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Biodiversité : le gouvernement sur liste rouge

Chères toutes et chers tous,

Dès la semaine prochaine, Vert passe en mode édition spéciale.


Malgré ses discours enflammés sur la biodiversité, le président semble avoir laissé béton le vivant.


Biodiversité : le bilan d’Emmanuel Macron sur liste rouge

De discours en sommets, Emmanuel Macron se présente volontiers en champion de la biodiversité. Hélas, le bilan des quatre années passées à l’Elysée raconte une toute autre histoire.

Agriculture : le nerf de la guerre

La France est la première bénéficiaire de la Politique agricole commune (PAC), programme européen qui subventionne largement les plus grandes et les plus intensives exploitations, qui appauvrissent et polluent les sols. Au pouvoir pendant trois années de négociations de la nouvelle version pour les années 2023-2027, le gouvernement avait la main pour négocier une PAC plus verte, « un grand tournant raté », selon Pauline Rattez, responsable des politiques agricoles et alimentaires à la Ligue de protection des oiseaux (LPO).

Le gouvernement a par exemple choisi de classer le label HVE (haute valeur environnementale) parmi les écorégimes de la PAC : il s’agit de paiements directs réservés aux agriculteurs qui mettent en place des pratiques agricoles vertueuses pour l’environnement, au même titre que la certification bio. Or, ce label est qualifié d'« enfumage » par de nombreuses associations.

Promise en 2017, la sortie du glyphosate, herbicide classé « cancérogène probable » par l'Organisation mondiale de la santé, a été sans cesse repoussée et ses ventes ont bondi en 2020. Le gouvernement a également réautorisé les pesticides néonicotinoïdes : ces « tueurs d'abeilles » avaient été interdits en 2018 en raison de leur danger pour l'ensemble du vivant.

Le béton contre les vivants

Le quinquennat a été marqué par certaines décisions fortes, comme l’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), ou celui du projet aurifère de la Montagne d’or en Guyane. En parallèle, le gouvernement s’est illustré par la poursuite de nombreux grands projets en béton. Parmi eux, le « Grand contournement Ouest » (GCO), un tronçon autoroutier près de Strasbourg qui menace le grand hamster d’Alsace, en voie de disparition (Reporterre) ou encore le développement exponentiel des entrepôts logistiques d’Amazon et d'autres. En décembre 2020, la loi Asap (pour « accélération et simplification de l’action publique ») a facilité l’implantation de sites industriels en raccourcissant les délais prévus pour recueillir l’aval de l’Autorité environnementale.

La Convention citoyenne pour le climat (CCC) avait réclamé un moratoire sur l’aménagement de nouvelles zones commerciales. Le gouvernement a décidé d’affaiblir cette proposition en excluant les entrepôts logistiques et en permettant des dérogations pour les projets inférieurs à 10 000 m², alors que « 80% des projets se trouvent en dessous de ce seuil », selon le Réseau action climat.

Chasse et forêts

En quatre ans, Emmanuel Macron a accordé de nombreux cadeaux aux chasseurs, dont la baisse du prix de la licence de chasse (400 à 205 euros) et la tentative, deux fois mise en échec par le Conseil d'Etat, de permettre à certaines chasses traditionnelles d'oiseaux de perdurer (notre article à ce sujet). Il était déjà en sous-effectif chronique, selon le Syndicat national de l'environnement ; l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) notamment chargé de la police de la chasse a fusionné avec l’Agence française pour la biodiversité (AFB) pour devenir l’Office français de la biodiversité (OFB) en 2019.

Près de 500 postes seront bientôt supprimés à l'Office national des forêts (ONF), chargé de gérer les forêts publiques. Certaines de ses missions, qui comprennent la protection de la biodiversité, la veille des incendies ou la restauration des terrains pourraient être privatisées et ouvertes à la sous-traitance. Et ses activités se recentrent peu à peu sur la coupe du bois plutôt que la protection des sols ou de l’environnement.

Un manque flagrant de moyens

Au cours du quinquennat d’Emmanuel Macron, le 11ème parc national français (c’est-à-dire un territoire inhabité avec des mesures strictes de conservation) a vu le jour en 2019 entre la Champagne et la Bourgogne, tandis que le nombre de parcs naturels régionaux (régions préservées mais toujours habitées) est passé de 51 en 2017 à 58 en 2021.

Mais ces créations se font avec des budgets constants : « Au total, 1,265 milliard d’euros est directement ou indirectement consacré à la biodiversité par l’État et ses opérateurs, soit moins de 0,4 % du budget de l’État », avait calculé le Conseil économique, social et environnemental (CESE) la même année.

Enfin, le bilan de l’exécutif dans sa lutte contre la crise climatique est déplorable, alors qu’il a été condamné par la justice pour ses « carences fautives » dans ce domaine (notre article sur l'Affaire du siècle). Or les dérèglements liés au réchauffement ont un impact désastreux sur l'ensemble du vivant.

· Jeudi, la Chine a enfin mis à jour ses objectifs climatiques en publiant sa nouvelle contribution déterminée au niveau national (NDC). Le pays prévoit d’atteindre son pic d’émissions avant 2030, puis la neutralité carbone avant 2060. La Chine s’engage à réduire son intensité carbone (ses émissions de CO2 rapportées à son PIB) de plus de 65% d’ici 2030, par rapport à 2005. À trois jours de l’ouverture de la COP26, ces engagements étaient très attendus car la Chine est responsable de plus d’un quart des émissions mondiales de gaz à effet de serre. - Le Monde (AFP)

· Jeudi encore, l’association de défense des animaux L214 a mis au jour de « graves carences » dans un abattoir Bigard à Cuiseaux (Saône-et-Loire). Un enquêteur de L214 est parvenu à se faire embaucher dans les services vétérinaires de l’abattoir sans expérience ni formation. Il y a constaté de nombreuses infractions et des manquements dans le contrôle des règles sanitaires. Dans un communiqué, le ministère de l’Agriculture explique avoir « ordonné une enquête approfondie des pratiques de cet abattoir » après des « non-conformités manifestes ». - Le Huffington Post

· Vendredi matin, l’ONG 350.org a lancé une série d’actions dans 26 pays pour dénoncer le soutien des acteurs financiers à l’industrie des énergies fossiles. Sur la place de la Bourse, à Paris, des militant·e·s ont pris pour cible Total. Une étude parue la semaine dernière a révélé que la firme avait été alertée de son impact sur le climat dès les années 1970, choisissant sciemment de continuer ses activités (Vert). Les activistes ont également pointé du doigt la complicité et le soutien des investisseurs français de Total, dont la BNP Paribas, ou la Société Générale. - 350.org

© Jean Nicholas Guillo / 350.org

D’ivoire et de sang

Sang façon. Dans D’Ivoire et de sang, roman de l’Indo-américaine Tania James, trois voix – l’éléphant, le braconnier et la cinéaste – font résonner la lutte à mort pour l’ivoire dans une langue simple et imagée.

C’est un film qui se lit. Dans les forêts de bambous d’Inde du sud, un éléphanteau assiste à l’assassinat de sa mère par des braconniers qui lui ôtent ses précieuses défenses. Devenu adulte, la colère du « Fossoyeur » à l’égard des humains ne tarit pas : il traque les villageois jusque dans leur palli, puis les enterre sous des monceaux de feuilles. Frère d’un braconnier jeté en prison pour avoir abattu 56 pachydermes, Manu prend à son tour le fusil lorsque son ami Raghu est éventré et que la fascinante épouse de son frère, Leela, est blessée par l'éléphant-tueur. Enfin, Emma, une jeune cinéaste américaine, réalise un reportage avec son ami Teddy dans la réserve de Kavanar où un centre vétérinaire, dirigé par le séduisant Ravi, recueille des éléphanteaux orphelins.

A travers une écriture condensée et vibrante, ces trois points de vue éclairent un ignoble trafic d’ivoire où l’argent est maître et dont éléphants et villageois sont les égales victimes. Le récit donne aussi corps à des réflexions sur la conscience animale, introduites notamment par le personnage du jeune gardien, Mani-Mahai : « Le garçon soupira dans la nuit, le regard songeur. Est-il né en captivité ? – Il a été capturé tout petit. Sa mère a été tuée par des braconniers. Quand les gardes forestiers l’ont découvert, il était pelotonné contre elle. – A votre avis, il se souvient d’elle ? – Il se souvient de tout. C’est le don magnifique de l’éléphant. – Après un silence durant lequel l’esprit du garçon parut errer, Mani-Mahai dit : Un don terrible. » Un roman noble et poignant qu’on ne quitte plus des mains.
 
Tania James, D’ivoire et de sang, Rue de l’échiquier, septembre 2021, 264p., 22€

2050, le Far west à Paris

Et un, et deux, et trois degrés. Sur la base des dernières prévisions du Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), les équipes d’Envoyé Spécial ont tenté d’imaginer à quoi pourrait ressembler la vie en France en 2050. Restrictions d’eau, mer impropre à la baignade à cause d’espèces invasives, nuits à plus de 30 degrés : le reportage est entrecoupé de pastilles vidéos d’anticipation. On y découvre la France à 50 degrés dans un style qui s’apparente à de la science-fiction, musique angoissante comprise. Pour ne pas nous plonger dans l’éco-anxiété, Envoyé spécial explore également les manières dont nos corps et nos vies pourront s’adapter à ce nouveau climat.

© Envoyé Spécial

+ Justine Prados et Juliette Quef ont contribué à ce numéro