🤔 De quoi parle-t-on ?
Créé en 1835 par des chimistes allemand et français, le chlorure de vinyle monomère (CVM) est un gaz, incolore et à l’odeur sucrée, principalement utilisé par les industriels pour fabriquer du polychlorure de vinyle, le fameux plastique PVC.
S’il sert à fabriquer les disques vinyles, le PVC est surtout le meilleur ami des professionnels du bâtiment pour les gouttières (de couleur beige pour se confondre avec le crépi), les fenêtres (pour encadrer les vitres), la tuyauterie (les fameux conduits gris sous les éviers) et, surtout, les canalisations.
Cet article est le premier volet d’une série sur le chlorure de vinyle monomère, un gaz toxique et cancérogène présent dans de nombreuses canalisations en PVC et pourtant largement méconnu par le grand public. Une enquête en trois parties réalisée pour Vert par Hugo Coignard, Marie-Aimée Copleutre et Marti Blancho.
💧 Où retrouve-t-on du CVM ?
Pour fabriquer ces canalisations, les industriels de la chimie ont eu recours à des procédés, entre les années 1960 et 1980, qui laissent dans le plastique PVC des résidus de CVM. Ainsi, les canalisations PVC installées pendant ces deux décennies en France rejettent depuis régulièrement du CVM dans l’eau qu’elles transportent.
On retrouve donc cette substance chimique à la sortie des robinets, principalement de communes rurales, mais aussi dans des nappes phréatiques et dans l’air à cause de rejets industriels.
👀 Ma commune est-elle concernée ?
Pas moins de 5 506 communes sont (ou ont été) concernées par des dépassements des limites réglementaires de CVM dans l’eau potable ces dernières années, d’après les informations collectées et révélées par Vert en agrégeant les différentes données publiques disponibles sur le sujet. Retrouvez les taux de CVM mesurés dans l’eau de votre commune grâce à notre carte interactive (cliquez ici pour y accéder en version pleine page). Attention, ces mesures ne concernent pas forcément l’ensemble de la commune, mais parfois seulement une partie du réseau.
Au total, en France, entre 140 000 à 340 000 kilomètres de canalisations sont concernés par une contamination au CVM, d’après le ministère de la santé et les délégataires de service public d’eau, soit entre 3,5 et 8,5 fois le tour de la Terre. Le problème, c’est que ce gaz est nocif pour notre santé.
⚠️ Pourquoi est-ce dangereux pour la santé ?
Le CVM est classé cancérogène certain pour l’humain depuis 1987 par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). Il est responsable de cancers du foie : l’angiosarcome hépatique et le carcinome hépatocellulaire (ou hépatocarcinome). Des études montrent qu’une exposition chronique au CVM augmente le risque lié à ces maladies.
Dès les années 1940, de premiers cas d’inflammations du foie ont été détectés auprès d’ouvrier·es exposé·es à la substance sur le long terme. En 1973, l’oncologue italien Cesare Maltoni a démontré par des tests en laboratoire que du CVM ingéré, inhalé ou exposé au fœtus peut provoquer des cancers chez les animaux.
En cas d’exposition de courte durée, des irritations des voies respiratoires, des vertiges et des nausées peuvent notamment apparaître.
🚰 Est-ce risqué de boire une eau contaminée au CVM ?
Oui, cela comporte un risque. Les études toxicologiques «confortent la conclusion que le CVM est également cancérogène par ingestion pour l’Homme», écrivait l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) dès 2011.
Pour se conformer au droit européen, la France a fixé une limite de qualité (définie par l’État – il s’agit d’une norme réglementaire et non pas sanitaire) de 0,5 microgramme de CVM par litre au-delà de laquelle l’eau potable est considérée comme «non-conforme», c’est-à-dire contaminée. Au-delà de ce seuil, il est déconseillé de boire cette eau.
🏥 Pourquoi le risque de cancer est «théorique», selon le ministère de la santé ?
«Aucun lien certain n’a été établi à ce jour» entre les cas de cancers du foie liés au CVM et la consommation d’eau du robinet chargée en CVM, assure le ministère de la santé sur son site internet. Ainsi, «dans le cas d’une consommation quotidienne d’eau du robinet renfermant des teneurs de CVM, le risque de cancer est théorique», affirme encore aujourd’hui l’État.
Pourquoi ce discours rassurant ? «La réalité derrière cette affirmation, c’est qu’il n’y a aucune étude épidémiologique qui n’a été menée pour vérifier sur le plan statistique ce lien de causalité», affirme Gaspard Lemaire, doctorant en science politique et chercheur pour la chaire Earth de l’université d’Angers, qui a consacré un article de recherche à ce sujet. Pas d’étude sur l’eau contaminée au CVM et les cancers, et donc pas de problème ?
«Pour le ministère, il ne s’agit pas de nier complètement les choses en énonçant un mensonge grossier, mais de présenter une absence de savoir comme quelque chose de rassurant», résume le doctorant en science politique. Pourtant, c’est bien l’État lui-même qui pourrait commander une étude épidémiologique pour mieux comprendre les risques. Ce qu’il n’a, à ce jour, pas encore décidé.

⚙️ Que mettent en place les pouvoirs publics ?
Quand une contamination est identifiée sur un réseau d’eau potable, la première solution de court terme est d’effectuer des purges. Pour faire simple : on ouvre les vannes des réseaux d’eau potable pour laisser s’écouler l’eau contaminée dans la nature ou les caniveaux. Mais lorsque la contamination est élevée, cela ne suffit pas à enlever tout le CVM. «Et de toute façon, à long terme, ce n’est pas tenable parce que c’est un énorme gaspillage d’eau», estime Gaspard Lemaire.
La deuxième solution, plus efficace mais aussi plus coûteuse, consiste à retirer les canalisations PVC émettrices de CVM. Montant de la facture : entre 100 000 à 200 000 euros du kilomètre. S’il fallait remplacer l’ensemble des canalisations concernées, cela coûterait probablement entre 12,6 et 30,6 milliards d’euros, selon les estimations du Monde.
Les travaux sont financés par le fournisseur d’eau. Or, dans les communes touchées en milieu rural, les syndicats de l’eau n’en ont bien souvent pas les moyens. «L’État propose un petit peu d’aide via les préfectures, mais ce sont surtout les agences de l’eau qui abondent. Elles sont elles-mêmes financées par les usagers de l’eau.» Bref, au bout du compte, ce sont les contribuables français·es et les consommateur·ices d’eau qui payent.
🚰 Que puis-je faire à mon échelle si mon eau est contaminée ?
Certaines agences régionale de santé (ARS), comme celle des Pays de la Loire, suggèrent de laisser reposer l’eau dans une carafe huit heures avant de la boire. Le CVM étant un gaz, il s’évapore.
Mais cela ne fonctionne, selon l’autorité de santé, que si la concentration en CVM ne dépasse pas un microgramme par litre. Or, «la difficulté est que l’on ne connaît pas le niveau exact de contamination de notre eau. Du coup, on ne sait pas dire à quel moment elle devient potable», remarque Gaspard Lemaire.
Les filtres de charbon actif (notamment utilisés dans les carafes filtrantes) seraient assez peu efficaces pour piéger le CVM. «L’absorption sur charbon actif est délicate et difficile», écrivait l’Anses en 2005, avec dans certains cas des «relargages possibles» de CVM quelques semaines après utilisation du filtre.
Le ministère de la santé préconise aujourd’hui de continuer à utiliser une eau contaminée au CVM pour le brossage des dents ou le lavage des légumes. Mais, pour se désaltérer ou préparer des recettes de cuisine, elle recommande l’eau en bouteille. Ce qui n’est pas sans poser d’autres problèmes.
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L’eau en bouteille est-elle aussi polluée que celle du robinet ?
C’est polymère à boire. Certaines eaux minérales européennes sont contaminées au TFA, un polluant persistant de la famille des PFAS. C’est ce que montre un rapport détaillé du réseau d’action contre les pesticides (PAN Europe) sorti mardi 3 novembre. Auparavant, plusieurs enquêtes médiatiques avaient révélé la pollution de l’eau du robinet. Alors, laquelle choisir pour préserver sa santé ? Vert fait le point.