Visé par une plainte de trois ONG qui l’accusent de pratiques commerciales trompeuses, TotalEnergies tente de faire annuler son procès par des points de procédure.
Près d’un an après le recours en justice déposé par Greenpeace France, les Amis de la terre et Notre Affaire à Tous (NAAT) contre TotalEnergies pour «pratiques commerciales trompeuses», la première audience s’est tenue au tribunal judiciaire de Paris ce mardi 14 mars.
Parmi leurs griefs, les trois ONG, soutenues par ClientEarth, une association britannique spécialisée dans le droit et l’environnement, estiment que le pétrolier induit le consommateur en erreur lorsqu’il promet d’atteindre la neutralité carbone (l’équilibre entre le CO2 émis et celui qui sera absorbé) d’ici à 2050.
Comme l’avait déjà indiqué Clara Gonzales, juriste auprès de Greenpeace France : «le groupe omet la majeure partie de ses émissions déclarées : son scope 3 [les émissions de gaz à effet de serre liées à l’utilisation de ses produits, notamment le pétrole dans les voitures, NDLR], soit plus de 85% des 450 millions de tonnes d’équivalent CO2 qu’elle émet chaque année». Une affirmation biaisée comme l’a affirmé TotalEnergies à Vert : «En Europe, toutes les émissions (scope 1, 2 et 3) de TotalEnergies ont baissé de 23% entre 2015 et 2021, ce qui nous positionne dans la trajectoire du Green Deal Européen».
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Le recours des associations vise également les allégations jugées mensongères de la multinationale sur le gaz fossile, vanté comme une «énergie de transition», et sur les vertus supposées des agrocarburants. Les requérants demandent au juge civil de contraindre TotalEnergies à retirer ses publicités trompeuses et de se voir imposer une mention obligatoire sur les futures réclames au sujet des impacts climatiques de sa production présente et à venir de pétrole et de gaz.
Mardi, avant même que la justice ne se prononce sur le fond du dossier, les avocats du groupe pétrolier et gazier ont tenté de casser la procédure. TotalEnergies a notamment contesté «l’intérêt à agir» de l’association Notre Affaire à Tous et de ClientEarth pour des questions statutaires et de nationalité. «D’après eux, nous ne sommes pas une association de défense des consommateurs donc nous n’avons rien à faire là. Mais c’est faux, nous avons le droit d’intenter une action en justice en tant qu’association environnementale, la jurisprudence nous donne raison», explique à Vert Justine Ripoll, chargée de campagne auprès de NAAT.
Le géant pétrolier a estimé que l’association britannique ClientEarth ne pouvait pas non plus participer à ce procès étant donné sa nationalité britannique. «Mais il s’agit d’un intervenant volontaire, pas d’un requérant, donc les mêmes exigences ne peuvent pas s’appliquer. Par ailleurs, sa présence est justifiée car ses activités concernent la lutte contre le greenwashing», ajoute Justine Ripoll. Multiplier les points de procédure, «c’est une technique assez classique de la part des multinationales afin de retarder une action en justice voire de la tuer dans l’œuf», estime Juliette Renaud des Amis de la Terre, joint par Vert. Contacté, le groupe pétrolier assure qu’il «répondra sur le fond des demandes formées devant le tribunal le moment venu».
Enfin, le groupe a rejeté les demandes des requérants concernant la suppression de ses publicités sur la neutralité carbone en 2050, au motif que personne ne pouvait prédire l’avenir. «En réalité, TotalEnergies aborde une question de fond… Pour atteindre la neutralité carbone, il faut mettre en place des actions concrètes dès maintenant, et cela doit passer par un rapport honnête des entreprises à leur bilan carbone», estime Clara Gonzales.
La juge a évoqué la mise en place d’une potentielle médiation entre les parties, malgré une première tentative infructueuse il y a quelques mois. «Nous nous interrogeons sur la volonté quasi automatique des magistrats, dans toutes les affaires des ONG face à Total, de vouloir tenter de régler le problème par une médiation, dit à Vert Clara Gonzales. Nous avons été très clairs lors du premier échange devant le médiateur en septembre dernier : la question du greenwashing de Total doit faire l’objet d’un débat contradictoire et être tranchée par la justice, autrement nous n’aurions pas déposé ce recours». La magistrate doit se prononcer sur ces points de procédure le 16 mai prochain. Si TotalEnergies était débouté (et ne faisait pas appel), un nouveau juge pourrait commencer à examiner le fond du sujet : l’éco-blanchiment d’une entreprise auto-proclamée «acteur majeur de la transition énergétique».
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