Décryptage

Ce monde de la finance qui promet la neutralité carbone et continue de soutenir massivement les énergies fossiles

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Neutralité cabrón. Lors de la 26ème conférence de l’ONU (COP26) sur le climat, en 2021, une alliance inédite d’acteurs financiers promettait de faire sa révolution pour le climat. Un peu plus d’un an plus tard, ils continuent d’investir des sommes folles dans les projets de gaz, pétrole et charbon.

La lutte contre le changement climatique implique des décisions drastiques. Et justement, le 3 novembre 2021, les plus grands noms de la finance mondiale ont décidé de frapper fort en s’engageant à rendre leur portefeuille « neutre en carbone » d’ici à 2050, c’est-à-dire que leurs investissements et leurs prêts ne devraient plus émettre davantage de CO2 qu’ils ne contribuent à en retirer de l’atmosphère.

Lancée en marge de la COP26, l’Alliance financière de Glasgow pour la neutralité carbone (GFANZ) s’annonçait comme une arme de décarbonation massive ! Celle-ci revendique pas moins 450 acteurs financiers signataires, représentant quelque 130 000 milliards de dollars d’actifs. A l’époque, leur promesse de flécher cet immense pactole vers des projets plus durables avait déjà suscité le scepticisme. Trop beau pour être vrai.

Parmi les mauvaises langues de l’époque, l’ONG française Reclaim Finance a suivi de près les engagements des 161 plus grands signataires. Publiée ce mardi, son enquête montre que la plupart ont continué à injecter des centaines de milliards de dollars dans les entreprises développant de nouveaux projets d’énergies fossiles. Et pas qu’un peu. « Depuis leur adhésion à la GFANZ, 56 des plus grandes banques ont fourni 270 milliards de dollars [250 Mds €] à 102 grands développeurs d’énergies fossiles », pointe le rapport. Ces 102 entreprises représentent à elles seules 60 % des nouveaux projets pétro-gaziers (soit 137 milliards de barils de production supplémentaires) et projettent d’ouvrir pas moins de 92 mégawatts de projets charbonniers.

Les banques américaines et japonaises sont au sommet, en tête desquelles Citigroup et ses 30 milliards de dollars (27,7Mds€) accordés à des projets fossiles entre avril 2021 et août 2022. Trois banques françaises sont dans un mouchoir de poche : la BNP Paribas, la Société générale et le Crédit agricole ont accordé chacune plus de 6 milliards de dollars (soit 5,5 Mds€) au développement de projets de gaz, pétrole ou charbon.

La BNP Paribas est la banque française de la GFANZ qui a accordé le plus de soutien financier à des projets fossiles avec plus de 7 milliards de dollars au total entre avril 2021 et août 2022, selon le rapport. En octobre dernier, les ONG Oxfam, les Amis de la Terre et Notre affaire à tous avaient mis en demeure la BNP Paribas de cesser tout nouvel investissement dans les énergies fossiles, avant une éventuelle action en justice. © Christophe Da Silva/Oxfam

Les gestionnaires d’actifs ne sont pas en reste : « les 58 principaux cumulent pas moins de 847 milliards de dollars d’actions et d’obligations dans 201 grands développeurs d’énergies fossiles à la fin du mois de septembre 2022 », pointe Reclaim Finance. « Au total, 229 des plus grands développeurs d’énergies fossiles au monde ont reçu des soutiens financiers de la part des 161 membres de GFANZ couverts dans ce rapport ». Autant dire que l’argent coule à flot du côté des fossoyeurs du climat, notamment chez le français Amundi, dixième fonds qui détient le plus d’actifs chez les développeurs d’énergies fossiles recensés par Reclaim.

L’ONG n’a trouvé qu’une seule banque signataire à la hauteur de ses engagements : la Banque Postale. Le groupe est engagé depuis fin 2021 dans la liquidation des 1,2 milliard d’euros d’actifs qu’il détenait encore dans les énergies fossiles. Il compte s’en être complètement débarrassé d’ici à 2030.

Illustration : Pénélope Dickinson

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