Décryptage

Vient-on de franchir une sixième limite planétaire ?

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En douce. Après le réchauf­fe­ment cli­ma­tique ou la destruc­tion de la bio­di­ver­sité, les activ­ités humaines auraient entraîné le dépasse­ment d’une autre « lim­ite plané­taire » : l’eau « verte », une des com­posantes de l’eau douce. C’est le con­stat fait par une récente étude pub­liée dans la revue Nature reviews earth and envi­ron­ment.

En 2009, les chercheurs Johan Rock­ström (du Stock­holm Resilience Cen­tre) et Will Stef­fen (de l’Université nationale aus­trali­enne) ont créé un mod­èle dans lequel ils ont déter­miné qu’il exis­tait neuf « lim­ites plané­taires ». Par­mi celles-ci, le change­ment cli­ma­tique, l’érosion de la bio­di­ver­sité, l’acidification des océans ou la pol­lu­tion chim­ique — une étude pub­liée en jan­vi­er dernier a démon­tré que cette lim­ite avait égale­ment été franchie (Vert). Autant de vari­ables iden­ti­fiées pour leur rôle dans la sta­bil­ité des écosys­tèmes et dans un développe­ment « sûr et juste » pour l’hu­man­ité.

L’eau douce est l’une de ces neuf lim­ites. Jusque-là, elle était unique­ment éval­uée à l’aune de la disponi­bil­ité de l’« eau bleue » des riv­ières, lacs et réser­voirs d’eau souter­raine. Une représen­ta­tion qui n’intègre pas assez les dif­férents impacts des change­ments du cycle de l’eau sur le sys­tème ter­restre, estime l’équipe dirigée par Lan Wang-Erlands­son, du Stock­holm Resilience Cen­ter, à l’origine de la nou­velle étude.

Une mise à jour de la représen­ta­tion des lim­ites plané­taires, qui intè­gre main­tenant l’eau verte aux côtés de l’eau bleue dans sa représen­ta­tion des usages de l’eau douce. On peut voir que l’eau verte est située au-delà de la zone « sûre » © Stock­holm resilience cen­tre

Au suivi de l’eau « bleue », les sci­en­tifiques pro­posent d’ajouter celui de l’eau « verte », qui prend en compte les pré­cip­i­ta­tions ter­restres, l’humidité des sols et l’évaporation. Celle-ci tient compte de l’eau absorbée et resti­tuée par les végé­taux, per­me­t­tant de mieux met­tre en lumière les pres­sions exer­cées par les activ­ités humaines sur le cycle de l’eau. Par­mi celles-ci : l’agriculture inten­sive et ses besoins colos­saux en irri­ga­tion.

« Afin de mieux représen­ter les dif­férents impacts des change­ments du cycle de l’eau sur le sys­tème ter­restre, nous avons rebap­tisé la fron­tière « util­i­sa­tion de l’eau douce » par « change­ment de l’eau douce ». Nous l’avons sub­di­visée en deux sous-lim­ites : l’une pour l’eau verte et l’autre pour l’eau bleue — à l’im­age de la lim­ite plané­taire « Flux biogéochim­iques » qui est sub­di­visée en deux sous-lim­ites, l’une pour l’a­zote et l’autre pour le phos­pho­re », explique à Vert Lan Wang-Erlandsso, qui a dirigé l’équipe de chercheur·ses.

Pour l’hydrogéologue et hydro­cli­ma­to­logue Flo­rence Habets, direc­trice de recherche et enseignante à l’École nor­male supérieure, jointe par Vert, « ce choix d’intégrer l’eau con­tenue dans le sol, liée à la végé­tal­i­sa­tion, est une façon d’inclure l’évolution de l’occupation du sol. La méthodolo­gie de l’article va sans doute être dis­cutée, prévient la sci­en­tifique, qui n’a pas par­ticipé à l’étude. Mais sur le fond, ils ont rai­son : on ne vient pas de franchir cette lim­ite, la pres­sion s’accroît depuis longtemps ! ».

Dans cet épisode du pod­cast Dernières lim­ites, l’hydrogéologue et hydro­cli­ma­to­logue Flo­rence Habets explique en quoi les prob­lèmes d’eau sont avant tout le fait de choix socio-économiques, et com­ment le cycle de l’eau mon­di­al va être per­tur­bé dans les années à venir. © Dernières lim­ites

L’ajout de l’eau verte et ce change­ment de méth­ode révè­lent donc que la six­ième des neuf lim­ites plané­taire a été franchie au moins en par­tie. « La réé­val­u­a­tion nous a amené à la con­clu­sion que la sous-fron­tière des eaux vertes est trans­gressée. Cela sig­ni­fie que la fron­tière plané­taire des eaux douces est au-delà des lim­ites de sécu­rité. Veuillez not­er, cepen­dant, que cet arti­cle n’a pas réé­val­ué la sous-fron­tière de l’eau bleue, qui n’est pas encore dépassée », insiste Lan Wang-Erlandsso.