Contrairement à l’année précédente, TotalEnergies n’a pas battu son record de bénéfices en 2024. Le fleuron français conserve tout de même des gains très confortables : 15,8 milliards de dollars, soit 15,2 milliards d’euros, a indiqué le groupe ce mercredi matin.
La 7ème major la plus émettrice de CO2 dans le monde a aussi indiqué qu’elle allait réduire de 500 millions de dollars la part allouée aux «énergies bas carbone» (la faisant passer de 5 à 4,5 milliards de dollars).
Au-delà du bilan financier, Vert a posé trois questions sur l’impact climatique et humain de l’entreprise à Hugo Viel. Il est activiste et ancien chargé de campagne sur TotalEnergies pour 350.org.
Où en sont les nouveaux projets prétrogaziers de TotalEnergies dans le monde ?
Total est en difficulté, notamment sur les projets d’Afrique de l’Est, à savoir Mozambique LNG [Gaz naturel liquéfié, NDLR] et Eacop [un méga-projet pétrolier en Tanzanie et en Ouganda, NDLR]. Ce dernier devait être mis en œuvre au début des années 2020, mais grâce à la mobilisation des ONG, le groupe n’a pas réussi à obtenir les financements nécessaires. Sur le terrain, des infrastructures de support logistique ont commencé à être mises en place et des premiers tests de forage ont été réalisés. Mais il n’y a pas encore de production à l’échelle industrielle.
Les banques françaises et européennes ont refusé le financement de 10 millions de dollars du projet [9 620 millions d’euros, NDLR]. Total s’est alors tournée vers des banques chinoises, qui analysent encore le dossier. La date de mise en œuvre du projet continue d’être reculée. L’année dernière, Total évoquait 2026, mais ça paraît peu probable.
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En ce moment, on parle aussi beaucoup du projet Mozambique LNG, à la suite des révélations du Monde et de Politico à propos des atteintes aux droits humains sur le site. Le chantier prend beaucoup de retard. Les niveaux de sécurité liés aux attaques terroristes dans le secteur ont tout mis en pause. TotalEnergies est en train de refaire le tour de ses bailleurs, pour solliciter leur soutien. Mozambique LNG fait partie de ce qu’on appelle des «bombes carbone», c’est-à-dire que le projet émet plus d’un milliard de tonnes de CO2 au cours de sa durée de vie.
Les autres projets au Suriname, au Qatar ou encore en Papouasie-Nouvelle-Guinée se déroulent comme prévu ! Total continue à développer le pétrole et le gaz, alors que l’Agence internationale de l’énergie préconise l’arrêt immédiat de tout nouveau projet d’énergies fossiles.
Il existe très peu de garde-fous pour encadrer les plans de Total pour l’avenir. Si les banques françaises n’investissent plus dans ses projets d’extraction, elles continuent d’aider l’entreprise. Elles lui fournissent par exemple des services financiers, comme l’émission d’obligation, ce qui lui permet de financer elle-même ses ambitions d’exploitation.
Depuis l’Accord de Paris, 77 autorisations d’exploration en vue de forages pétroliers ou gaziers ont été délivrées à Total. Or, à chaque fois que le groupe s’engage quelque part, la biodiversité est impactée et les communautés sont déplacées.
TotalEnergies a-t-elle pris le tournant de la transition énergétique, comme l’a affirmé son PDG Patrick Pouyanné l’année dernière, lorsqu’il était auditionné par le Sénat ?
Lorsque Total dit à ses investisseurs «on fait 30% d’investissement dans les énergies renouvelables», c’est du greenwashing. Une entreprise comme celle-ci ne peut pas faire partie de la solution. Elle compte parmi neuf organisations qui font du lobby contre les réglementations internationales pour lutter contre le changement climatique.
Depuis 1971, elle connaît la teneur de son impact. L’entreprise émet autant de gaz à effet de serre chaque année que la France entière, soit 404 millions de tonnes de CO2 en 2023. Pourtant, elle sème le doute sur les conséquences de ses activités et propose de fausses solutions comme le développement de l’hydrogène et celui de la capture de carbone.
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Chaque année, les investissements de TotalEnergies représentent entre 14 et 18 milliards de dollars par an entre 2024 et 2028. Ils aiment à rappeler qu’un tiers est investi dans le pétrole et le gaz, un tiers pour maintenir les infrastructures et un tiers dans les énergies bas-carbone. Mais l’entreprise compte les centrales à gaz, l’hydrogène et la capture de carbone dans ce dernier tiers, donc il ne s’agit pas que d’énergies renouvelables [Pour 15,7 milliards distribués aux actionnaires en 2024, seuls 3,9 milliards ont été investis dans sa branche électricité, qui inclut le solaire, l’éolien et le gaz, NDLR].
Les énergies fossiles représentent environ 92% de leur mix énergétique [en 2021 NDLR]. Ils essayent de prolonger la durée de vie du pétrole et du gaz. Pour cela ils investissent dans les fausses solutions, alors que l’industrie fossile doit cesser d’exister.
Comment faire pour limiter l’impact climatique et humain de TotalEnergies ?
Si Total ne bat pas ses records de bénéfices comme en 2023, le groupe continue de réaliser de gros profits. C’est un secteur qui gagne beaucoup d’argent, en dépit de la volatilité des prix liée à la situation géopolitique. On ne pourra pas voir la fin du pétrole et du gaz avec les règlementations actuelles.
Il est temps que l’État s’en mêle et rende les majors plus responsables. Il faut d’abord taxer leurs profits, qu’on peut considérer comme illégitimes, car ils sont faits au détriment de la planète et de l’avenir des populations. Ils doivent être utilisés pour la transition énergétique et pour financer l’adaptation des pays du Sud, les plus touchés par le réchauffement climatique – alors qu’ils sont le moins émetteurs.
Il est nécessaire de planifier la sortie des fossiles pour proposer une alternative aux travailleurs et utiliser leurs compétences pour la transition. Et la diplomatie française doit arrêter de soutenir les projets de Total à l’étranger, comme elle l’a fait en Ouganda et au Mozambique.
Les responsables politiques ont tendance à oublier le coût sur le long terme de l’activité de Total. [L’institut des sciences et des politiques climatiques] Climate Analytics montre que si Total était tenue pour responsable de manière partielle du changement climatique pour ses émissions de gaz à effet de serre entre 1985 et 2018, elle devrait 600 milliards de dollars à la société en termes de réparation. Parce que Total ne porte jamais la responsabilité des dégâts qu’elle cause, ce sont les citoyens qui payent localement et globalement leur prix.
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