Le grand entretien

Swann Périssé : «Changer le monde ne se fera pas sans l’humour»

Dans un nouveau talk-show hilarant intitulé «Y’a plus de saisons» et coproduit avec Binge audio, l’humoriste Swann Périssé interroge en public des expert·es de l’écologie. A Vert, elle raconte ses secrets pour mettre des paillettes dans l’écologie et rire de la fin du monde.
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Si tu pouvais résumer ta vie en cinq mots…

Ma vie est solaire. C’est ce que je cherche : une vie solaire, être moi-même solaire. Elle est aus­si débor­dée, car con­di­tion­née par le cap­i­tal­isme : avec Google agen­da ou What­sapp, c’est très dif­fi­cile d’échapper au sur­me­nage. Ou alors tu renonces à une vie sociale intense. Je dirais aus­si comédie : elle est présente dans toute ma vie tout le temps, partout. Ensuite, le temps qui est mon obses­sion. Je me demande en per­ma­nence à quoi allouer mon temps et je ne veux pas laiss­er les autres m’imposer leur urgence. Ensuite, j’aimerais bien dire «recul» mais ce n’est pas vrai. En revanche, l’amour au sens large des rela­tions humaines, oui.

Il y a quelques semaines, tu as lancé le talk-show «Y’a plus de saisons» avec Binge audio, dans lequel tu reçois en plateau des experts de l’écologie. Comment est né ce projet ?

A l’origine, je voulais faire un pro­gramme avec des experts de l’écologie. Mais à titre per­son­nel, j’essayais de syn­thé­tis­er leurs con­tenus, et c’était hyper chi­ant.

Tout a com­mencé à l’UniverShifté [un événe­ment annuel organ­isé par The Shift Project, le think tank de l’ingénieur Jean-Marc Jan­covi­ci]. J’étais invitée par Jan­covi­ci, avec les députés François Ruf­fin et Gilles Boy­er, et le bras droit d’Édouard Philippe. Il n’y avait que des gens en costard. Moi j’avais une robe à pail­lettes et je fai­sais rire les gens avec des blagues. Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à ten­ter. Ensuite, j’ai mon­té le pro­jet en deux semaines.

Swann Péris­sé reçoit Jean-Marc Jan­covi­ci dans «Y’a plus de saisons» © Swann Péris­sé

Il fal­lait de l’argent, alors je suis allée voir Binge audio. Je leur ai par­lé de mon pro­jet vidéo et ils ont pro­posé de le trans­former aus­si en pod­cast. Puis, on a trou­vé un parte­naire, le média Tilt [de l’Agence française de développe­ment, NDLR], pour nous aider à financer le pro­jet.

Dans «Y’a plus de saisons», il y a une part d’improvisation et de jeu avec le public, on sent l’influence du stand-up…

Cela fait un an que je rôde mon spec­ta­cle de stand-up, qui va s’appeler «Calme». J’ai une bonne con­nais­sance de l’impro et du rebond. Je n’étais pas impres­sion­née à l’idée de faire un talk-show. Mais ce n’est pas évi­dent : il faut com­pren­dre le pro­pos de l’interviewé, le situer dans un con­texte intel­li­gent, se moquer de la per­son­ne sans l’humilier.

L’écologie est souvent vue comme chiante, pleine de restrictions. Comment sortir de l’écologie-martyre peu séduisante ?

Il faut se rap­pel­er qu’on est en con­cur­rence avec des mil­liers de vidéos postées sur Youtube, Net­flix, Ama­zon prime… Je trou­ve qu’on réus­sit bien à ren­dre désir­able un monde futur ou à le ren­dre ter­ri­fi­ant, mais on n’est pas très forts sur scène. Je vois bien com­ment un sujet peut devenir pas­sion­nant et c’est ce que j’ai essayé de faire avec «Y’a plus de saisons».

Dans ce show, j’apprends autant sur l’écologie que sur la comédie car on essaie de vari­er les reg­istres et de créer des jeux. Je bosse avec Matthieu Beigbed­er, jour­nal­iste vidéo du media Urba­nia et qui fait des con­tenus de vul­gar­i­sa­tion drôles sur l’écologie. Il est hila­rant. C’est grâce à cette col­lab­o­ra­tion créa­tive qu’on arrive à inven­ter de nou­veaux for­mats. Par exem­ple, pour l’économiste Tim­o­th­ée Par­rique qui par­le de la décrois­sance, j’ai joué un alcoolique qui dit des phras­es ultra bateau sur l’économie. Tim­o­th­ée devait lui répon­dre nor­male­ment pour met­tre en lumière les idées reçues sur l’économie. Sur scène, il y a aus­si un décor de fou tout en couleurs, réal­isé par l’artiste Fuschia d’Enfer.

Comment le public a‑t-il reçu les deux premiers épisodes ?

Le for­mat hybride avec des blagues et du fond, c’est un risque. Ceux qui veu­lent du fond vont dire qu’il n’y en a pas assez et ceux qui veu­lent des blagues qu’il y a trop de fond. Cer­tains com­men­taires [sur les réseaux soci­aux, NDLR] m’ont reproché d’avoir trop sex­u­al­isé Tim­o­th­ée Par­rique. Je suis stressée et exigeante, et les gens ne se ren­dent pas compte de la quan­tité de tra­vail néces­saire pour faire un tel spec­ta­cle. Sinon, j’ai eu de très bons retours.

Swann Péris­sé et Tim­o­th­ée Par­rique © Louann Coré

Est-ce que l’humour peut arrêter le réchauffement climatique ?

Non, mal­heureuse­ment. Mais chang­er le monde ne se fera pas sans l’humour au sens large, c’est-à-dire sans une atten­tion don­née à la com­mu­ni­ca­tion.

Je me sou­viens de ma prof de français qui s’appelait Madame Duli­b­ine ; elle nous avait racon­té cette his­toire : tous les jours, elle pas­sait dans le métro et, au même endroit, un mon­sieur tenait une affiche «1 euro svp». Per­son­ne ne lui don­nait d’argent. Un jour, le mes­sage avait changé : «Le print­emps arrive bien­tôt et je ne le ver­rai pas». Les gens, soudaine­ment, ont com­mencé à lui don­ner.

L’image, la poésie, l’écriture et l’art sont beau­coup plus puis­sants pour pass­er à l’action que des faits. Il faut chang­er les men­tal­ités, faire bas­culer ce qui est sexy et drôle en faveur de l’écologie.

Comment fais-tu pour ne pas sombrer dans l’éco-anxiété ?

Je me sens encore très loin de ce qu’il se passe. Je gagne bien ma vie, je suis bien entourée, j’habite à Mont­pel­li­er, mais l’été je n’y suis pas… Je pense que je ne m’en rends pas vrai­ment compte dans ma chair. Je le sais, mais ça sonne creux. C’est comme quand l’homme de ta vie te quitte, le temps de t’en ren­dre vrai­ment compte, ça prend des mois.

Mon méti­er au quo­ti­di­en c’est de faire des blagues : mon prisme est hyper drôle. Quand j’entends des bad buzz, c’est de la pâtée pour blagues.

Mais ça m’arrive deux ou trois fois par an de vivre des épisodes d’énorme déprime où je pleure et où je me sens impuis­sante. Je trou­ve que ce n’est pas beau­coup par rap­port à ce qui arrive. Je me suis fait des amis dans le milieu éco­lo aus­si, ça aide.

Qui sont tes inspirations ? Tes humoristes préférés ?

Mon humoriste préférée c’est Ali Wong, une femme que j’ai con­nue avec son pre­mier spec­ta­cle sur Net­flix. Elle était enceinte de huit mois. Je l’adore, car elle ren­verse com­plète­ment les codes de la femme sage qui veut plaire. Dans son dernier spec­ta­cle, elle explique pen­dant une heure qu’elle veut tromper son mari. Elle sex­u­alise les hommes comme jamais. Dans une société patri­ar­cale, c’est révo­lu­tion­naire.

La chanteuse Camille m’inspire énor­mé­ment. J’ai tou­jours aimé son tra­vail de la voix, son exi­gence. Elle me donne l’impression d’être au-dessus du vile et du vul­gaire. Elle n’est pas méprisante mais elle est ailleurs, là où est le vrai et le juste. Les vues, le buzz, ne sem­blent pas l’intéresser. C’est une artiste mag­nifique. D’ailleurs, Camille Eti­enne me fait un peu penser à elle. Quand elle prend la lumière, on dirait qu’elle puri­fie l’air.

Qu’est-ce que tu veux absolument faire dans ta vie avant de mourir ?

J’aimerais bien vivre dans un écol­ieu et arrêter les réseaux soci­aux. Il y a un an, j’ai hésité entre trois choix de vie: vivre en écol­ieu, par­tir en voili­er et faire du stop avec des copains, ou encore faire du stand-up qui implique la ville, un cal­en­dri­er, de s’y tenir et de pren­dre des vacances — sinon tu tombes malade.

J’ai choisi de faire du stand up et donc j’ai un mode de vie moins éco­lo que lorsque j’étais à la cam­pagne. Je suis dans l’enfer du cap­i­tal­isme à Paris. C’est chou­ette, je suis trop con­tente de faire du stand-up. Je pour­rais certes en faire dans des écol­ieux, des champs, des granges, mais ce n’est pas ça dont j’avais envie.

Tu es récemment retournée au stand-up avec un spectacle en rodage après l’avoir quitté pour Youtube. Pourquoi ce retour à la scène ?

Le stand-up, c’est l’essence même de la comédie : une scène, un texte, une voix et ton corps pour l’incarner. Avec la vidéo, j’ai décou­vert le mix­age, l’étalonnage : ça m’a plu. Mais j’avais envie de chang­er de forme. Après avoir été un peu trop dans l’image et l’influence, je voulais me recon­necter avec les gens pour de vrai.

Swann Péris­sé © Louann Coré

Ton spectacle met en scène des thématiques féministes, mais pas écolo. Écologie et féminisme sont-ils tout de même liés ?

C’est dif­fi­cile d’être éco­lo sans être fémin­iste, car l’écologie est une remise en ques­tion du sys­tème patri­ar­cal. Il peut avoir des fémin­istes qui ne sont pas éco­lo, c’est vrai. Selon les pre­miers prob­lèmes aux­quels tu es con­fron­tée, ça peut être dif­fi­cile de s’intéresser à l’écologie. Par exem­ple, si je suis en manque de som­meil, que je dois louer mon appart sur Airbnb pour sur­vivre, je ne vais pas m’encombrer l’esprit avec le fait d’acheter en vrac.

Mais intu­itive­ment, je dirais qu’il y a un lien entre écolo­gie et fémin­isme. Pour moi, c’est le cap­i­tal­isme, la course à la vitesse et à la puis­sance, qui a une influ­ence sur le patri­ar­cat.

Quelle initiative ou collectif t’a impressionnée dernièrement ?

J’ai été très impres­sion­née par les grévistes de la faim et de la soif de l’A69. C’est ce qui m’a poussée à devenir plus mil­i­tante. A la fin, j’étais on fire. Main­tenant, après chaque spec­ta­cle je demande aux gens s’ils ont des ques­tions. Dernière­ment, beau­coup me demandaient que faire con­tre l’A69. C’est un vivi­er infi­ni de blagues sur le 69. Je dis : imag­ine, le gars dès qu’il est au lit avec sa meuf, il ne peut pas s’empêcher de faire un 69… Les gens ont besoin d’une voix humoris­tique inspi­rante.

Dans mon spec­ta­cle «Calme», j’avais décidé que je ne par­lerais plus d’écologie. Mais là, ça revient. J’ai déjà mis quelques touch­es. Je ne peux pas ne pas en par­ler.

Qui sont les pires en matière d’écologie ?

Total­En­er­gies avec son pro­jet de pipeline Eacop. Les gens cyniques qui ont du pou­voir, ils savent les morts que provo­quent leur choix. Ce sont des gens rich­es qui se croient immu­nisés à ce qui arrive et qui le seront quelques années.

Ça m’est arrivé plusieurs fois de par­ler à des mas­culin­istes qui pensent la supéri­or­ité de l’homme sur la femme. Pour beau­coup de gens, notre quête n’est pas du tout le bon­heur de l’humanité, mais écras­er, tri­om­pher. Il y a des moments où on a val­orisé la guerre comme jamais. C’est une grosse erreur de la part des éco­los de croire que le but de tout le monde est d’atteindre le bon­heur et le bien-être. Les gens cherchent du pou­voir, de la puis­sance, de la dom­i­na­tion, du matéri­al­isme, du con­fort avant tout.

N’est-ce pas contradictoire de remplir autant ton agenda alors que tu t’engages pour la sobriété ?

Je n’ai jamais trou­vé la réponse à cette ques­tion. Je trou­ve ça dif­fi­cile. Il faut réduire l’argent qu’on gagne, réduire notre vie sociale, notre pro­duc­tiv­ité, et s’accepter tel qu’on est, célébr­er le fait qu’on existe, revenir à des choses sim­ples : manger c’est agréable, sen­tir les odeurs, c’est fun.

Le voy­age à vélo ou à pied aide. J’arrive à par­tir seule. J’arrive à organ­is­er des moments d’une semaine ou deux, où j’essaie de ne pas utilis­er le télé­phone. Les réseaux soci­aux te coupent de la vraie vie. Je me suis instal­lée à Mont­pel­li­er et j’ai du mal à créer du lien sur place. Pourquoi j’irai pren­dre le risque d’aller dehors, peut-être de pass­er une mau­vaise soirée alors que je peux être sur Insta­gram ? C’est le piège.

As-tu une référence que tu voudrais partager avec nous ?

Je voudrais par­ler d’Elodie Arnould, une humoriste excep­tion­nelle. Elle m’a don­né envie de faire des vidéos drôles. Elle en fai­sait sur le racisme sys­témique et a sor­ti un spec­ta­cle qui s’appelle «Fécondée», disponible sur France 4. Elle y par­le de la grossesse, le traite­ment des doc­teurs, les fauss­es couch­es, l’avortement, l’instrumentalisation du corps. Elle est trop forte, bosseuse, drôle.

Lun­di 11 décem­bre, Swann Péris­sé sera au théâtre du Cabaret Sauvage, à Paris, pour enreg­istr­er deux épisodes de «Y’a plus de saisons» avec l’auteur et réal­isa­teur Cyril Dion et un invité sur­prise. A par­tir de jan­vi­er, elle sera en tournée au Grand Palais des Glaces à Paris, et dans toute la France à par­tir d’avril, avec «Calme», son nou­veau spec­ta­cle.