La rentrée du groupe scolaire privé Fénelon et de l’école élémentaire publique Massiou de La Rochelle (Charente-Maritime) ne s’est pas faite dans l’odeur des cahiers neufs mais dans celle des hydrocarbures. Évacuant dès le 1er septembre les élèves du collège de salles de classe où ils se sentaient «comme dans une station service», le corps enseignant de Fénelon, établissement qui accueille des élèves de la maternelle jusqu’au bac, a vite alerté sur la cause bien identifiée de ces nuisances : le chantier de dépollution voisin, où les pelleteuses remuaient des terres souillées sans les protections requises.
Le 5 septembre, 400 personnes ont défilé sur le Vieux-Port derrière une banderole «Chantier rue Marcel Paul-Santé en danger», dont plusieurs enseignant·es ayant exercé leur droit de retrait. Une mobilisation inédite pour un établissement privé sous contrat. Et pour cause : voilà un an que ça dure.
À quelques coups de pédale du Vieux-Port de La Rochelle, ce chantier de dépollution de 10 000 mètres carrés intoxique les relations du quartier Notre-Dame avec les autorités locales. D’un côté, les riverain·es et 3 000 enfants, personnels et enseignant·es constatent les nuisances et s’inquiètent des effets sur leur santé. De l’autre, la mairie et la préfecture balayent toute discussion sur les risques et poussent à l’avancée des travaux.
Usine à gaz
Sur le site de Vinci immobilier, le lieu de la discorde se nomme «Parc de l’Envolée», un ensemble de logements du studio au quatre pièces enserrant un îlot végétalisé censé redonner «vie à une ancienne friche entièrement imperméabilisée». Sous les fondations de ce projet gisent les restes d’une ancienne usine à gaz Enedis cédée aux promoteurs immobiliers Vinci et Brownfield.
«Le propriétaire a fait l’état des lieux et constaté différentes couches de pollution, récapitule auprès de Vert Sylvain Dardenne, adjoint à l’urbanisme de la ville. L’architecte a prévu un cuvelage bien étanche en béton pour éviter la porosité, mais une partie du site restait à dépolluer.»
Ce chantier mené par l’entreprise Speed Rehab (codétenue par les deux promoteurs et Engie) débute à l’été 2024. Le directeur du groupe Fénelon sait tout juste que «des travaux vont avoir lieu». Les gens du quartier semblent avoir été peu informés : quelques prospectus dans les boîtes aux lettres, d’un côté de la rue seulement, dont personne ne semble se rappeler.
«L’impression que mes enfants sortaient d’une cuve de fioul»
Une odeur d’essence et de pneu brûlé envahit la cour à la mi-septembre 2024, montant à la tête des surveillant·es, pour certain·es jusqu’au malaise. Une réunion du comité social et économique extraordinaire du groupe privé se tient en présence des responsables du chantier : «Ils nous ont annoncé le report des travaux aux vacances de la Toussaint à la suite de la découverte d’une cuve de carburant, récapitule Stéphanie Rio, déléguée CFDT à Fénelon. Nous en sommes sortis très rassurés.»
Au retour des vacances, lundi 4 novembre 2024, les effluves d’essence ont envahi tous les bâtiments, imprégnant les rideaux, collant aux tables. À l’heure de la sortie, l’odeur accompagne la cohorte des écolier·es – les yeux qui piquent, l’envie de vomir – jusque dans les maisons. «Mon fils avait mal à la tête, ma fille la gorge qui gratte. Je les ai immédiatement douchés : j’avais l’impression de les sortir d’une cuve de fioul !», se souvient, comme beaucoup d’autres, le père d’élèves de l’école Massiou.
Interpellés par les directeurs, le préfet et le maire convoquent une réunion le 13 novembre, où se présentent des représentant·es de l’entreprise et des autorités qui font face à une poignée de profs et parents. La rencontre s’achève sur la décision d’arrêter le chantier le temps de réaliser des analyses, mais laisse un goût désagréable aux participant·es : «À la demande de suivi médical, il nous a été répondu par l’Agence régionale de santé d’aller voir notre médecin traitant et de prendre du Doliprane, restitue Stéphanie Rio. Nous étions beaucoup moins rassurés…»
Quelques parents inquiets cherchent des solutions. Voyant sa fille déclarer des symptômes cutanés et gastriques, Stéphane* décide de la retirer de l’établissement privé en urgence, «ce qui n’est pas une décision légère l’année du bac avec ParcoursSup». D’après le directeur, 20 à 25 élèves ont quitté le groupe scolaire avant Noël dernier. Côté école publique, c’est autre chose : malgré un certificat médical pour les soudaines crises d’asthme de son fils, Rosa* se voit refuser la dérogation permettant de le changer d’établissement. «Le service de l’éducation a expliqué qu’il y avait trop de demandes pour en accorder», soupire la mère. Le rectorat n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Plomb, cyanure, hydrocarbures aromatiques polycycliques
Au lendemain de l’arrêt du chantier, l’association Zéro Toxique se constitue pour documenter les effets du chantier sur la santé de la communauté scolaire et des habitant·es du quartier. Ironie du sort, le groupe scolaire privé sous contrat Fénelon, épicentre des inquiétudes, est un vivier de compétences : «Nous sommes tous cadres, experts dans un domaine qui touche le chantier», résume une porte-parole de l’asso, communicante professionnelle.
«De novembre à Noël, j’ai arrêté de bosser : je passais douze heures par jour à chercher le statut des entreprises, les permis, la législation…», se souvient un papa engagé. Bien vite, l’association découvre que d’autres chantiers ont débuté sur des sites similaires en France, mais sous des tentes de protection qui évitent les émanations.
En parallèle et à leurs frais, les parents réalisent des prélèvements dans les jardins, recueillent des mèches de cheveux, installent des capteurs d’air. «J’habite juste derrière Fénelon, quand le chantier a démarré, j’étais en congé maternité. Nous ne pouvions plus respirer dans le jardin, expose Eugénie*. Quand nous avons présenté les analyses de la terre au labo, on m’a regardée comme l’hypocondriaque de service : “Vous avez une cuve de fioul qui a fui ?”» Les analyses décèlent dans les corps et l’environnement des taux anormaux de plomb, cyanure, hydrocarbures aromatiques polycycliques – ou HAP, des résidus de combustion hautement toxiques.
Sur ces bases, l’association présente la même liste de demandes à toutes les réunions organisées par les autorités : installation d’une tente de protection, arrêt du chantier, analyses et suivi médical indépendants des effets des travaux sur la santé. Mais, à chaque rencontre, le même schéma se répète : les autorités annoncent la reprise aux vacances suivantes et de nouvelles analyses menées par l’entreprise elle-même.
À mesure que l’année scolaire avance, l’usure se fait sentir. Hélène* ressasse : «Tous les jours, au moment de la mettre à l’école, je me demande : “Est-ce que je fais prendre un risque à mon enfant de cinq ans ?” C’est une torture.» Certain·es envisagent même de quitter La Rochelle. Eugénie*, elle, a déjà mis les voiles loin de son jardin plombé.
Cinquante sites similaires en France
La dernière réunion avant les grandes vacances promettait des avancées notables. Durant la reprise estivale des travaux, le nouveau protocole était censé intégrer une tente de protection et un système d’aspiration. «Censé», car après la découverte d’une seconde cuve de fioul début août, les travaux reprennent à l’air libre, les souffleries à l’arrêt.
En réponse à ce nouvel écart, le préfet annonce une mise en demeure de l’entreprise, qui suscite plus d’interrogations que de soulagement. «Quand j’ai vu que l’arrêté demandait la formation du personnel de chantier, je me suis étranglée, avoue une porte-parole de Zéro Toxique. Ça voudrait dire que les gens n’étaient pas formés ?» Contactée par Vert, la préfecture n’a pas donné suite.
Le maire de la ville, Thibaud Guiraud (centre gauche), exclut pour sa part tout abandon de la construction. En plus du besoin en logements de la très prisée cité maritime, il évoque un risque juridique et financier qui pourrait se chiffrer à «plusieurs millions», sans en préciser la nature. Un contentieux existe pourtant déjà : depuis l’hiver dernier, Zéro Toxique mène une procédure administrative en référé expertise auprès du tribunal administratif de Poitiers (Vienne). Elle aussi au point mort.
Le cas de La Rochelle rayonne bien au-delà de ses remparts. L’usine à gaz qu’il s’agit de dépolluer fait partie d’un lot de cinquante sites cédés par Enedis à Vinci à travers toute la France : Arles (Bouches-du-Rhône), Tours (Indre-et-Loire), Montpellier (Hérault)… «Nous avons l’impression d’être des cobayes, résume une porte-parole de l’association. Mais, aujourd’hui, l’association compte 400 membres, plus que la plupart des partis politiques à La Rochelle !»
Le week-end qui a suivi la rentrée, des bâches agricoles lestées de parpaings ont été déployées sur les terres du chantier. Pas sûr que cela suffise à retenir les gaz qui émanent des terres souillées. Ou la colère qu’ils ont soulevée.
*La plupart des parents d’élèves ont souhaité rester anonymes.
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