Reportage

Au Salon de l’agriculture, l’avenir sera technologique ou ne sera pas

Le Salon international de l’agriculture s’est ouvert samedi à Paris après une année blanche en 2021 liée au Covid-19. Alors que les organisateurs promettent de se concentrer sur le lien qui unit les agriculteurs et les consommateurs, c’est le solutionnisme technologique qui est mis en avant pour répondre aux défis de la filière.
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En vis­ite express à l’inauguration du Salon inter­na­tion­al de l’agriculture same­di matin, Emmanuel Macron a prédit la « révo­lu­tion silen­cieuse et dif­fi­cile » que devra vivre le monde agri­cole pour bâtir l’agriculture du XXIᵉ siè­cle. « Une révo­lu­tion qui passe par le numérique, la robo­t­ique et la géné­tique », a‑t-il expliqué devant un parterre de syn­di­cal­istes, d’agriculteur·rices et de jour­nal­istes.

Un dis­cours qui n’a pas con­va­in­cu sur le stand d’AgroParisTech, une des plus grandes écoles d’ingénieurs agronomes. « C’est dom­mage de se focalis­er sur la tech­nolo­gie », déplorent Elisa et Meh­di, tous deux étudiant·es de l’école, « alors qu’il existe tant d’autres approches de l’agriculture, des tech­niques ances­trales, l’agroécologie… ». Tous deux soulig­nent la pol­lu­tion générée par l’extraction de ter­res rares néces­saires aux out­ils numériques, sou­vent omise par les par­ti­sans de la « tech­nol­o­gi­sa­tion » de l’agriculture.

Non loin souf­fle un air de « start­up nation » : d’immenses pan­neaux à l’effigie de la Ferme dig­i­tale délim­i­tent un espace de quelque 600 mètres car­rés. Cette asso­ci­a­tion promeut l’innovation « pour une agri­cul­ture per­for­mante, durable et citoyenne ». Cinquante-trois start-ups adhérentes y présen­tent leurs solu­tions pour opti­miser la fil­ière agri­cole « de la fourche à la fourchette ». L’une pro­pose des équipements qui stim­u­lent les plantes par flashs ultra­vi­o­lets ; l’autre de recourir à l’intelligence arti­fi­cielle pour pilot­er l’environnement en créant des micro­cli­mats au-dessus des cul­tures. Une dernière promet d’« encap­suler le meilleur de la nature » en fab­ri­quant des bios­tim­u­lants (des fer­til­isants naturels). Sans oubli­er la flopée d’appareils autonomes, hybrides ou 100% élec­triques, pour mécan­is­er les cul­tures.

Le solutionnisme technologique comme seul remède à la crise ?

La tech­nolo­gie peut-elle régler seule les enjeux de la fil­ière agri­cole — la sou­veraineté ali­men­taire, le change­ment cli­ma­tique ? Co-fon­da­trice de l’association, Karine Bre­ton-Cail­leaux admet que « ça ne résoudra pas tout. Mais ça peut aider pour être plus com­péti­tif ».

Le coin branché du SIA 2022 © Jus­tine Pra­dos

Dans le hall d’exposition dédié aux ani­maux d’élevage — le plus grand et le plus vis­ité — trône un large stand McDon­ald’s. Deux ani­ma­tions y sont pro­posées : une fresque représen­tant une immense exploita­tion à col­o­ri­er et une vidéo qui présente sa « ferme zéro car­bone ». Par­mi les inno­va­tions mis­es en avant, un drone pour véri­fi­er l’état de san­té des plan­ta­tions, un robot automa­tique pour le désherbage mécanique, qui envoie un courant élec­trique afin de net­toy­er les « plantes malades », ou encore un tracteur autonome guidé par GPS. Ce n’est qu’en toute fin de vidéo que sont évo­quées des solu­tions naturelles comme la plan­ta­tion de haies ou d’arbres en bor­dure de champs pour favoris­er la bio­di­ver­sité. Des solu­tions pour­tant large­ment éprou­vées et portées de longue date par les tenant·es d’une agri­cul­ture paysanne.

La nécessité de porter un discours alternatif

Au stand de la Con­fédéra­tion paysanne — un pavil­lon en bois sans chichi, on s’amuse de la col­oration que prend le Salon de l’agriculture. « D’année en année, on a vu les couleurs d’habillage des stands chang­er, les dis­cours aus­si. Avant, ils assumaient beau­coup plus le côté pro­duc­tiviste, mais ça s’est beau­coup ver­di », iro­nise Véronique Marchesseau, secré­taire générale du syn­di­cat et éleveuse de vach­es dans le Mor­bi­han.

Le stand de la Ferme dig­i­tale au SIA 2022 © Jus­tine Pra­dos

La Con­fédéra­tion paysanne promeut une agri­cul­ture respectueuse de l’environnement et rejette le libéral­isme économique qui ne pro­tège pas les paysan·nes. Son porte-parole réfute les cri­tiques selon lesquelles cette vision de l’agriculture serait passéiste. « Je me sens plutôt avant-gardiste par rap­port aux enjeux du change­ment cli­ma­tique. On porte un pro­jet agri­cole - mais aus­si de société - qui rejette le pseu­do-mod­ernisme qu’on nous vend comme une solu­tion à tous nos prob­lèmes », racon­te Nico­las Girod, pro­duc­teur de lait dans le Jura.

« Nous ne sommes pas con­tre l’innovation, abonde Véronique Marchesseau, on dit “oui” au mod­ernisme, mais seule­ment au ser­vice de l’autonomie des agricul­teurs, pas pour les ren­dre dépen­dants de gross­es boîtes ou de tech­nolo­gies en tous gen­res. »

Leur présence au Salon représente d’ailleurs un bud­get con­séquent : 40 000 euros pour le stand et la logis­tique liée à l’événement, pré­cisent les deux exploitant·es. Une paille pour les géants de l’industrie ; un sac­ri­fice « essen­tiel » pour le syn­di­cat. « Qu’on le veuille ou non, c’est LE grand moment agri­cole de l’année, et on ne peut pas laiss­er le champ libre à un seul et unique dis­cours sur l’agriculture. Il faut mon­tr­er qu’il existe des alter­na­tives », argu­mente-t-il. Un enjeu d’autant plus impor­tant en pleine cam­pagne prési­den­tielle, alors que le raout annuel de l’agriculture attire chaque année env­i­ron 600 000 vis­i­teuses et vis­i­teurs.