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«C’est du science washing» : un partenariat entre l’ex-auteur du Giec François Gemenne et le géant de la construction Saint-Gobain interroge

Science confuse. Le chercheur François Gemenne apparait dans des vidéos tournées par le géant français des matériaux de construction Saint-Gobain. Un exemple de «science washing», selon plusieurs observateurs. Autrement dit, l’entreprise aurait noué ce partenariat rémunéré avec le scientifique pour acheter sa crédibilité.
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«Bonjour tout le monde ! Bienvenue aux Émirats arabes unis !» Lunettes de soleil sur le nez, face caméra et en anglais, la salutation ne vient pas d’un influenceur voyage mais bien de François Gemenne, chercheur spécialiste des migrations et co-auteur du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) en 2023.

Ce dernier est apparu dans une vidéo publiée le 17 septembre dernier sur le compte Youtube de… Saint-Gobain, géant français des matériaux de construction, et l’un des plus gros émetteurs français de gaz à effet de serre. Un partenariat rémunéré qui fait débat depuis que la journaliste Camille Crosnier a parlé de la collaboration entre le scientifique et la multinationale dans sa chronique du lundi 29 septembre sur France inter. Pour cause : l’usine de l’industriel en Meurthe-et-Moselle est le 17ème site le plus émetteur de gaz à effet de serre en France, avec une augmentation de 5,9% de ses émissions entre 2019 et 2023, selon un récent rapport du Réseau action climat.

François Gemenne dans la vidéo «Saint-Gobain 360 ans – Émirats arabes unis : le confort pour tous». © Capture d’écran Youtube/Saint-Gobain

Cela n’a pas empêché Saint-Gobain de publier une série de vidéos avec le scientifique renommé pour ces travaux sur l’écologie, afin de promouvoir «les actions concrètes en faveur d’une construction plus responsable». L’occasion «d’interroger la manière dont une entreprise comme Saint-Gobain peut, concrètement, contribuer à une transition durable», avait écrit François Gemenne sur Linkedin lors de l’annonce du partenariat, il y sept mois.

Au programme, des vidéos tournées aux quatre coins du monde : aux Émirats arabes unis donc, mais aussi en Chine, aux États-Unis ou en Afrique du Sud. Un partenariat pour lequel François Gemenne perçoit une rémunération.

«Acheter la crédibilité de scientifiques»

Historiquement, grandes entreprises et lobbies industriels ont travaillé avec des scientifiques ou des cabinets indépendants dans le cadre de rapports, commandés pour servir leurs intérêts. Mais, à l’ère des réseaux sociaux et des influenceur·ses, une nouvelle tendance émerge : le «science washing».

«C’est l’idée de pouvoir acheter la crédibilité de scientifiques dans le cadre de partenariats qui ressemblent à des partenariats avec des influenceurs», explique Jordan Allouche, lobbyiste écologiste et fondateur d’Écolobby. Pour lui, la collaboration entre François Gemenne et Saint-Gobain pose problème car c’est «un scientifique de renom qui est démarché, un chercheur qui a constitué sa réputation sur l’enjeu écologique, notamment grâce à sa participation aux travaux du Giec».

Même constat pour Amélie Deloche, co-fondatrice du collectif Paye ton Influence : «Comment restaurer la confiance dans la parole scientifique quand on a des personnes avec un très grand argument d’autorité qui acceptent de collaborer avec des entreprises dans un cadre qui est celui des innovations à Dubaï – ville de la démesure et fondamentalement anti-écologique ?»

«Imposer leurs narratifs»

Auprès de Vert, François Gemenne réfute tout science washing, «pour la bonne et simple raison qu’il ne s’agit pas de science», selon lui, dans le contenu des vidéos. Il dit «comprendre que l’on puisse penser qu’il s’agit de “greenwashing”» mais se défend de minorer l’empreinte carbone de Saint-Gobain et dit vouloir «montrer les solutions qui existent pour décarboner le bâtiment». Pour lui, ce sont les entreprises qui ont le plus de «leviers d’action concrets» pour lutter contre le changement climatique, donc il faut travailler avec elles. «Soit on accepte de mettre les mains dans le cambouis et de valoriser les solutions qui existent, soit on reste en retrait pour échapper à toute critique. J’assume d’avoir choisi la première option.» François Gemenne n’a pas précisé à Vert le montant et les conditions de sa rémunération.

Pour Amélie Deloche, le chercheur, en «acceptant de prêter son image et de vendre sa crédibilité scientifique», sert bel et bien le lobbying de l’entreprise. «Comment faire si – en plus de certains influenceurs déjà happés par les sirènes de l’industrie – les scientifiques eux-mêmes, alors qu’ils sont au courant des stratégies des entreprises pour imposer leurs narratifs, n’arrivent pas à s’en détacher ?», interroge-t-elle.

En plus des scientifiques, Saint-Gobain étend aussi son emprise à d’autres milieux de la recherche : selon une récente enquête, l’industriel fait partie des entreprises qui étendent le plus leur emprise dans l’enseignement supérieur (notre article).

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