Peut meuh faire. Cette semaine le rédacteur en chef de Vert revient sur le programme diffusé par TF1 tous les dimanches soirs : Questions Bêtes, qui donne la parole aux éleveur·euses à propos de leurs métiers. En partenariat avec plusieurs lobbys de l’élevage, des viandes et du lait, l’émission livre une vision faussée et idyllique du secteur. Cliquez ici pour (ré)écouter cette chronique diffusée sur France inter mercredi 4 décembre 2024.
Mathieu Vidard : Loup Espargilière, vous allez nous parler d’un nouveau programme très sympa diffusé par TF1 depuis quelques semaines…
À l’heure où les incompréhensions sont de plus en plus fortes entre le monde paysan et le grand public, l’idée de Questions bêtes – c’est son petit nom – est plutôt bonne :
Tous les dimanches soir, avant le Journal télévisé, ce petit programme d’une minute donne la parole à des éleveurs et des éleveuses pour qu’ils et elles répondent aux questions qu’on se pose sur le monde de l’élevage.
Par exemple : À quoi sert la bouse de vache ?
Ce programme répond même à des questions que personne ne se pose, du genre : Les brebis dans le paysage, c’est juste pour faire joli ?
Je ne suis pas sûr qu’un humain se soit demandé ça un jour, mais en tout cas vous aurez la réponse.
Angéline, éleveuse de vaches laitières, nous apprend qu’il n’y en a pas deux pareilles, de vaches ; Mathieu et ses bovins à viande nous parle des différentes races qui peuplent nos campagnes ; Hélène nous explique les bienfaits de la bouse pour les sols, etc.
Les images sont belles, le montage est dynamique, les intervenants sympathiques, bref, tout va bien dans le plus vert des mondes.
Je ne vous sens pas entièrement convaincu, Loup…
Hélas, à Vert, on ne peut pas s’empêcher de chercher la petite bête. On a remarqué que ce programme avait un sponsor plutôt du genre encombrant, aux initiales discrètement notées au début de chaque épisode : CNE.
CNE, c’est la Confédération nationale de l’élevage. Sur son site, cette organisation se définit comme «l’association française qui fédère les organisations professionnelles syndicales, techniques et coopératives de l’élevage de ruminants bovins, ovins et caprins, que ce soit pour les secteurs lait et viande».
Autrement dit, il s’agit du lobby de l’élevage.
Plus gênant encore, je suis tombé par hasard sur une publicité Linkedin (ne me demandez pas ce que je fais sur ce réseau), une publicité d’Interbev, le lobby du bétail et des viandes, qui se félicite d’être partenaire de ce programme.
Interbev, pour rappel, c’est ceux qui ont fait deux énormes campagnes de communication autour des «flexitariens», en tordant le sens de ce mot pour en faire un synonyme d’omnivore, voire de bon vivant amateur de bidoche. Alors que les flexitariens, ce sont celles et ceux qui veulent réduire au maximum leur consommation de viande.
C’est pas fini – dans ce post, Interbev fait un big up aux autres partenaires de Questions bêtes : le Cniel, le lobby du lait de vache, et l’Anicap, le lobby du lait de chèvre et brebis.
Ma collègue Anne-Claire Poirier a tenté, en vain, de joindre TF1 et ces lobbys pour tenter de connaître les termes de ce partenariat assez embarrassant. Vous pourrez lire son article sur vert.eco.
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C’est d’autant plus problématique que la série Questions bêtes est rangée parmi les «documentaires» sur le site de TF1, alors qu’on ne sait pas si des journalistes ont participé à ce programme ou s’il est entièrement fabriqué par les lobbys, puisqu’il n’y a aucun nom au générique.
Si ce programme consiste juste à papoter avec des éleveurs, est-ce que c’est si gênant que ça ?
Un programme décrit comme «documentaire» financé par des acteurs économiques impliqués dans un sujet aussi sensible, c’est déjà pas mal gênant.
Mais en plus, Questions bêtes ne se prive pas de répondre à des questions moins bêtes, comme : Y a-t-il trop de vaches en France ?
À vos avis, c’est quoi la réponse ?
«Non, pas du tout. Ce n’est pas un problème» nous dit évidemment Jean-Baptiste, éleveur de vaches.
Alors, c’est très bien d’avoir son point de vue, et il a de la valeur, mais ce serait bien aussi d’entendre celui des scientifiques, par exemple. Ou de la Cour des comptes, qui donne un autre son de cloche : si l’on veut respecter nos objectifs de baisse des émissions de gaz à effet de serre en France, nous n’aurons pas d’autre choix que de réduire progressivement le cheptel bovin, dont les rots constituent un facteur majeur d’aggravation de la crise climatique.
Sous couvert de répondre à des questions importantes en interrogeant les éleveurs, ce programme sert donc la soupe des lobbys, donne une vision faussée et idyllique de l’élevage, et fait tout bonnement de la désinformation.
Et en 2024, c’est assez étonnant de la part de TF1, dont les journalistes sont vraiment montés en niveau sur l’écologie ces derniers mois, et proposent des sujets de bien meilleure qualité qu’avant. D’ailleurs, tous les soirs, il y a maintenant quatre minutes consacrées à l’écologie dans le journal de 20 heures.
En interne, on imagine que cette collab passe assez mal auprès d’une partie de la rédaction.
Le programme a beau ne durer qu’une minute, pour des journalistes intègres, c’est loin d’être un bétail.
Merci Loup, je rappelle que l’on peut découvrir et soutenir votre projet Chaleurs actuelles sur la désinformation climatique jusqu’à ce dimanche.
📻 Vert est sur France inter ! Tous les mercredis à 14h50, retrouvez une nouvelle chronique d’actualité de nos journalistes Loup Espargilière et Juliette Quef en direct dans la Terre au carré.
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