En visite express à l’inauguration du Salon international de l’agriculture samedi matin, Emmanuel Macron a prédit la « révolution silencieuse et difficile » que devra vivre le monde agricole pour bâtir l’agriculture du XXIᵉ siècle. « Une révolution qui passe par le numérique, la robotique et la génétique », a-t-il expliqué devant un parterre de syndicalistes, d’agriculteur·rices et de journalistes.
Un discours qui n’a pas convaincu sur le stand d’AgroParisTech, une des plus grandes écoles d’ingénieurs agronomes. « C’est dommage de se focaliser sur la technologie », déplorent Elisa et Mehdi, tous deux étudiant·es de l’école, « alors qu’il existe tant d’autres approches de l’agriculture, des techniques ancestrales, l’agroécologie… ». Tous deux soulignent la pollution générée par l’extraction de terres rares nécessaires aux outils numériques, souvent omise par les partisans de la « technologisation » de l’agriculture.
Non loin souffle un air de « startup nation » : d’immenses panneaux à l’effigie de la Ferme digitale délimitent un espace de quelque 600 mètres carrés. Cette association promeut l’innovation « pour une agriculture performante, durable et citoyenne ». Cinquante-trois start-ups adhérentes y présentent leurs solutions pour optimiser la filière agricole « de la fourche à la fourchette ». L’une propose des équipements qui stimulent les plantes par flashs ultraviolets ; l’autre de recourir à l’intelligence artificielle pour piloter l’environnement en créant des microclimats au-dessus des cultures. Une dernière promet d’« encapsuler le meilleur de la nature » en fabriquant des biostimulants (des fertilisants naturels). Sans oublier la flopée d’appareils autonomes, hybrides ou 100% électriques, pour mécaniser les cultures.
Le solutionnisme technologique comme seul remède à la crise ?
La technologie peut-elle régler seule les enjeux de la filière agricole – la souveraineté alimentaire, le changement climatique ? Co-fondatrice de l’association, Karine Breton-Cailleaux admet que « ça ne résoudra pas tout. Mais ça peut aider pour être plus compétitif ».
Dans le hall d’exposition dédié aux animaux d’élevage – le plus grand et le plus visité – trône un large stand McDonald’s. Deux animations y sont proposées : une fresque représentant une immense exploitation à colorier et une vidéo qui présente sa « ferme zéro carbone ». Parmi les innovations mises en avant, un drone pour vérifier l’état de santé des plantations, un robot automatique pour le désherbage mécanique, qui envoie un courant électrique afin de nettoyer les « plantes malades », ou encore un tracteur autonome guidé par GPS. Ce n’est qu’en toute fin de vidéo que sont évoquées des solutions naturelles comme la plantation de haies ou d’arbres en bordure de champs pour favoriser la biodiversité. Des solutions pourtant largement éprouvées et portées de longue date par les tenant·es d’une agriculture paysanne.
La nécessité de porter un discours alternatif
Au stand de la Confédération paysanne – un pavillon en bois sans chichi, on s’amuse de la coloration que prend le Salon de l’agriculture. « D’année en année, on a vu les couleurs d’habillage des stands changer, les discours aussi. Avant, ils assumaient beaucoup plus le côté productiviste, mais ça s’est beaucoup verdi », ironise Véronique Marchesseau, secrétaire générale du syndicat et éleveuse de vaches dans le Morbihan.
La Confédération paysanne promeut une agriculture respectueuse de l’environnement et rejette le libéralisme économique qui ne protège pas les paysan·nes. Son porte-parole réfute les critiques selon lesquelles cette vision de l’agriculture serait passéiste. « Je me sens plutôt avant-gardiste par rapport aux enjeux du changement climatique. On porte un projet agricole – mais aussi de société – qui rejette le pseudo-modernisme qu’on nous vend comme une solution à tous nos problèmes », raconte Nicolas Girod, producteur de lait dans le Jura.
« Nous ne sommes pas contre l’innovation, abonde Véronique Marchesseau, on dit “oui” au modernisme, mais seulement au service de l’autonomie des agriculteurs, pas pour les rendre dépendants de grosses boîtes ou de technologies en tous genres. »
Leur présence au Salon représente d’ailleurs un budget conséquent : 40 000 euros pour le stand et la logistique liée à l’événement, précisent les deux exploitant·es. Une paille pour les géants de l’industrie ; un sacrifice « essentiel » pour le syndicat. « Qu’on le veuille ou non, c’est LE grand moment agricole de l’année, et on ne peut pas laisser le champ libre à un seul et unique discours sur l’agriculture. Il faut montrer qu’il existe des alternatives », argumente-t-il. Un enjeu d’autant plus important en pleine campagne présidentielle, alors que le raout annuel de l’agriculture attire chaque année environ 600 000 visiteuses et visiteurs.