la dissolution, les Soulèvements de la Terre n’auront d’autre choix que de cesser d’exister en tant que tels.