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Bayer vole au secours de l’État français, attaqué en justice pour sa mise sur le marché de pesticides

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Bay­er de rien. Engagé dans un recours auprès du tri­bunal admin­is­tratif depuis un an, le gou­verne­ment va peut-être pou­voir compter sur l’aide d’un des plus gros pro­duc­teurs de pes­ti­cides au monde. La demande d’intervention du groupe Bay­er doit encore être validée par le juge.

«C’est très sur­prenant de voir Bay­er et l’État du même côté de la barre», s’ex­clame Cécile Bar­bi­ère, porte-parole de Polli­nis. En jan­vi­er 2022, son asso­ci­a­tion, qui se bat pour la pro­tec­tion des abeilles, a déposé une plainte con­tre l’État, qu’elle accuse d’insuffisances en matière d’évaluation des risques et d’autorisation de mise sur le marché de pes­ti­cides. De quoi con­stituer, selon les requérants, un «man­que­ment à ses oblig­a­tions de pro­tec­tion de la bio­di­ver­sité». Ce recours fut déposé par Polli­nis devant le tri­bunal admin­is­tratif de Paris au côté de qua­tre autres ONG, réu­nies au sein du col­lec­tif «Jus­tice pour le vivant». Un an plus tard, alors que l’instruction est sur le point de se clore, les requérant·es vien­nent de décou­vrir que le géant alle­mand de l’agrochimie Bay­er, qui a absorbé Mon­san­to en 2018, avait déposé une demande d’intervention pour soutenir l’État dans sa défense.

Une situation inédite

Prévue par le droit, cette demande déposée le 31 jan­vi­er 2023 per­me­t­trait à l’entreprise d’ajouter ses argu­ments au dossier. «Une par­tie tierce qui jus­ti­fie d’un intérêt peut devenir par­tie prenante de la procé­dure, présen­ter ses obser­va­tions écrites et être présente à l’audience», explique Gérard Grand d’Esnon, avo­cat en droit pub­lic. «L’Etat n’a pas sol­lic­ité cette inter­ven­tion, c’est un sou­tien à la défense, mais pas une co-défense», ajoute Cécile Bar­bi­ère. Sol­lic­ité par Vert, Bay­er con­firme avoir «for­mulé une demande afin de pren­dre con­nais­sance de l’état des argu­men­ta­tions sur la ques­tion et d’évaluer la néces­sité d’intervenir». Cette demande d’intervention devra toute­fois être validée par le juge.

Le groupe Bay­er avait déjà util­isé cette dis­po­si­tion en 2021 pour s’associer à une précé­dente procé­dure visant l’Anses (Agence nationale de sécu­rité san­i­taire de l’alimentation, de l’environnement et du tra­vail), au sujet de l’herbicide Round Up que l’entreprise com­mer­cial­i­sait. La même année, une asso­ci­a­tion pro-nucléaire, «Ini­tia­tives pour le cli­mat et l’én­ergie», était égale­ment inter­v­enue pour soutenir l’État dans «l’Affaire du siè­cle» ; affaire qui a tout de même abouti à la con­damna­tion de l’E­tat pour n’avoir pas respec­té ses pro­pres objec­tifs cli­ma­tiques (Vert). Mais avec la demande de Bay­er-Mon­san­to, c’est la pre­mière fois qu’une entre­prise tente de prêter main forte à l’État dans une procé­dure qui ne la con­cerne pas directe­ment.

Le groupe Bayer pourrait apporter d’importants moyens à la défense

Polli­nis s’inquiète des «moyens sans com­mune mesure avec ceux des asso­ci­a­tions et même de l’Etat français» que pour­rait déploy­er le groupe indus­triel dans sa défense. «Le cadre de la procé­dure admin­is­tra­tive est assez sou­ple», explique à Vert l’avocat Gérard Grand d’Esnon. «Il y a générale­ment deux ou trois échanges de mémoires [doc­u­ments où chaque par­tie pré­cise ses argu­ments] et le juge décide d’arrêter l’instruction quand il con­sid­ère avoir tous les élé­ments.»

Face aux accu­sa­tions d’insuffisance en matière d’évaluation des risques des pro­duits phy­tosan­i­taires et de pro­tec­tion de la bio­di­ver­sité, le gou­verne­ment a rejeté toute «faute» en décem­bre dernier, en jus­ti­fi­ant que cette com­pé­tence était encadrée par le droit de l’Union européenne. Un raison­nement bal­ayé par les asso­ci­a­tions dans leur mémoire en réplique. Ces dernières ont indiqué que d’autres pays européens avaient déjà mis en place des cadres nationaux spé­ci­fiques. La balle est désor­mais dans le camp du gou­verne­ment, ain­si que du groupe Bay­er, qui ont jusqu’à ce ven­dre­di 10 févri­er pour répon­dre à l’argumentaire des ONG.