Reportage

En Allemagne, des fraudeurs s’organisent pour continuer à payer le train neuf euros par mois

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Ça les a fait ticket. Depuis la fin de l’expérimentation du ticket pour des transports en commun illimités à neuf euros par mois, un fonds de solidarité paie les amendes des resquilleurs en Allemagne. Le «9-Euro-Fonds» devrait se maintenir même après l’instauration, au 1er mai, du pass à 49 euros.

90 000 euros : c’est le montant total des presque 1 500 amendes payées par le fonds de solidarité qui vient en aide aux fraudeurs des transports en commun allemands depuis sa création. Initié à la fin de l’été dernier, ce «9-Euro-Fonds» est un héritier du «9-Euro-Ticket», qui permettait de prendre presque tous les transports allemands en illimité (sauf les trains longues distances) à l’été 2022, pour seulement neuf euros par mois.

Ce ticket spécial, qui devait permettre de lutter contre l’inflation, n’a pas été prolongé au-delà de l’été, malgré son succès : «Le gouvernement de coalition n’a pas reconduit le ‘9-Euro-Ticket’, c’est pourquoi nous organisons nous-mêmes un mode de transport respectueux de l’environnement», expliquent les initiateurs du fonds sur leur site internet.

«La prochaine fois que les contrôleurs te donneront une amende de 60€ dans le train, montre-leur le signe de reconnaissance de notre gang ! #9Euro4ever». © Capture d’écran Twitter

Le principe est simple : en échange d’un versement mensuel d’au moins neuf euros au fonds, ce dernier prend en charge le paiement des amendes des resquilleurs en cas de contrôle. Ceci est valable dans tous les transports régionaux, mais pas nationaux (les contrôles y sont trop fréquents). Environ 1 500 personnes y adhèrent aujourd’hui, dont Sonja, 26 ans. «Je participe au fonds, parce que je n’ai pas l’argent pour me payer un abonnement, ni les amendes, explique à Vert la Berlinoise, actuellement sans emploi. Mais je participe aussi, parce que c’est important d’un point de vue symbolique que la société civile crée un fonds de solidarité comme celui-là en réponse à une inaction politique.»

Entre revendications pour davantage de justice sociale et impératif climatique, le 9-Euro-Fonds est un projet politique qui réclame la réinstauration immédiate du pass à neuf euros et dénonce le peu de moyens alloués aux transports en commun en Allemagne. Il a aussi contribué activement à la mobilisation du mois de janvier dans le village de Lützerath : les militant·es venu·es de toute l’Allemagne pour s’opposer au projet d’extension d’une mine de charbon à ciel ouvert ont pu voir leur billet de train remboursé grâce à une caisse spéciale mise en place par le fonds et garnie de 8 000 euros.

Aux manettes : le parti satirique «Die Partei»

Dans son fonctionnement, le 9-Euro-Fonds ressemble à certaines mutuelles de fraudeurs, qui s’organisent localement autour de toute régie de transports – d’ordinaire clandestinement. Mario Burckhardt, l’un des fondateurs du projet, insiste néanmoins : «Nous ne sommes pas une assurance de fraudeurs et n’incitons personne à voyager sans ticket».

La communication du fonds, analysée par une avocate, rappelle bien que frauder est illégal – c’est même un délit en Allemagne, qui peut conduire les récidivistes en prison. Le rappeler est un moyen de se prémunir contre des attaques en justice. Avec succès, pour l’instant, puisqu’aucune plainte n’a été déposée contre le 9-Euro-Fonds.

En août 2022, à Berlin, un manifestant réclame le prolongement du ticket illimité à neuf euros par mois. © Jorg Carstensen / DPA via AFP

En octobre, l’initiative – au départ indépendante – a rejoint le giron de Die Partei (en français : le parti) pour assurer sa pérennité. Ce parti politique satirique, mais bien réel, a proposé aux six Berlinois·es à l’origine du 9-Euro-Fonds de les soutenir. Martin Sonneborn, fondateur de Die Partei et député européen, détaille à Vert : «Die Partei est intervenu pour que cette belle idée puisse continuer à vivre. En tant que parti politique, nous sommes bien protégés contre les attaques en justice… »

Bientôt le «Deutschlandticket» à 49 euros par mois

Du côté des entreprises de transport, on estime que l’initiative n’a pas de raison d’être. «Pour les bénéficiaires d’aides sociales, il existe des abonnements à prix réduit dans presque tous les transports en commun locaux. À Berlin par exemple, “le ticket social” coûte neuf euros, explique Eike Arnold, attaché de presse de l’association des entreprises de transport allemandes (VDV). Et le ticket à 49 euros sera bientôt mis en place et permettra de prendre tous les transports en commun à un prix très avantageux».

Le Deutschlandticket (ticket Allemagne) entrera bien en vigueur le 1er mai prochain, moyennant 49 euros par mois. Trop cher, selon Mario Burkhardt, qui prédit une augmentation graduelle de son prix. Et pas assez incitatif : «Parmi ceux qui peuvent se le payer, nombreux sont ceux qui préféreront prendre la voiture…», s’agace-t-il. Sonja souhaite pour sa part se le procurer : «Et si j’ai assez d’argent, je continuerai à donner au 9-Euro-Fonds, par solidarité».

Les organisateurs du fonds comptent en tout cas le faire perdurer après la mise en place du ticket à 49 euros et même au-delà : «Jusqu’à l’instauration de la Porsche à neuf euros», lançait en interview le député européen de Die Partei, Martin Sonneborn. Au train où vont les choses…

Adèle Cailleteau

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