Passer du diagnostic de la crise aux solutions. Dans un rapport publié ce mercredi, l’Institut pour l’environnement et la sécurité humaine de l’Université des Nations unies (UNU-EHS) – un groupe de réflexion académique de l’ONU basé au Japon –, identifie cinq leviers de changement pour un «monde plus durable». Questionner notre rapport aux déchets, se reconnecter avec la nature… ces mesures clés sont censées répondre aux multiples défis de l’humanité, tels que l’aggravation des inégalités, le changement climatique, la perte de biodiversité ou encore la pollution.
Il y a un an, la même université publiait un rapport, dans lequel elle alertait sur l’existence de six grands risques interconnectés, capables de faire basculer le bon fonctionnement de la planète, avec l’accélération des extinctions ou l’épuisement des eaux souterraines, par exemple. «Avec ce nouveau rapport, nous avons voulu apporter une note d’optimisme, montrer qu’il est possible d’avancer vers un monde meilleur», expliquent Caitlyn Eberle et Irmak Karakislak, coautrices de l’étude.
Prendre les problèmes «à la racine». C’est l’objectif de ce travail, qui part du principe qu’un bon nombre de solutions déjà mises en place sont des «correctifs de surface». «Depuis des années, les scientifiques nous mettent en garde contre les dommages que nous causons à notre planète et nous expliquent comment y mettre un terme. Mais nous ne prenons pas de mesures significatives», affirme le professeur Shen Xiaomeng, directeur de l’UNU-EHS, en préambule. Il s’agirait, par la mise en place de ces mesures clés, de remettre en question les structures de la société et les mentalités.
Quels sont ces leviers ? De quelles expériences pouvons-nous nous inspirer pour mieux les actionner ? Vert en a dressé la liste, pour mieux comprendre.
Mieux gérer nos déchets, comme dans la ville de Kamikatsu, au Japon
Le modèle visant à produire, acheter, puis jeter n’est pas compatible avec un monde durable, rappellent les auteur·es de l’étude. Ce modèle génère deux milliards de tonnes de déchets ménagers par an et suffirait à remplir «une ligne de conteneurs maritimes faisant vingt-cinq fois le tour de l’équateur». Elles et ils appellent donc à repenser le concept même de déchet, et à bifurquer vers une économie circulaire qui privilégie la réparation et la réutilisation.
Les auteur·es s’appuient sur l’exemple de la ville de Kamikatsu, au Japon. Présentée comme un modèle de réussite, la commune a atteint un taux de recyclage d’environ 80%, là où la moyenne nationale plafonne autour de 20%. Là-bas, les déchets sont séparés en 45 catégories, du compostage au recyclage, à la réutilisation ou à la réparation. La ville vise le zéro déchet, et compte, entre autres, un magasin de vêtements recyclés, ainsi qu’une brasserie qui fabrique de la bière artisanale à partir de déchets agricoles.
S’aligner sur la nature : au Vietnam, les inondations au service de l’agriculture
Mettre fin à l’anthropocentrisme, tel est l’enjeu du deuxième levier. Pendant des siècles, d’après le rapport, on a enseigné aux humains qu’elles et ils étaient supérieur·es à la nature et en étaient séparé·es. Des forêts et des plaines entières ont été défrichées pour nourrir des populations toujours nombreuses, à tel point qu’aujourd’hui, environ 95% des terres émergées ont été modifiées par les activités humaines.

La canalisation des rivières en est un parfait exemple. Il s’agit d’un processus qui modifie les cours d’eau pour qu’ils s’écoulent en ligne droite, au lieu de serpenter naturellement à travers le paysage. Conçue pour améliorer la navigabilité, réduire le risque d’inondations, ou créer plus de terres agricoles, cette canalisation a pour conséquence d’assécher les zones humides. «Les réalisations de ce type sont souvent saluées comme des triomphes de l’humanité. Toutefois, cet état d’esprit donne la priorité aux besoins humains, plutôt qu’à la santé de la planète», déplorent les auteur·es.
Au Vietnam, plutôt que de chercher à éliminer les inondations, les populations s’appuient sur elles pour alimenter les champs en eau et en nutriments, recharger les nappes phréatiques et éliminer les sels et les toxines des sols. Dans le pays, érigé en exemple par les auteur·es du rapport, les pêcheur·ses appellent même la saison des inondations la «saison des revenus», car elle apporte plus de poissons.
Reconsidérer la responsabilité, et mettre en place des mesures fortes de protection en tant que pays riches
Plus de huit milliards de personnes sur Terre, mais des ressources et des responsabilités inégalement réparties. L’étude le rappelle : la moitié la plus pauvre de la population mondiale n’émet que 12% des émissions totales de carbone, mais elle subira 75% des pertes de revenus attendues en raison du changement climatique. Alors, il faut que les pays riches, qui disposent de plus de moyens et de capacité à lutter contre le changement climatique, assument leurs responsabilités. Et qu’ils arrêtent, par exemple, de confier le traitement de leurs déchets aux pays d’Asie.
L’étude met en avant l’exemple du Royaume-Uni – un pays qui compte parmi les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre dans le monde –, qui a mis en place une mesure efficace de conservation de ses zones humides et de capture de carbone. L’État a créé le «Peatland code» (code des tourbières) en 2013. Un texte qui encourage la restauration des tourbières, ces zones humides capables de stocker des quantités de carbone astronomiques, et qui abritent une flore et une faune très riches. Il veille également à ce que les bénéfices de cette séquestration soient conservés localement et équitablement.
Réimaginer l’avenir, en s’inspirant du principe de la septième génération
Les conditions de vie des générations futures dépendent, en grande partie, des choix qui sont faits aujourd’hui. Si la barre des 1,5 degré de réchauffement de la planète venait à être dépassée – une étude publiée en février 2024 dans la revue scientifique Nature climate prévoit un dépassement de +2°C d’ici la fin de la décennie, soit 20 ans plus tôt que les prévisions actuelles –, les enfants d’aujourd’hui devraient connaître quatre fois plus d’événements climatiques extrêmes que les générations précédentes. D’où l’importance, d’après les auteur·es, de prioriser les visions à long terme. Et d’éviter, par exemple, «d’introduire des matériaux radioactifs dans l’environnement, qui menacent les systèmes naturels de la Terre au-delà des limites de sécurité».
Cet état d’esprit n’est pas nouveau et serait en fait profondément ancré dans diverses traditions autochtones. Par exemple, la confédération Haudenosaunee, dans le nord-est de l’Amérique du Nord, applique déjà le principe de la septième génération, qui invite les individus à réfléchir à l’impact de leurs décisions sur les sept générations suivantes.
Redéfinir la valeur : l’exemple de l’indice de bonheur national brut au Bouthan
Changer notre système de valeur, tel est l’enjeu du cinquième et dernier levier du rapport. Ses auteur·es remarquent que si la richesse mondiale a explosé ces cinquante dernières années – le PIB mondial est passé de 4 500 milliards de dollars à plus de 100 000 milliards de dollars –, ces richesses sont inégalement réparties mondialement et n’apportent pas plus de bien-être à celles et ceux qui en profitent. La solitude, par exemple, est une épidémie croissante qui touche environ 20% des personnes âgées dans certaines régions (Chine, Europe, Amérique latine et États-Unis). Plus grave encore : ce rapport à la croissance économique nuit durablement à notre environnement. Certaines forêts sont, par exemple, exploitées à outrance et valorisées uniquement pour leur productivité, alors qu’elles sont, avant tout, des foyers de biodiversité.
Au Bhoutan, il existe un indice de bonheur national brut (BNB). Il permet de suivre des facteurs tels que la santé, le bien-être psychologique, la diversité écologique et la résilience, entre autres. Cet indice est régulièrement pris en compte pour élaborer des politiques et prendre des décisions. Les auteur·es de l’étude soulignent les bénéfices d’un tel indice, qui aurait permis à cet État asiatique de se démarquer lors de la pandémie de Covid-19. À l’époque, l’accent avait été mis sur le soutien social, plutôt que sur l’isolement.
Interrogées par Vert, Caitlyn Eberle et Irmak Karakislak, coauteures de ce rapport, le rappellent : «Si l’on ne fait rien, les coûts de l’inaction seront bien plus élevés». Elles espèrent que les lecteurs et lectrices de leur étude – décideur·ses politiques comme citoyen·es – s’empareront de leur travail. Elles résument : «Le changement a déjà commencé. Ce qu’il faut, maintenant, c’est se mettre d’accord sur l’avenir que l’on souhaite. Voilà des pistes.»
À lire aussi
-
Comment parler d’écologie pour toucher le plus de monde ? Notre guide ultime
Discours toujours. Pour entraîner la bascule écologique de la société, il faudra apprendre à parler de tous ces sujets vitaux sans se friter. Vert vous propose douze astuces, validées par quatre spécialistes du sujet. Voici notre guide ultime. -
Classe dehors, éco-écoles et éco-délégués : comment éduquer les enfants à l’écologie toute l’année ?
Ça passe ou ça classe. L’école est l’endroit idéal pour former les nouvelles générations à l’enjeu de notre siècle : la crise climatique. Vert fait le tour des meilleures idées pour mobiliser les plus jeunes dans et hors des classes.