La Vanoise et ses bouquetins se dessinant sur les crêtes enneigées, la Guyane et ses gigantesques étendues de forêt vierge, Port-Cros et ses poissons marins nageant dans les herbiers de posidonie… ces espaces protégés d’exception ne seront peut-être plus les mêmes l’an prochain – du moins dans leur mode de gestion.
Depuis plusieurs mois, les onze parcs nationaux français* – qui protègent 5% du territoire national – sont sous la menace d’un projet de fusion au sein de l’Office français de la biodiversité (OFB). «Alors que les politiques publiques pour la biodiversité sont mises à mal ces derniers temps, pourquoi casser un modèle qui fonctionne très bien ?», interroge auprès de Vert Rozenn Hars, présidente du conseil d’administration du parc national de la Vanoise et à la tête de la conférence des présidents des parcs nationaux de France.
Une menace qui plane depuis le printemps dernier
Dans l’esprit du gouvernement actuel, la logique semble implacable : le «pays est en danger», «au bord du surendettement», martèle François Bayrou, qui appelle en conséquence à voter «le budget le plus important de la nation». Parmi de multiples mesures d’austérité – dont la suppression de deux jours fériés – son grand plan «Stop à la dette», présenté le 15 juillet dernier, prévoit la suppression d’agences «improductives qui dispersent l’action de l’État» et de plus d’un millier d’emplois (notre article).
Si la fusion des parcs nationaux n’est pas encore écrite noir sur blanc – le projet de budget n’ayant pas été déposé au Parlement – les nuages s’amoncellent depuis le début du printemps 2025. Le 27 avril, la ministre des comptes publics, Amélie de Montchalin, a annoncé qu’elle souhaitait qu’«un tiers des agences et opérateurs» de l’État soient «fusionnés ou supprimés» d’ici à la fin d’année. Côté environnement, les regards inquiets se sont aussitôt tournés vers l’Agence de la transition écologique (Ademe) ou encore l’OFB, ciblés depuis de longs mois par l’extrême droite, la droite ou encore certains syndicats agricoles.
La menace s’est confirmée quelques mois plus tard, lors de l’audition de la ministre par la commission d’enquête sénatoriale sur les agences. Elle y a confirmé qu’elle espérait obtenir «deux à trois milliards d’euros» d’économies d’ici à 2027 en réformant le financement des agences publiques, et a cité le «très bon exemple» des parcs marins, dont la gouvernance a été centralisée au sein de l’OFB en 2020.
Dernière alerte en date : le 3 juillet et la présentation dudit rapport sénatorial sur les agences, qui identifie 540 millions d’euros d’économies. Parmi les pistes proposées, la suppression pure et simple des «établissements publics portant les parcs nationaux». Ces derniers «perdent leur autonomie juridique et sont intégrés dans l’OFB», envisage le document.
«Il n’est pas question de supprimer les parcs nationaux, mais bien leur structure juridique qui crée une forme d’embolie administrative», nuance auprès de Vert la sénatrice (Les Républicains) Christine Lavarde, rapporteuse de la commission d’enquête. Elle met en avant une «logique de simplification» et rappelle qu’il existe déjà des mutualisations avec l’Office français de la biodiversité. Contacté par Vert, l’OFB n’a pas souhaité commenter ce projet de fusion.
«Notre efficacité vient de l’ancrage au terrain»
L’hypothèse d’une modification du statut des parcs nationaux a aussitôt suscité une levée de boucliers chez les acteurs locaux qui en ont la gestion. Le 2 juin, les président·es des conseils d’administration des onze parcs nationaux français signaient une lettre adressée à Amélie de Montchalin pour rappeler «l’importance et la singularité» de leurs missions. Une fusion ou une suppression «aurait pour conséquence de démobiliser les forces vives de chacun de nos territoires en les éloignant des centres de décisions», écrivent les signataires.
L’initiative a été suivie par les conseils scientifiques de chaque parc, qui ont rédigé une missive similaire un mois plus tard : «Alors que l’effondrement de la biodiversité et les dérèglements climatiques se poursuivent et s’amplifient […], il semble irresponsable de menacer le fonctionnement des onze parcs nationaux», a martelé John Thompson, écologue au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et président de la commission scientifique des parcs nationaux.
«C’est la capacité d’expérimenter, de s’adapter à la réalité d’un lieu, qui serait absorbée dans une gestion centralisée, forcément plus distante.»
Pour Rozenn Hars, il faut conserver le modèle de gestion propre aux parcs nationaux, basé sur la concertation entre les acteurs locaux (élu·es, associations, agriculteur·ices, chasseur·ses, pêcheur·ses…) : «Notre efficacité vient de l’ancrage au terrain, il y a onze gouvernances locales et autant de manières de procéder selon les territoires.» Dans le parc de la Vanoise, dont elle est la présidente, les discussions régulières avec les paysan·nes permettent de faire évoluer les pratiques de pâturage pour préserver les zones humides et certaines plantes comme le chardon bleu.
Depuis la loi Giran de 2006, les parcs nationaux bénéficient d’une décentralisation des prises de décision (budget, réglementation, projets…). Une fusion au sein de l’OFB marquerait donc un retour en arrière : «C’est la capacité d’expérimenter, de s’adapter à la réalité d’un lieu, qui serait absorbée dans une gestion centralisée, forcément plus distante», a estimé Stéphane Maurin, président du parc national des Cévennes, dans une tribune publiée sur Libération le 1er août. Également maire d’une commune de Lozère, il a dénoncé un «recul inquiétant pour les territoires», dans un contexte de disparition de certains services de l’État dans les zones rurales. «Un comité de gestion sera là pour discuter des enjeux locaux, rassure Christine Lavarde. Sur la gestion du quotidien, cela ne va rien changer.»
20% d’effectifs en moins ces 15 dernières années
Administration, agent·es de terrain… le possible regroupement des services des parcs nationaux au sein de l’OFB soulève aussi la question des réductions d’effectifs : «Supprimer les établissements publics va remettre en question les organigrammes», alerte Frédéric Goulet, garde moniteur au parc national des Écrins et secrétaire de la branche Parcs et espaces protégés du Syndicat national de l’environnement-Fédération nationale unitaire (SNE-FSU). «L’État n’a pas besoin de modifier le statut des parcs nationaux pour faire des économies», complète Rozenn Hars, qui rappelle que les espaces protégés ont déjà souffert de plusieurs baisses d’effectifs et de dotations ces dernières années.
Selon le SNE-FSU, 20% des postes dans les parcs nationaux ont déjà été supprimés depuis 2010 : «Cela a donc signifié pour nous moins de moyens pour faire autant, et même plus, car les missions et surfaces des parcs ont augmenté entre temps [les parcs nationaux des Calanques et des Forêts ont été créés en 2012 et 2019, NDLR]», fustige le syndicat majoritaire dans une pétition publiée en juillet dernier. Au 3 septembre, cette dernière cumule plus de 63 500 signatures.
Le gouvernement Bayrou et son plan budgétaire ont de grandes chances de tomber lors du vote de confiance sollicité par le premier ministre le 8 septembre prochain – l’ensemble de la gauche et le Rassemblement national ont annoncé voter contre. «Nous restons dans le flou car on ne sait pas ce qu’il y aura après Bayrou», regrette Frédéric Goulet. Ce dernier rappelle que l’ensemble des parcs nationaux reçoivent à ce jour 75 millions d’euros de l’État par an et ironise : «Ce n’est pas comme ça que nous allons résoudre la crise de la dette.»
*Les onze parcs nationaux français sont la Vanoise (créé en 1963), Port-Cros (1963), les Pyrénées (1967), les Cévennes (1970), les Écrins (1973), le Mercantour (1979), la Guadeloupe (1989), La Réunion (2007), la Guyane (2007), les Calanques (2012) et le Parc national de forêts (2019).
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