Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, une utopie a germé en France : la Sécurité sociale. Une prise en charge financière partielle ou totale en cas de maladie, de maternité, d’accidents du travail ou d’invalidité. En cotisant à la hauteur de ses revenus et en reposant sur un principe de solidarité, l’accès aux soins s’ouvrait à tous et toutes.
Depuis lors, la santé est érigée en rempart à protéger. Mais pour être en bonne santé, encore faut-il avoir accès à une alimentation digne de ce nom. Or, sur ce point, la France préfère se reposer sur l’aide alimentaire pour nourrir les personnes les plus précaires. « L’aide alimentaire, c’est une politique pour les pauvres, ce qui veut dire qu’il y a une politique pour les riches qui est en place, explique à Vert Emmanuel Marie, secrétaire général du syndicat Confédération paysanne. C’est tout l’inverse de la Sécurité sociale avec son accès universel, où le financement se fait selon ses moyens et où l’on touche une aide selon ses besoins ».
Dans le même temps, des agriculteur·rices qui veulent s’extraire de l’agro-industrie et employer des pratiques plus respectueuses de l’environnement peinent à vivre de leur activité. L’agriculture paysanne – qui emploie moins de pesticides, transforme ses denrées à la ferme et développe des circuits courts – « reste une niche ». Si les produits de mauvaise qualité sont relativement accessibles, c’est au prix de larges subventions et d’une industrie agroalimentaire aux impacts désastreux sur le plan social, environnemental et pour la santé.
C’est ainsi qu’en 2016, 5,5 millions de personnes ont eu recours à l’aide alimentaire, quand 30 % des agriculteur·rices gagnaient moins de 350 euros par mois, avait révélé le réseau Civam (Centre d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural). C’est pour tenter de résoudre cette équation que l’idée de la Sécurité sociale alimentaire est née.
Une carte vitale de l’alimentation
En France, l’idée est portée par le collectif « Pour une Sécurité sociale de l’alimentation », qui a vu le jour en 2019. Celui-ci regroupe une dizaine d’organisations, comme le réseau Civam, la Confédération paysanne, l’association d’agronomie ISF Agrista, l’association d’éducation populaire Réseau Salariat, le collectif Démocratie alimentaire ou le réseau Vrac. Ensemble, elles militent pour intégrer l’alimentation dans le régime général de la Sécurité sociale, tel qu’il a été initié en 1946. C’est-à-dire en continuant à se baser sur trois piliers : universalité de l’accès, financement par la création d’une cotisation sociale proportionnelle aux revenus et conventionnement des professionnel·les par des caisses gérées démocratiquement, comme ça l’était à l’origine.
Le collectif propose de délivrer à chaque personne une carte vitale de l’alimentation, qui donnerait accès à des produits conventionnés pour un montant de 150 euros par mois et par personne. L’idée, c’est de « promouvoir la transformation de l’agriculture et la mise en place de politiques alimentaires pour tous, en répondant à la fois aux problèmes du système agricole et aux enjeux de l’alimentation », résume Mathilde Bourjac, ingénieure agronome salariée d’ISF Agrista. Le tout en laissant le choix des produits concernés « aux mangeurs et aux acteurs du système alimentaire », pour sortir d’un « assistanat » stigmatisant et permettre à chacun de décider ce qu’il ou elle veut manger et comment cela doit être produit. Des caisses primaires gérées démocratiquement au niveau local permettraient de prendre ces décisions, qui remonteraient vers une instance nationale.
En France, plusieurs initiatives locales tendent vers ce modèle. C’est le cas du projet de la Cité vivante de l’alimentation à Lauris (Vaucluse) ou du « marché du lavoir » à Dieulefit (Drôme), où plusieurs prix sont pratiqués : un premier, qui permet juste au producteur de couvrir ses coûts, un « prix solidaire » un peu plus élevé, et un « prix accessible » qui représente 65 % du premier (Reporterre). En janvier, le département de la Gironde a aussi annoncé qu’il planchait sur un projet de « sécurité sociale alimentaire » (Rue 89 Bordeaux), mais ses contours sont encore flous.
Une idée dans la campagne
Ce fonctionnement inspire aussi plusieurs candidat·es à la présidentielle. Dans son programme, Jean-Luc Mélenchon (France insoumise) propose de délivrer une carte de paiement pour chaque foyer, qui servira à payer des aliments principalement bio et de saison dans des magasins de proximité publics ou associatifs, conventionnés par l’État. De son côté, le candidat EELV Yannick Jadot promet une « démocratie alimentaire » qui offrira « une alimentation choisie, de qualité, en quantité suffisante et accessible à toute la population quels que soient ses revenus ». Son souhait est « d’ouvrir les projets alimentaires territoriaux [visant à relocaliser l’agriculture et l’alimentation, NDLR] à la participation des habitantes et habitants, producteurs et productrices ». Emmanuel Macron, lui, est plutôt favorable à la création de « chèques alimentaires bios » pour permettre une alimentation saine pour les plus précaires (Le Monde). Une proposition qui ne change pas fondamentalement de l’aide alimentaire.
Des mesures des candidat·es aux initiatives locales, la route vers une véritable Sécurité sociale alimentaire paraît encore longue. « Les initiatives locales, c’est super, mais elles ne peuvent jamais être complètes, car il faut une dimension macro-économique pour vraiment changer le système », explique à Vert Dominique Paturel, chercheuse à l’Inrae (Institut national de la recherche agronomique, l’alimentation et l’environnement) et membre du collectif Démocratie alimentaire. Pour elle, il faut aller plus loin : « Est-ce qu’on veut être dans un projet d’écologie d’accompagnement ou d’écologie de rupture ? Aujourd’hui, le droit à la santé est reconnu et a permis la création de la Sécurité sociale. Il faut désormais qu’un droit à l’alimentation durable soit pris en compte sur le plan institutionnel ».
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