Reportage

«Tout est lié» : à VieRage, les premières rencontres de l’écologie populaire mettent à l’honneur le travail et la justice sociale

Ô rage. Samedi 28 septembre, les Amis de la Terre et Action Justice Climat (ex-Alternatiba Paris), lançaient les premières «Rencontres de l’écologie populaire» à Paris. Au programme : mettre en avant «l’écologie des premiers concernés» face à une écologie «trop centrée sur le climat et les écogestes».
  • Par

«Il y a un con­tin­u­um de vio­lences dans le monde, il faut un con­tin­u­um de luttes, engage Dahlia Stern, porte parole d’Action Jus­tice Cli­mat. On a besoin d’être partout». En cette fin de same­di 28 sep­tem­bre, le Con­sulat Voltaire, tiers-lieu au cœur du 11ème arrondisse­ment de Paris, est paré pour le pre­mier «meet­ing de l’écologie pop­u­laire».

Dans un con­texte poli­tique jugé «alar­mant» où le cli­mat perd du ter­rain et l’extrême droite monte, elles et ils sont sept, en prove­nance d’horizons var­iés, à se pass­er le micro pour réaf­firmer le besoin d’une écolo­gie humaine et pro­pos­er des pistes d’action.

Le meet­ing de clô­ture de Vier­age, same­di 28 sep­tem­bre au Con­sulat. © Remy Zorg

«L’écologie, ce n’est pas protéger les ours polaires»

«Le sys­tème actuel ne pro­duit pas seule­ment des gaz à effet de serre, c’est un sys­tème raciste, sex­iste, colo­nial­iste et qui fait mon­ter l’extrême droite», tance Dahlia Stern, porte parole d’Action Jus­tice Cli­mat (ex-Alter­nat­i­ba Paris). À sa manière, chacun·e vient dénon­cer une écolo­gie jugée trop cen­trée sur le cli­mat et les éco­gestes, et qui s’abstient de penser l’ensemble des dom­i­na­tions.

«Con­som­mer des bananes parce qu’elles seraient peu émet­tri­ces de gaz à effet de serre, n’est pas un éco­geste ; c’est nous priv­er de nos ter­res, de nos corps, de nos droits. L’écologie, ce n’est pas pro­téger les ours polaires», racon­te la Mar­tini­quaise Can­nelle Four­drinier, de l’association Les Impactri­ces qui porte la voix d’une écolo­gie écofémin­iste et décolo­niale. Kevin Vach­er, soci­o­logue et activiste pour un loge­ment digne, plaide pour «con­stru­ire une écolo­gie pop­u­laire, non pas à par­tir des asso­ci­a­tions écol­o­gistes mais à par­tir de l’expérience des mou­ve­ments pop­u­laires».

«Désor­mais, la lutte pour les droits soci­aux et les luttes écol­o­gistes, ça va de pair», sou­tient Murielle Guil­bert, codéléguée générale du syn­di­cat Sol­idaires. Elle pense aus­si qu’«une bataille de vitesse avec l’extrême droite est à l’œuvre dans le monde du tra­vail». A ce titre, l’Alliance Ecologique et Sociale (AES) réu­nit depuis 2020 les Amis de la Terre, Attac, la CGT, la Con­fédéra­tion paysanne, FSU, Green­peace France, Oxfam France et Sol­idaires.

«Notre méthode, c’est construire des alliances»

Plus tôt dans l’après-midi, six ate­liers ont per­mis de met­tre en lumière l’écologie «des pre­miers con­cernés». Comme il l’a racon­té aux dizaines de per­son­nes venues l’écouter, Adrien Cor­net, pom­pi­er-raf­fineur chez Total­En­er­gies, a mené la lutte con­tre l’annonce de la fer­me­ture de la raf­finer­ie de Grand­puits en 2020 et sa con­ver­sion en agro-raf­finer­ie, avec la sup­pres­sion de 700 emplois. Pour s’y oppos­er, la Con­fédéra­tion générale du tra­vail (CGT) avait fait appel aux asso­ci­a­tions écol­o­gistes et engagé une grève de 45 jours. Cette «pre­mière alliance du mou­ve­ment ouvri­er et éco­lo» n’avait pour­tant pas per­mis de faire pli­er Total­En­er­gies.

Pour Adrien Cor­net, le manque d’ingénieurs indépen­dants à même de con­cevoir des pro­jets alter­nat­ifs, et le manque d’anticipation pour trou­ver des activ­ités qui créent autant d’emplois sur le ter­ri­toire, ont péché. Au moins, se réjouit-il, «on a fait trem­bler Total».

Face aux indus­tries qui con­tour­nent les normes sociales et envi­ron­nemen­tales, et délo­calisent les emplois, Adrien Cor­net appelle à une «reprise en main néces­saire de l’outil de tra­vail avec nation­al­i­sa­tion sous con­trôle des tra­vailleurs». Et rap­pelle que «les tra­vailleurs sont les pre­mières vic­times de la pol­lu­tion au ben­zène et aux pol­lu­ants éter­nels de la pétrochimie».

L’exemple de Chris­t­ian Por­ta a, lui aus­si, été éclairant. Ce délégué syn­di­cal (CGT) chez Invi­vo, une cen­trale d’achat et de dis­tri­b­u­tion d’engrais, a été licen­cié deux fois par son employeur alors qu’il dénonçait les con­di­tions de tra­vail au sein de l’usine, accusé de «har­cèle­ment» envers sa direc­tion. C’est l’union des forces des asso­ci­a­tions écol­o­gistes comme Green­peace, et des mou­ve­ments soci­aux qui ont per­mis sa réin­té­gra­tion. Ce same­di, il témoigne que «les tra­vailleurs sont les pre­miers con­cernés par la pol­lu­tion, cer­tains en meurent. J’habite à 500 mètres de l’usine, je ne veux pas qu’il y ait des rejets dans l’eau». Pour lui, «l’outil indus­triel pour­rait être mis au ser­vice de la pop­u­la­tion qui pour­rait en maîtris­er la qual­ité. Il faut en finir avec les géants de l’agrobusiness qui détru­isent la planète et nous exploitent».

De nouvelles solidarités

Mais com­ment ne pas sac­ri­fi­er les travailleur·ses sur l’autel de la tran­si­tion écologique ? Le paysan-député écol­o­giste Benoît Biteau l’assure, «si on généralise l’agroécologie, 30 000 emplois dis­parais­sent dans les pes­ti­cides, les engrais, mais 200 000 seront créés. Il faut un accom­pa­g­ne­ment aux nou­velles com­pé­tences». Même son de cloche du côté du Réseau action cli­mat. Sa respon­s­able de plaidoy­er sur l’industrie, Aurélie Brun­stein, invite à «créer des espaces de dia­logue avec les syn­di­cats, les asso­ci­a­tions éco­lo, les opéra­teurs ter­ri­to­ri­aux et de com­pé­tences. Le grand enjeu, c’est d’anticiper».

Benoit Biteau, paysan-député écol­o­giste. © Benoit Der­ou­et

En clô­ture du meet­ing qui a achevé cette pre­mière journée d’échanges, le porte-parole des Amis de la Terre, Gabriel Maz­zoli­ni, martèle que «Tout est lié». Pour lui, «nous avons un devoir de chang­er d’échelle et d’élaborer de nou­velles sol­i­dar­ités. Nous voulons un activisme écol­o­giste qui a com­mencé à se décon­stru­ire et qui change la vie des gens».

Alors que les grandes march­es pour le cli­mat de 2018–2019 sem­blent loin, la mul­ti­pli­ca­tion des luttes locales con­tre des pro­jets dits «inutiles», les recours en jus­tice et l’alliance avec les travailleur·ses et riverain·es son­nent comme autant de champs de bataille pour les mou­ve­ments soci­aux et écol­o­gistes.