Reportage

À Strasbourg, le projet d’extension du tramway bouscule la place de la voiture en ville

Aux trams citoyens ! L’extension du réseau de tramway vers les communes du nord de Strasbourg à horizon 2027 alimente de nombreux débats dans la capitale alsacienne. «Contre-performant» et beaucoup trop cher pour certain·es ; chantier de la décennie et «premier tram du climat» pour d’autres, le projet crispe autant ses opposant·es que ses défenseur·ses.
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Installé·es devant un expresso à l’intérieur de la Brasserie des Vosges, plusieurs membres du collectif Cap tram nord tirent le bilan des dernières semaines de débats qui ont agité l’Eurométropole de Strasbourg (EMS). «Voici donc l’épicentre des tensions !», plaisante Jacques Bresson, porte-parole de ce collectif fédérant 27 associations de l’EMS, pour lancer la conversation.

Le restaurant est situé sur l’un des carrefours majeurs du tracé du futur tram. C’est sur ce sujet que se sont écharpé·es les opposant·es et défenseur·ses du projet pendant l’enquête publique, du 9 septembre au 18 octobre.

Les voies de circulation vont être remplacées par des rails de tramway. © Dorian Mao/Vert

«C’est l’accalmie en ce moment, mais ça devrait repartir de plus belle avec la parution des conclusions de l’enquête publique», précise Nicole Penot, présidente de l’association de promotion du vélo Cadr’67, appartenant au collectif favorable au projet. La publication de cet avis est attendue avant la fin de l’année.

Une mise en service attendue en 2027

Avec un investissement prévu de 268 millions d’euros pour ce projet, le tramway nord doit relier deux communes situées au nord de Strasbourg – Bischheim et Schiltigheim – à la capitale alsacienne. Prévue pour 2027, la ligne de cinq kilomètres entrainera une réduction drastique de la place de la voiture sur plusieurs axes majeurs de circulation de l’EMS.

La tracé de la future extension du tramway vers le nord. Cliquez sur l’image pour agrandir. © Eurométropole de Strasbourg

Sur l’avenue des Vosges, artère majeure pour le transit automobile dans Strasbourg, le trafic quotidien devrait passer de près de 18 000 voitures à 500. Seul·es les riverain·es et les livreur·ses pourront l’emprunter, en partageant la voie avec le tram.

«C’est un choix pleinement assumé : on ne peut pas être dans la demi-mesure face aux changements climatiques en cours», explique Alain Jund, vice-président de l’Eurométropole de Strasbourg en charge des mobilités et du transport. Selon l’étude d’impact réalisée par le bureau d’étude Getas pour ce projet, le tramway nord doit permettre d’éviter l’émission de près de 12 000 tonnes d’équivalent CO2 (tCO2eq) par an à partir de 2027. Un chiffre qui dépasse les 22 000 tCO2eq annuelles à partir de 2047.

Plus de 18 000 véhicules empruntent tous les jours l’avenue des Vosges à Strasbourg. © Dorian Mao/Vert

Pour sensibiliser les habitant·es au sujet de la voiture en ville, l’EMS a décidé d’axer son propos sur la santé, la pollution de l’air et la pollution sonore liée au trafic automobile : «Les véhicules occupent encore beaucoup de place dans l’espace public strasbourgeois. Il faut élargir la vision que l’on a de la ville et inverser la logique de pensée en laissant davantage de place aux transports décarbonés. Le tram est un outil de mobilité, mais surtout un outil de transformation de la ville», poursuit Alain Jund.

«Un vrai manque de courage politique sur la question de la place de la voiture»

Malgré leur soutien au projet, les membres de Cap tram nord formulent quelques critiques : «En réalité, il y a toujours un vrai manque de courage politique. Même avec ce projet, les élus ne se positionnent pas franchement contre l’usage individuel de la voiture», assène Jacques Bresson.

Selon les données du bureau d’études Getas, l’utilisation des voitures individuelles sur le territoire concerné par l’arrivée du tramway devrait diminuer de seulement quatre points. La voiture représenterait toujours plus de 30% des déplacements en 2027, contre 18% pour les transports en commun.

De son côté, le vice-président écologiste estime que l’EMS place «la barre assez haut» : «Ce projet ne concerne pas que la mobilité, il s’agit aussi de penser la transformation de la ville. C’est le premier tram du climat, un projet de rupture pour l’agglomération comme l’a été l’installation de la première ligne de tram à Strasbourg en 1994.»

La maire à l’origine du premier tram strasbourgeois… contre le projet

Elle qu’elle était à l’origine de cette première ligne, il y a trente ans, l’ancienne maire socialiste de Strasbourg, Catherine Trautmann, est aujourd’hui vent debout contre ce nouveau tram nord : «C’est un projet contre-performant, avec une véritable politique de gêne à l’usage de la voiture pour des gens qui n’ont pas le choix. Il y a là une contrainte forte et une brutalisation des personnes qui utilisent leur véhicule. Il y a la possibilité de faire mieux avec ce projet.»

L’ancienne édile défend un trajet alternatif, qui ne passerait pas par l’avenue des Vosges, mais plutôt par les quais et les Halles. «Ce qui est frappant avec ce tracé, c’est le report de la circulation dans des rues adjacentes, plus étroites et moins propices à la circulation. C’est totalement incohérent. Il faut une véritable politique de transition pour que les gens arrêtent d’utiliser leur voiture», soutient-elle.

Un point de vigilance également soulevé par Johann Buglnig, membre de l’association de quartier Vosges-Neustadt et du collectif Cap tram nord : «La question de la gestion des flux se pose avec ce projet. La voiture occupe une place très importante dans le quartier des Vosges et de la Neustadt, et nous ne souhaitons pas que les problèmes de pollution se retrouvent chez nos voisins.»

Dans une analyse publiée en septembre 2024 sur l’acceptabilité des mesures de réduction de la place de la voiture en ville, l’Agence de la transition écologique (Ademe) affirmait «qu’une mesure initialement impopulaire peut devenir populaire au bout de quelques années ou lorsqu’elle se concrétise et que ses effets positifs deviennent visible».

Une évidence pour Alain Jund : «On bouscule des ordres établis, des habitudes. C’est normal qu’il y ait des tensions et des réticences. Les gens se crispent aujourd’hui, mais des années après, ils se demanderont pourquoi on n’a pas fait ça avant.»