Entretien

Vingt ans après la canicule de 2003, «nous sommes toujours dans l’urgence»

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Début août 2003, une vague de chaleur inédite prend de court les pouvoirs publics et provoque la mort de près de 15 000 personnes en deux semaines. 20 ans plus tard, la France n’a toujours pas mis en place les mesures de long terme nécessaires pour faire face aux canicules, considère dans un entretien à Vert Ilian Moundib, ingénieur en stratégie de résilience climatique pour l’entreprise EcoAct et contributeur du think tank de l’Institut Rousseau.

Après la canicule de 2003, quelles mesures ont été mises en place pour adapter le pays aux fortes chaleurs ?

La canicule de 2003 a été un véritable traumatisme, et on n’a pas envie que cela se reproduise. Les pouvoirs publics ont alors mis en place des mesures d’urgence dans les années qui ont suivi. D’abord, de la sensibilisation, en rappelant par exemple aux personnes âgées de s’hydrater pendant les vagues de chaleur dans les régions où il y a eu le plus de mortalité.

Des protocoles ont également été mis en place dans les Ehpad, avec notamment l’installation de «pièces froides». Enfin, il y a eu un meilleur dimensionnement des capacités d’accueil dans les hôpitaux pour faire face aux urgences pendant les fortes chaleurs. C’est une adaptation assez individuelle et réactive : tel ou tel secteur se prépare uniquement parce qu’il a vécu la catastrophe en 2003.

Entre 2014 et 2022, près de 72% des morts attribuables à la chaleur sont survenues en dehors des périodes de canicules, selon Santé Publique France. Est-ce qu’on ne s’est pas trop focalisé sur ces évènements extrêmes ?

Il faut rappeler que ce n’est pas forcément la chaleur maximale atteinte qui va avoir des effets sur la santé, mais le fait que la température reste importante sur une longue période. Ce qu’on appelle une canicule, ce n’est pas un pic de chaleur, mais c’est défini par des températures qui restent élevées la nuit. C’est quand la température empêche le corps de se reposer que ça aura des conséquences biologiques.

L’effet numéro un qu’il faut atténuer, c’est celui de l’îlot de chaleur urbain.

Le problème, c’est que la canicule de 2003 a été vue comme un évènement climatique extrême qui n’est pas amené à se reproduire. Mais depuis que la science du climat s’est beaucoup plus vulgarisée, on se rend compte qu’elle peut devenir une nouvelle norme. À la suite de 2003, on a réagi en mettant en place des protocoles. C’est bien, mais ce n’est pas suffisant pour diminuer la vulnérabilité face aux vagues de chaleur beaucoup plus fréquentes. Nous sommes finalement restés dans une adaptation d’urgence.

Que faudrait-il mettre en place ?

L’effet numéro un qu’il faut atténuer, c’est celui de l’îlot de chaleur urbain. En ville, le sol garde une partie de la chaleur et agit comme un radiateur la nuit. Il peut donc y avoir jusqu’à 10°C de différence entre la température en ville et à la campagne. Il faut donc passer par la désimperméabilisation et la végétalisation des villes. Les arbres sont une bonne alternative parce qu’avec l’évapotranspiration, ils rafraichissent et donnent de l’ombre.

Un autre élément, ce sont les îlots de fraîcheur : c’est-à-dire essayer d’avoir des bassins ou des marais urbains qui permettent de limiter structurellement l’impact des vagues de chaleur. Ensuite, il y a la question de la rénovation thermique qui est cruciale pour s’adapter au changement climatique en été. Plus vous allez isoler thermiquement un bâtiment, moins vous allez ressentir la chaleur et tirer sur la climatisation qui agit comme un frigo à l’envers, en recrachant la chaleur dehors.

Quels sont les obstacles à l’adoption de mesures structurelles d’adaptation ?

S’il y a une prise de conscience et une compréhension des soucis, la limite que je vois, c’est le verrouillage des moyens financiers. On a du mal à dégager les enveloppes budgétaires pour faire les transformations. Dans le rapport «Paris à 50°C» [listant des propositions pour adapter la capitale aux fortes chaleurs NDLR], on estime qu’il faudrait de 700 à 800 millions d’euros pour financer tous les changements structurels. C’est extrêmement difficile pour les communes d’assumer les coûts à elles seules. Avec l’Institut Rousseau, on appelle l’État à mettre les moyens pour les accompagner.

Contrairement à la transition bas-carbone, la question de l’adaptation et de la résilience est très décentralisée et demande une coopération forte entre les communes et l’État. Cela demande aussi beaucoup de main d’œuvre et d’organisation et pose la question de la répartition de l’espace urbain : quelle place donner à la voiture ? au piéton ? quel endroit est-il possible de végétaliser ?

Y a-t-il des pays qui s’adaptent mieux que nous, dont nous pourrions nous inspirer ?

Oui, il faut s’inspirer des pays du Sud et du Maghreb. Là-bas, les bâtiments sont peints en blanc pour réfléchir la chaleur, c’est un bon exemple d’adaptation. Et puis il y a aussi des mesures transformationnelles. Par exemple, culturellement en Espagne, l’été, on ne sort pas l’après-midi et on a une vie nocturne plus importante. On change les normes sociales et c’est quelque chose qui se fait un peu spontanément. L’idée n’est donc pas de les imposer en France, mais d’enlever les freins pour accompagner ces changements d’organisation.