«En 2050, la demande en terreau sera 415% plus importante qu’aujourd’hui», selon Pierre Caessteker, chargé de mission zone humide pour l’Office français de la biodiversité (OFB). Depuis la pandémie de Covid-19, les Français·es jardinent de plus en plus et achètent du terreau pour ses capacités à maintenir l’eau dans un substrat stable. Ces qualités précieuses, le terreau les tient de la tourbe, une matière composée de végétaux en décomposition depuis des millénaires.
«Il faut 100 ans pour en constituer cinq centimètres», décrit le spécialiste des zones humides. Les tourbières sont une niche écologique unique qui, en plus d’abriter une flore et une faune riches, stocke des quantités de carbone astronomiques. «Un hectare de tourbière d’un mètre de profondeur contient entre 500 et 700 tonnes de carbone», estime-t-il. C’est l’équivalent d’environ 300 aller-retours entre Paris et New-York. En revanche, si cet écosystème commence à perdre son eau et à se dégrader, le carbone se retrouve dans l’atmosphère : «un hectare asséché libère vingt à trente tonnes de gaz à effet de serre par an», ajoute l’expert.
Tout le problème est là : l’utilisation de tourbe dans le terreau provoque la dégradation de ces milieux fragiles. Si les substrats alternatifs existent, les références sont encore peu nombreuses. «La tourbe est un produit de luxe. Elle a tout ce qu’il faut, confie Margaux Bounine Cabalé, cofondatrice et coordinatrice de l’association Happycultors. Reproduire ses qualités est difficile. Les terreaux sans tourbe sont un peu moins performants pour retenir l’eau, mais on expérimente étape par étape pour trouver la bonne recette. On ne peut pas changer d’un coup.»
Au menu des alternatives, la gamme proposée par le leader du terreau en France, Florentaise. Pour remplacer la tourbe, l’entreprise a développé une matière à base de fibres de bois et d’écorce de résineux. «Nous travaillons depuis vingt ans à l’élaboration de ce produit qui imite la capacité de rétention de l’eau de la tourbe, indique Chloé Moreau Chupin, vice-présidente de Florentaise. Nos matières proviennent de produits inutilisés de l’industrie du bois que l’on passe dans une machine brevetée qui nous donne des fibres très compétitives.» Entre 2017 et 2023, la société est passée de 2.6% de volume de terreau fabriqué en sans tourbe à 50%. Pour s’y retrouver, il est possible de se fier à l’étiquette de l’Écolabel européen. Les produits à base de tourbe n’y sont pas éligibles.
«On peut aussi faire son propre terreau en se renseignant bien», ajoute Margaux Bounine Cabalé. Une autre option serait d’utiliser de la fibre de coco originaire d’Inde ou du Sri Lanka. «C’est une option pertinente en termes de propriété mais une aberration écologique pour la produire et la transporter, affirme Chloé Moreau Chupin. Il faut 800 litres d’eau pour laver un mètre cube de cette fibre.»
Se passer complètement de ce substrat précieux reste un idéal encore lointain. «Le public n’est pas encore sensibilisé à cela, confie Margaux Bounine Cabalé d’Happycultors. Il faut que toute la chaîne s’y mette, des producteurs aux distributeurs, en passant par les élus.» La vice-présidente de Florentaise confirme que «c’est toute une filière qu’il faut changer».
L’entreprise française est aussi la dernière à pouvoir extraire de la tourbe en France. Sa concession dans la tourbière de Baupte (Manche) se termine en 2026. «Nous avons anticipé l’arrêt de cette extraction et prévu la réhabilitation progressive de la zone humide, souligne la vice-présidente. Sans ce matériau made in France, la société devra se fournir dans les pays Baltes, les plus grands extracteurs de tourbe en Europe.
«L’extraction, c’est comme la déforestation, il faut avoir des changements à l’échelle nationale et européenne», corrobore le chargé de mission de l’OFB, Pierre Caessteker. Comme pour le pétrole, la tourbe reste une énergie fossile limitée qui ne pourra pas subvenir éternellement aux besoins humains.
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