Fin décembre 2023, Team for the planet (TFTP ou «Team») bouclait sa nouvelle opération de mobilisation qui s’est déroulée sur son terrain de jeu préféré : le réseau social professionnel LinkedIn. Si le résultat n’a pas atteint l’ambition initiale, près de 6 000 entreprises ont rejoint le mouvement (contre 10 000 visées) représentant 8 millions d’euros de capital. Jusqu’alors, les campagnes ciblaient principalement les individus. Une façon de «mettre le pied à l’étrier des entreprises et donner le signal fort qu’elles font partie de la transition», revendique l’un de ses cofondateur·ices, Arthur Auboeuf.
Accélérer la sobriété
«Team» n’en est pas à son premier tour de force. Créé en décembre 2019 par six entrepreneur·ses lyonnais·es, cet objet économique étonnant se veut le «Tinder du climat». Il met en relation des innovations, souvent portées par des ingénieur·es ou des scientifiques, avec des financements et des entrepreneur·ses qui savent gérer des boîtes. «Team» veut ainsi «détecter et déployer 100 innovations mondiales contre les gaz à effet de serre» d’ici à 2030.
«Une part de la solution viendra de l’innovation pour accélérer la sobriété», raconte Arthur Auboeuf. La plupart des 12 startups financées développent des innovations low tech comme la voile de kitesurf de Beyond the sea installée sur des cargos, ou la peinture réfléchissante aux coquilles d’huîtres de Cool Roof. «Le monde économique traditionnel ne permet pas de faire émerger ces innovations, car il se base sur une politique de rendement», poursuit-il. En cela, «l’entreprise n’est pas forcément le problème, c’est l’outil qui permet de transformer le monde et nos modes de vie. Si on repense l’entreprise, on peut proposer d’autres dynamiques.»
Une galaxie de 120 000 actionnaires
On peut devenir actionnaire de «Team» en deux clics et à partir d’un euro. On découvre alors un nouvel univers, la «galaxie de l’action», composé de «planètes», de larges catégories de sociétaires regroupé·es par compétences ou par ville ; de «comètes», des groupes de travail qui œuvrent à des projets spécifiques, et enfin des «étoiles», les fameuses startups financées par TFTP. Le climatologue et ancien vice-président du Giec Jean Jouzel, la créatrice de contenu Louise Aubery, ainsi que près de 120 000 cadres, étudiant·es, entrepreneur·ses et citoyen·nes font partie de «Team».
Ses actionnaires ne pourront jamais s’enrichir. Elles et ils perçoivent chaque année un dividende climat, calculé sur les tonnes de gaz à effet de serre évitées grâce aux innovations financées. Une astuce qui n’allait pas de soi : «En France, une entreprise n’a pas le droit de dire qu’elle ne distribuera jamais de dividende financier, explique Arthur Auboeuf. Nous avons choisi de pirater les règles : nous avons écrit que les dividendes seraient distribués quand la température serait revenue à son niveau pré-industriel». Autant promettre la lune.
«Team» troque la recherche de profit contre la recherche d’«impact». En 2022, selon la méthodologie des dividendes climat utilisée, les innovations financées par TFTP auraient permis d’éviter environ 3 000 tonnes de CO2, l’équivalent des émissions de gaz à effet de serre de 300 Français·es en un an. Le fonds vise 75 millions de tonnes de CO2 évitées en 2032, soit grosso modo les émissions des habitant·es de Marseille.
Des innovations pour le climat
Pour être financées, les innovations passent un processus de sélection exigeant : 8 000 évaluateur·ices bénévoles notent les solutions, et un comité scientifique composé d’expert·es comme le président du CNRS Innovation, Frédéric Mougel, ou la directrice de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), Claire Chenu, questionnent les porteur·ses de projet et évaluent la robustesse des modèles économiques. Sur les 1 600 dossiers reçus, 12 innovations ont été financées, pour un montant total de 20 millions d’euros.
Parmi elles, Cool Roof France, une entreprise de peinture blanche réfléchissante pour les toits, fabriquée à base de poudre de coquilles d’huîtres bretonnes ; un revêtement qui permet de rafraîchir les bâtiments sans climatisation. Leader du marché français, Cool Roof dit avoir déjà recouvert un million de mètres carrés. L’entreprise met aussi à disposition une recette do it yourself pour les particuliers.
«Team» est entré au capital de Cool Roof en juillet 2022 à hauteur de 500 000 euros. Mais le fonds n’est pas qu’un actionnaire : «Team for the planet est un véritable haut-parleur pour nous, pour communiquer notre savoir-faire, et un véritable vivier de talents pour répondre aux questions auxquelles nous n’avons pas de réponse en interne», se réjouit la chargée de communication Anne-Cécile Le Dain.
Créée en 2014 par le navigateur et «Géo Trouvetou» Yves Parlier et installée à La Teste-de-Buch dans le bassin d’Arcachon, la startup Beyond the sea s’attèle à limiter les émissions de gaz à effet de serre de la marine marchande en installant de grandes voiles de kitesurf sur les cargos. Un ajout qui permettrait d’économiser jusqu’à 20% de carburant. «La marine marchande, on ne va pas la faire changer comme ça, il faut mettre les moyens, soutient Yves Parlier. On rame à l’envers : ils parlent tous de biocarburant qui n’existeront jamais à des prix abordables, c’est de l’hypocrisie complète.» Team for the planet y a investi un million d’euros contre 9% des parts en janvier 2022. Qualifiée par le marin de «bouffée d’oxygène», l’entrée de Team au capital leur a permis «d’avoir une crédibilité vis-à-vis d’autres financements et faire levier dans le cadre d’un appel à manifestation d’intérêt». Et de recruter des profils spécialisés. En un an, l’entreprise a cru de 5 à 35 salarié·es. La semaine passée, la startup a annoncé le réinvestissement de Team à hauteur de 4,5 millions d’euros.
Entre startups financées, «il y a une connivence et une entraide, raconte Yves Parlier. Notre usine va être équipée du système R’ Booster [une autre startup qui se sert des murs des bâtiments métalliques pour en capter la chaleur, NDLR] et de la peinture Cool Roof. Mes équipes techniques discutent avec d’autres. Il y a une communauté de gens hyper motivés pour tabasser les gaz à effet de serre, qui a une énergie colossale et permet de soulever des montagnes.»
Le vrai défi : «changer d’échelle»
Un entrepreneur engagé, «admiratif de leur capacité formidable à mobiliser de façon large face aux enjeux climatiques, de leur sincérité et de leur engagement», se dit pourtant déçu de Team. «Je crains que leur impact reste marginal, qu’ils ne provoquent pas une rupture décisive dans la logique d’investissement, ni un changement systémique. Le mode d’action engagé se condamne à une certaine marginalité.» Lui préfère le système de l’entrepreneur Bertrand Picard qui a sélectionné 1 300 entreprises sur lesquelles investir et qui «veut faire évoluer la réglementation et changer les états d’esprit».
Une posture d’outsider que revendique Team for the planet, qui travaille pourtant à changer d’échelle. En effet, malgré l’enthousiasme qui transparaît, des fondateur·rices aux startups en passant par la communauté, les défis demeurent colossaux pour décarboner l’économie. «Le plus dur, c’est de lever de l’argent dans un monde qui n’a pas envie de changer les règles», confie Arthur Auboeuf. Dans le riche et puissant royaume des fonds d’investissement, «Team» joue avec une énergie débordante, mais des petits moyens. Face au système, le cofondateur de «Team» laisse paraître sa lassitude. «Si on n’arrive pas à embarquer de grands investisseurs courageux, ça ne suffira pas. C’est là qu’on a eu des déceptions. Je suis allé voir tous les grands groupes. Ils te font faire des conférences, mais ça ne va pas plus loin.»
Pour lui, «les humains sont sensibles, mais les structures n’ont pas d’âme : ce sont des méga-machines qui ont leurs racines dans le siècle passé et qui font germer trois bourgeons dans ce siècle. Je leur dis : il faut rempoter les gars. Mais les fonds historiques ne vont jamais changer. Il faut les remplacer.» Chiche?
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