Décryptage

Team for the planet, la communauté de 120 000 associés qui accélère «l’innovation pour la sobriété»

Ainsi fonds, fonds, fonds. Depuis 2019, Team for the planet finance des entreprises innovantes qui veulent décarboner l’économie. Parmi ses forces : un comité scientifique, des brevets libres et une très large communauté. Comment fonctionne le mouvement et pour quel bilan ?
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Fin décem­bre 2023, Team for the plan­et (TFTP ou «Team») bouclait sa nou­velle opéra­tion de mobil­i­sa­tion qui s’est déroulée sur son ter­rain de jeu préféré : le réseau social pro­fes­sion­nel LinkedIn. Si le résul­tat n’a pas atteint l’ambition ini­tiale, près de 6 000 entre­pris­es ont rejoint le mou­ve­ment (con­tre 10 000 visées) représen­tant 8 mil­lions d’euros de cap­i­tal. Jusqu’alors, les cam­pagnes ciblaient prin­ci­pale­ment les indi­vidus. Une façon de «met­tre le pied à l’étrier des entre­pris­es et don­ner le sig­nal fort qu’elles font par­tie de la tran­si­tion», revendique l’un de ses cofondateur·ices, Arthur Auboeuf.

Accélérer la sobriété

«Team» n’en est pas à son pre­mier tour de force. Créé en décem­bre 2019 par six entrepreneur·ses lyonnais·es, cet objet économique éton­nant se veut le «Tin­der du cli­mat». Il met en rela­tion des inno­va­tions, sou­vent portées par des ingénieur·es ou des sci­en­tifiques, avec des finance­ments et des entrepreneur·ses qui savent gér­er des boîtes. «Team» veut ain­si «détecter et déploy­er 100 inno­va­tions mon­di­ales con­tre les gaz à effet de serre» d’i­ci à 2030.

«Une part de la solu­tion vien­dra de l’innovation pour accélér­er la sobriété», racon­te Arthur Auboeuf. La plu­part des 12 star­tups financées dévelop­pent des inno­va­tions low tech comme la voile de kitesurf de Beyond the sea instal­lée sur des car­gos, ou la pein­ture réfléchissante aux coquilles d’huîtres de Cool Roof. «Le monde économique tra­di­tion­nel ne per­met pas de faire émerg­er ces inno­va­tions, car il se base sur une poli­tique de ren­de­ment», pour­suit-il. En cela, «l’entreprise n’est pas for­cé­ment le prob­lème, c’est l’outil qui per­met de trans­former le monde et nos modes de vie. Si on repense l’entreprise, on peut pro­pos­er d’autres dynamiques.»

Des action­naires de Team for the plan­et au som­met Changenow en 2022 © DR

Une galaxie de 120 000 actionnaires

On peut devenir action­naire de «Team» en deux clics et à par­tir d’un euro. On décou­vre alors un nou­v­el univers, la «galax­ie de l’action», com­posé de «planètes», de larges caté­gories de socié­taires regroupé·es par com­pé­tences ou par ville ; de «comètes», des groupes de tra­vail qui œuvrent à des pro­jets spé­ci­fiques, et enfin des «étoiles», les fameuses star­tups financées par TFTP. Le cli­ma­to­logue et ancien vice-prési­dent du Giec Jean Jouzel, la créa­trice de con­tenu Louise Aubery, ain­si que près de 120 000 cadres, étudiant·es, entrepreneur·ses et citoyen·nes font par­tie de «Team».

Ses action­naires ne pour­ront jamais s’enrichir. Elles et ils perçoivent chaque année un div­i­dende cli­mat, cal­culé sur les tonnes de gaz à effet de serre évitées grâce aux inno­va­tions financées. Une astuce qui n’allait pas de soi : «En France, une entre­prise n’a pas le droit de dire qu’elle ne dis­tribuera jamais de div­i­dende financier, explique Arthur Auboeuf. Nous avons choisi de pirater les règles : nous avons écrit que les div­i­den­des seraient dis­tribués quand la tem­péra­ture serait rev­enue à son niveau pré-indus­triel». Autant promet­tre la lune.

Cap­ture d’écran du site inter­net de Team for the plan­et.

«Team» troque la recherche de prof­it con­tre la recherche d’«impact». En 2022, selon la méthodolo­gie des div­i­den­des cli­mat util­isée, les inno­va­tions financées par TFTP auraient per­mis d’éviter env­i­ron 3 000 tonnes de CO2, l’équivalent des émis­sions de gaz à effet de serre de 300 Français·es en un an. Le fonds vise 75 mil­lions de tonnes de CO2 évitées en 2032, soit grosso modo les émis­sions des habitant·es de Mar­seille.

Des innovations pour le climat

Pour être financées, les inno­va­tions passent un proces­sus de sélec­tion exigeant : 8 000 évaluateur·ices bénév­oles notent les solu­tions, et un comité sci­en­tifique com­posé d’expert·es comme le prési­dent du CNRS Inno­va­tion, Frédéric Mougel, ou la direc­trice de recherche à l’Institut nation­al de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), Claire Chenu, ques­tion­nent les porteur·ses de pro­jet et éval­u­ent la robustesse des mod­èles économiques. Sur les 1 600 dossiers reçus, 12 inno­va­tions ont été financées, pour un mon­tant total de 20 mil­lions d’euros.

Par­mi elles, Cool Roof France, une entre­prise de pein­ture blanche réfléchissante pour les toits, fab­riquée à base de poudre de coquilles d’huîtres bre­tonnes ; un revête­ment qui per­met de rafraîchir les bâti­ments sans cli­ma­ti­sa­tion. Leader du marché français, Cool Roof dit avoir déjà recou­vert un mil­lion de mètres car­rés. L’entreprise met aus­si à dis­po­si­tion une recette do it your­self pour les par­ti­c­uliers.

Cool Roof France recou­vre de pein­ture blanche les toits des bâti­ments indus­triels ou com­mer­ci­aux. © DR

«Team» est entré au cap­i­tal de Cool Roof en juil­let 2022 à hau­teur de 500 000 euros. Mais le fonds n’est pas qu’un action­naire : «Team for the plan­et est un véri­ta­ble haut-par­leur pour nous, pour com­mu­ni­quer notre savoir-faire, et un véri­ta­ble vivi­er de tal­ents pour répon­dre aux ques­tions aux­quelles nous n’avons pas de réponse en interne», se réjouit la chargée de com­mu­ni­ca­tion Anne-Cécile Le Dain.

Créée en 2014 par le nav­i­ga­teur et «Géo Trou­ve­tou» Yves Par­li­er et instal­lée à La Teste-de-Buch dans le bassin d’Arcachon, la start­up Beyond the sea s’attèle à lim­iter les émis­sions de gaz à effet de serre de la marine marchande en instal­lant de grandes voiles de kitesurf sur les car­gos. Un ajout qui per­me­t­trait d’économiser jusqu’à 20% de car­bu­rant. «La marine marchande, on ne va pas la faire chang­er comme ça, il faut met­tre les moyens, sou­tient Yves Par­li­er. On rame à l’envers : ils par­lent tous de bio­car­bu­rant qui n’existeront jamais à des prix abor­d­ables, c’est de l’hypocrisie com­plète.» Team for the plan­et y a investi un mil­lion d’euros con­tre 9% des parts en jan­vi­er 2022. Qual­i­fiée par le marin de «bouf­fée d’oxygène», l’entrée de Team au cap­i­tal leur a per­mis «d’avoir une crédi­bil­ité vis-à-vis d’autres finance­ments et faire levi­er dans le cadre d’un appel à man­i­fes­ta­tion d’intérêt». Et de recruter des pro­fils spé­cial­isés. En un an, l’entreprise a cru de 5 à 35 salarié·es. La semaine passée, la start­up a annon­cé le réin­vestisse­ment de Team à hau­teur de 4,5 mil­lions d’euros.

Tanker sous «seakite», la voile de kitesurf de Beyond the sea © DR

Entre star­tups financées, «il y a une con­nivence et une entraide, racon­te Yves Par­li­er. Notre usine va être équipée du sys­tème R’ Boost­er [une autre start­up qui se sert des murs des bâti­ments métalliques pour en capter la chaleur, NDLR] et de la pein­ture Cool Roof. Mes équipes tech­niques dis­cu­tent avec d’autres. Il y a une com­mu­nauté de gens hyper motivés pour tabass­er les gaz à effet de serre, qui a une énergie colos­sale et per­met de soulever des mon­tagnes.»

Le vrai défi : «changer d’échelle»

Un entre­pre­neur engagé, «admi­ratif de leur capac­ité for­mi­da­ble à mobilis­er de façon large face aux enjeux cli­ma­tiques, de leur sincérité et de leur engage­ment», se dit pour­tant déçu de Team. «Je crains que leur impact reste mar­gin­al, qu’ils ne provo­quent pas une rup­ture déci­sive dans la logique d’investissement, ni un change­ment sys­témique. Le mode d’action engagé se con­damne à une cer­taine mar­gin­al­ité.» Lui préfère le sys­tème de l’entrepreneur Bertrand Picard qui a sélec­tion­né 1 300 entre­pris­es sur lesquelles inve­stir et qui «veut faire évoluer la régle­men­ta­tion et chang­er les états d’esprit».

Une pos­ture d’out­sider que revendique Team for the plan­et, qui tra­vaille pour­tant à chang­er d’échelle. En effet, mal­gré l’enthousiasme qui transparaît, des fondateur·rices aux star­tups en pas­sant par la com­mu­nauté, les défis demeurent colos­saux pour décar­bon­er l’économie. «Le plus dur, c’est de lever de l’argent dans un monde qui n’a pas envie de chang­er les règles», con­fie Arthur Auboeuf. Dans le riche et puis­sant roy­aume des fonds d’investissement, «Team» joue avec une énergie débor­dante, mais des petits moyens. Face au sys­tème, le cofon­da­teur de «Team» laisse paraître sa las­si­tude. «Si on n’arrive pas à embar­quer de grands investis­seurs courageux, ça ne suf­fi­ra pas. C’est là qu’on a eu des décep­tions. Je suis allé voir tous les grands groupes. Ils te font faire des con­férences, mais ça ne va pas plus loin.»

Pour lui, «les humains sont sen­si­bles, mais les struc­tures n’ont pas d’âme : ce sont des méga-machines qui ont leurs racines dans le siè­cle passé et qui font ger­mer trois bour­geons dans ce siè­cle. Je leur dis : il faut rem­pot­er les gars. Mais les fonds his­toriques ne vont jamais chang­er. Il faut les rem­plac­er.» Chiche?