Enquête

Dans le Vaucluse, des terres agricoles polluées par un compost infesté de déchets plastiques

Une ferme solidaire s’est vu livrer des centaines de kilos de déchets plastiques à la place du compost commandé. Loin d’être marginal, le phénomène illustre les défaillances d’une méthode de tri inefficace.
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Dans la com­mune de Lau­ris (Vau­cluse), l’as­so­ci­a­tion Au maquis cul­tive des ter­rains agri­coles dans le cadre d’une expéri­men­ta­tion qui vise à instau­r­er une « sécu­rité sociale ali­men­taire » (dont Vert vous par­lait ici). Fin févri­er, afin de pré­par­er la plan­ta­tion des fruits et légumes de print­emps, elle com­mande 300 tonnes de com­post auprès de l’entreprise Arnaud, située dans la com­mune voi­sine de Puyvert. Quelques jours plus tard, les mem­bres de l’as­so­ci­a­tion ont la sur­prise de recevoir une terre mêlée à… des mil­liers de déchets plas­tiques.

« Le jour de la livrai­son, il pleu­vait, on ne voy­ait pas très bien. Mais le lende­main matin, les déchets ont com­mencé à remon­ter », racon­te Maud, ani­ma­trice et maraîchère de l’as­so­ci­a­tion. Masques, sachets plas­tiques, gants, tuyaux en caoutchouc, bou­chons, gra­vats… Des mil­liers de déchets, prin­ci­pale­ment plas­tiques, jonchent les deux hectares des par­celles cul­tivées par Au maquis. « Quand le mis­tral s’est mis à souf­fler le surlen­de­main, je ne vous racon­te pas les cen­taines de sachets plas­tiques qui volaient partout, c’était l’enfer », soupire Maud.

Maud ramasse des déchets sur une de ses par­celles. © Mar­ius Riv­ière / Vert

« C’est simple, on a commandé du compost et on a reçu du plastique »

L’association fait alors venir un huissier pour con­stater les dégâts et lance un appel aux bonnes volon­tés sur les réseaux soci­aux. 150 volon­taires sac­ri­fient une par­tie de leur week-end pour venir ramass­er les déchets épan­dus. Au fond du champ, une dizaine de sacs de gra­vats pleins attes­tent l’ampleur du chantier. Mal­gré leur tra­vail, impos­si­ble de faire un pas sans trou­ver des déchets sous ses pieds. « On en a au moins pour cinq ans avant de se débar­rass­er de tout ça. Avec le vent, les voisins reçoivent leur part. Et il y a la Durance juste der­rière », se désole Maud, désig­nant la riv­ière au loin. « C’est pas du com­post, c’est du poi­son », se dés­espère André Rous­set, maire de Lau­ris, venu con­stater l’ampleur de la pol­lu­tion.

« Ce pro­duit, on le donne. S’il est gra­tu­it, c’est parce qu’il n’est pas net­toyé. For­cé­ment il est moins pro­pre que le pro­duit fini que l’on vend, lui », se défend auprès de Vert Lau­rent Arnaud, patron de l’entreprise du même nom, qui a livré ce com­post. L’entrepreneur four­nit deux com­posts : l’un, brut ‒ non trié, donc ‒, est gra­tu­it. C’est celui qu’a reçu l’association. L’autre est un com­post trié, dit « criblé ». Il s’agit de la même matière, mais elle est broyée. « On était au courant, mais on a juste­ment fait le choix d’une matière avec quelques plas­tiques ici et là, non broyés, afin de pou­voir les ramass­er plus facile­ment et éviter des microplas­tiques invis­i­bles à l’œil nu qui pol­lu­ent nos sols, assure Maud, mais là, il ne s’agit pas de quelques plas­tiques, il y en a des cen­taines par mètre car­ré ! C’est sim­ple, on a com­mandé du com­post et on a reçu du plas­tique ». « L’atteinte à l’environnement est évi­dente », dénonce Michel Marcelet, mem­bre de France nature envi­ron­nement Vau­cluse et admin­is­tra­teur de Luberon Nature. « Man­i­feste­ment, mon­sieur Arnaud sem­ble s’asseoir sur quelques principes quant à la qual­ité de son pro­duit et à son impact sur les sols. »

© Mar­ius Riv­ière / Vert

Un événe­ment qui passe d’autant plus mal que l’as­so­ci­a­tion défend une agri­cul­ture saine, biologique, locale et raison­née. Le pro­jet d’Au maquis per­met à des per­son­nes en grande pré­car­ité et à des deman­deurs d’asile de se pro­cur­er des paniers sol­idaires de fruits et légumes chaque mois.

Ce n’est pas la pre­mière fois que l’entreprise Arnaud est liée à des pol­lu­tions. Alexan­dre habite, depuis cinq ans, juste en face des tas de terre et de gra­vats amon­celés là par Arnaud. C’est ici, en plein-air, que s’opère le tri de la matière.

© Mar­ius Riv­ière / Vert

Tig­nasse blonde sur le crâne, ongles noir­cis par la terre, Alexan­dre est devenu maraîch­er par voca­tion, avec l’am­bi­tion de mon­ter son exploita­tion agri­cole tout seul, sans l’aide de tracteur ni machines. « Quand je suis arrivé, il n’y avait que de la terre aride, j’ai plan­té tous ces arbres un à un », con­fie-t-il fière­ment. L’an dernier, pour­tant, il a décidé de cess­er son activ­ité à cause des pol­lu­tions de son encom­brant voisin. Éparpil­lés aux qua­tre coins de son champ, des cen­taines de déchets plas­tiques bril­lent dans le soleil couchant. « À quoi bon con­tin­uer à ven­dre des pro­duits qui ont poussé dans une terre pol­luée par des microplas­tiques ? », inter­roge-t-il, la voix nouée par l’émotion. Il se con­tente désor­mais de faire pouss­er quelques légumes et herbes aro­ma­tiques dans une serre, dernier enc­los préservé des matières pol­lu­antes. « La vérité, c’est que j’ai envie de ven­dre depuis un an. »

Le tri à la source du problème

Pour saisir com­ment l’on peut retrou­ver autant de détri­tus dans du com­post, il faut com­pren­dre le fonc­tion­nement de cette fil­ière. En 2008, l’Union européenne s’est dotée d’une direc­tive cadre qui prévoit que cer­tains « déchets » peu­vent devenir des « pro­duits » s’ils respectent cer­tains critères. C’est ain­si que des déchets dits « verts » (issus de fauchages aux abor­ds des routes, tontes, tailles des arbres) devi­en­nent des com­posts ven­dus à des exploitants agri­coles… Ces déchets sont cen­sés être triés par des instal­la­tions dites de « traite­ment mécano-biologique » (TMB). Un tri réal­isé après la col­lecte, et non à la source, avec les ratés que cela implique. Cette matière est bien sou­vent truf­fée de déchets plas­tiques en tout genre (sachets poubelle, gants de jar­di­nage, embal­lages de ter­reau ou d’engrais, masques, etc.). Une méth­ode décriée par beau­coup d’as­so­ci­a­tions en rai­son de la per­sis­tance des pol­lu­ants (pro­duits chim­iques, métaux lourds ou résidus de plas­tiques) dans la matière organique. 

L’é­tat des ter­res de l’as­so­ci­a­tion Au maquis © Mar­ius Riv­ière / Vert

Des cri­tiques qui ont amené les rédac­teurs de la loi de tran­si­tion énergé­tique pour la crois­sance verte à qual­i­fi­er ces méth­odes de « non per­ti­nentes». Cer­tains pays comme l’Allemagne, l’Autriche, ou les Pays-Bas, inter­dis­ent d’ailleurs le retour au sol du com­post issu de TMB. L’été dernier, un décret d’application est venu pré­cis­er les choses. Désor­mais, les col­lec­tiv­ités qui souhait­ent recourir à cette méth­ode doivent prou­ver qu’elles ont général­isé un tri à la source des biodéchets sur l’ensemble du ter­ri­toire.

Dans le cas de l’entreprise Arnaud, cette matière provient directe­ment d’une entre­prise, Veo­lia, qui elle-même la récupère auprès des déchet­ter­ies gérées par les col­lec­tiv­ités. « Le prob­lème se situe au niveau des déchet­ter­ies, ce sont elles qui ne font pas le tri. Si per­son­ne ne s’assure que les par­ti­c­uliers ne bal­an­cent pas des sachets poubelles au milieu de leurs bran­chages, je ne peux rien y faire. Moi, je suis chargé de dis­tribuer cette matière », se défend Lau­rent Arnaud.

Dans une étude pub­liée en 2018 dans Sci­ences Advances, des sci­en­tifiques avaient recen­sé jusqu’à 146 micropar­tic­ules de plas­tique par kilo­gramme de matière sèche dans cer­tains des échan­til­lons de com­post com­mer­cial­isé. Les auteur·rices avaient qual­i­fié ce fer­til­isant organique de « porte d’entrée pour les microplas­tiques dans l’environnement »

« C’est triste à dire, mais trou­ver de la matière organique non pol­luée, c’est devenu qua­si impos­si­ble », déplore Math­ieu Le Roux, maraîch­er du coin qui s’est fait lui aus­si livr­er du com­post par Arnaud. « La pol­lu­tion aux microplas­tiques est mon­di­ale et endémique. On fait comme ça, ou on ne fait pas. »