Si tu pouvais résumer ta vie en cinq mots…
Ma vie est solaire. C’est ce que je cherche : une vie solaire, être moi-même solaire. Elle est aussi débordée, car conditionnée par le capitalisme : avec Google agenda ou Whatsapp, c’est très difficile d’échapper au surmenage. Ou alors tu renonces à une vie sociale intense. Je dirais aussi comédie : elle est présente dans toute ma vie tout le temps, partout. Ensuite, le temps qui est mon obsession. Je me demande en permanence à quoi allouer mon temps et je ne veux pas laisser les autres m’imposer leur urgence. Ensuite, j’aimerais bien dire «recul» mais ce n’est pas vrai. En revanche, l’amour au sens large des relations humaines, oui.
Il y a quelques semaines, tu as lancé le talk-show «Y’a plus de saisons» avec Binge audio, dans lequel tu reçois en plateau des experts de l’écologie. Comment est né ce projet ?
A l’origine, je voulais faire un programme avec des experts de l’écologie. Mais à titre personnel, j’essayais de synthétiser leurs contenus, et c’était hyper chiant.
Tout a commencé à l’UniverShifté [un événement annuel organisé par The Shift Project, le think tank de l’ingénieur Jean-Marc Jancovici]. J’étais invitée par Jancovici, avec les députés François Ruffin et Gilles Boyer, et le bras droit d’Édouard Philippe. Il n’y avait que des gens en costard. Moi j’avais une robe à paillettes et je faisais rire les gens avec des blagues. Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à tenter. Ensuite, j’ai monté le projet en deux semaines.
Il fallait de l’argent, alors je suis allée voir Binge audio. Je leur ai parlé de mon projet vidéo et ils ont proposé de le transformer aussi en podcast. Puis, on a trouvé un partenaire, le média Tilt [de l’Agence française de développement, NDLR], pour nous aider à financer le projet.
Dans «Y’a plus de saisons», il y a une part d’improvisation et de jeu avec le public, on sent l’influence du stand-up…
Cela fait un an que je rôde mon spectacle de stand-up, qui va s’appeler «Calme». J’ai une bonne connaissance de l’impro et du rebond. Je n’étais pas impressionnée à l’idée de faire un talk-show. Mais ce n’est pas évident : il faut comprendre le propos de l’interviewé, le situer dans un contexte intelligent, se moquer de la personne sans l’humilier.
L’écologie est souvent vue comme chiante, pleine de restrictions. Comment sortir de l’écologie-martyre peu séduisante ?
Il faut se rappeler qu’on est en concurrence avec des milliers de vidéos postées sur Youtube, Netflix, Amazon prime… Je trouve qu’on réussit bien à rendre désirable un monde futur ou à le rendre terrifiant, mais on n’est pas très forts sur scène. Je vois bien comment un sujet peut devenir passionnant et c’est ce que j’ai essayé de faire avec «Y’a plus de saisons».
Dans ce show, j’apprends autant sur l’écologie que sur la comédie car on essaie de varier les registres et de créer des jeux. Je bosse avec Matthieu Beigbeder, journaliste vidéo du media Urbania et qui fait des contenus de vulgarisation drôles sur l’écologie. Il est hilarant. C’est grâce à cette collaboration créative qu’on arrive à inventer de nouveaux formats. Par exemple, pour l’économiste Timothée Parrique qui parle de la décroissance, j’ai joué un alcoolique qui dit des phrases ultra bateau sur l’économie. Timothée devait lui répondre normalement pour mettre en lumière les idées reçues sur l’économie. Sur scène, il y a aussi un décor de fou tout en couleurs, réalisé par l’artiste Fuschia d’Enfer.
Comment le public a‑t-il reçu les deux premiers épisodes ?
Le format hybride avec des blagues et du fond, c’est un risque. Ceux qui veulent du fond vont dire qu’il n’y en a pas assez et ceux qui veulent des blagues qu’il y a trop de fond. Certains commentaires [sur les réseaux sociaux, NDLR] m’ont reproché d’avoir trop sexualisé Timothée Parrique. Je suis stressée et exigeante, et les gens ne se rendent pas compte de la quantité de travail nécessaire pour faire un tel spectacle. Sinon, j’ai eu de très bons retours.
Est-ce que l’humour peut arrêter le réchauffement climatique ?
Non, malheureusement. Mais changer le monde ne se fera pas sans l’humour au sens large, c’est-à-dire sans une attention donnée à la communication.
Je me souviens de ma prof de français qui s’appelait Madame Dulibine ; elle nous avait raconté cette histoire : tous les jours, elle passait dans le métro et, au même endroit, un monsieur tenait une affiche «1 euro svp». Personne ne lui donnait d’argent. Un jour, le message avait changé : «Le printemps arrive bientôt et je ne le verrai pas». Les gens, soudainement, ont commencé à lui donner.
L’image, la poésie, l’écriture et l’art sont beaucoup plus puissants pour passer à l’action que des faits. Il faut changer les mentalités, faire basculer ce qui est sexy et drôle en faveur de l’écologie.
Comment fais-tu pour ne pas sombrer dans l’éco-anxiété ?
Je me sens encore très loin de ce qu’il se passe. Je gagne bien ma vie, je suis bien entourée, j’habite à Montpellier, mais l’été je n’y suis pas… Je pense que je ne m’en rends pas vraiment compte dans ma chair. Je le sais, mais ça sonne creux. C’est comme quand l’homme de ta vie te quitte, le temps de t’en rendre vraiment compte, ça prend des mois.
Mon métier au quotidien c’est de faire des blagues : mon prisme est hyper drôle. Quand j’entends des bad buzz, c’est de la pâtée pour blagues.
Mais ça m’arrive deux ou trois fois par an de vivre des épisodes d’énorme déprime où je pleure et où je me sens impuissante. Je trouve que ce n’est pas beaucoup par rapport à ce qui arrive. Je me suis fait des amis dans le milieu écolo aussi, ça aide.
Qui sont tes inspirations ? Tes humoristes préférés ?
Mon humoriste préférée c’est Ali Wong, une femme que j’ai connue avec son premier spectacle sur Netflix. Elle était enceinte de huit mois. Je l’adore, car elle renverse complètement les codes de la femme sage qui veut plaire. Dans son dernier spectacle, elle explique pendant une heure qu’elle veut tromper son mari. Elle sexualise les hommes comme jamais. Dans une société patriarcale, c’est révolutionnaire.
La chanteuse Camille m’inspire énormément. J’ai toujours aimé son travail de la voix, son exigence. Elle me donne l’impression d’être au-dessus du vile et du vulgaire. Elle n’est pas méprisante mais elle est ailleurs, là où est le vrai et le juste. Les vues, le buzz, ne semblent pas l’intéresser. C’est une artiste magnifique. D’ailleurs, Camille Etienne me fait un peu penser à elle. Quand elle prend la lumière, on dirait qu’elle purifie l’air.
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Qu’est-ce que tu veux absolument faire dans ta vie avant de mourir ?
J’aimerais bien vivre dans un écolieu et arrêter les réseaux sociaux. Il y a un an, j’ai hésité entre trois choix de vie: vivre en écolieu, partir en voilier et faire du stop avec des copains, ou encore faire du stand-up qui implique la ville, un calendrier, de s’y tenir et de prendre des vacances — sinon tu tombes malade.
J’ai choisi de faire du stand up et donc j’ai un mode de vie moins écolo que lorsque j’étais à la campagne. Je suis dans l’enfer du capitalisme à Paris. C’est chouette, je suis trop contente de faire du stand-up. Je pourrais certes en faire dans des écolieux, des champs, des granges, mais ce n’est pas ça dont j’avais envie.
Tu es récemment retournée au stand-up avec un spectacle en rodage après l’avoir quitté pour Youtube. Pourquoi ce retour à la scène ?
Le stand-up, c’est l’essence même de la comédie : une scène, un texte, une voix et ton corps pour l’incarner. Avec la vidéo, j’ai découvert le mixage, l’étalonnage : ça m’a plu. Mais j’avais envie de changer de forme. Après avoir été un peu trop dans l’image et l’influence, je voulais me reconnecter avec les gens pour de vrai.
Ton spectacle met en scène des thématiques féministes, mais pas écolo. Écologie et féminisme sont-ils tout de même liés ?
C’est difficile d’être écolo sans être féministe, car l’écologie est une remise en question du système patriarcal. Il peut avoir des féministes qui ne sont pas écolo, c’est vrai. Selon les premiers problèmes auxquels tu es confrontée, ça peut être difficile de s’intéresser à l’écologie. Par exemple, si je suis en manque de sommeil, que je dois louer mon appart sur Airbnb pour survivre, je ne vais pas m’encombrer l’esprit avec le fait d’acheter en vrac.
Mais intuitivement, je dirais qu’il y a un lien entre écologie et féminisme. Pour moi, c’est le capitalisme, la course à la vitesse et à la puissance, qui a une influence sur le patriarcat.
Quelle initiative ou collectif t’a impressionnée dernièrement ?
J’ai été très impressionnée par les grévistes de la faim et de la soif de l’A69. C’est ce qui m’a poussée à devenir plus militante. A la fin, j’étais on fire. Maintenant, après chaque spectacle je demande aux gens s’ils ont des questions. Dernièrement, beaucoup me demandaient que faire contre l’A69. C’est un vivier infini de blagues sur le 69. Je dis : imagine, le gars dès qu’il est au lit avec sa meuf, il ne peut pas s’empêcher de faire un 69… Les gens ont besoin d’une voix humoristique inspirante.
Dans mon spectacle «Calme», j’avais décidé que je ne parlerais plus d’écologie. Mais là, ça revient. J’ai déjà mis quelques touches. Je ne peux pas ne pas en parler.
Qui sont les pires en matière d’écologie ?
TotalEnergies avec son projet de pipeline Eacop. Les gens cyniques qui ont du pouvoir, ils savent les morts que provoquent leur choix. Ce sont des gens riches qui se croient immunisés à ce qui arrive et qui le seront quelques années.
Ça m’est arrivé plusieurs fois de parler à des masculinistes qui pensent la supériorité de l’homme sur la femme. Pour beaucoup de gens, notre quête n’est pas du tout le bonheur de l’humanité, mais écraser, triompher. Il y a des moments où on a valorisé la guerre comme jamais. C’est une grosse erreur de la part des écolos de croire que le but de tout le monde est d’atteindre le bonheur et le bien-être. Les gens cherchent du pouvoir, de la puissance, de la domination, du matérialisme, du confort avant tout.
N’est-ce pas contradictoire de remplir autant ton agenda alors que tu t’engages pour la sobriété ?
Je n’ai jamais trouvé la réponse à cette question. Je trouve ça difficile. Il faut réduire l’argent qu’on gagne, réduire notre vie sociale, notre productivité, et s’accepter tel qu’on est, célébrer le fait qu’on existe, revenir à des choses simples : manger c’est agréable, sentir les odeurs, c’est fun.
Le voyage à vélo ou à pied aide. J’arrive à partir seule. J’arrive à organiser des moments d’une semaine ou deux, où j’essaie de ne pas utiliser le téléphone. Les réseaux sociaux te coupent de la vraie vie. Je me suis installée à Montpellier et j’ai du mal à créer du lien sur place. Pourquoi j’irai prendre le risque d’aller dehors, peut-être de passer une mauvaise soirée alors que je peux être sur Instagram ? C’est le piège.
As-tu une référence que tu voudrais partager avec nous ?
Je voudrais parler d’Elodie Arnould, une humoriste exceptionnelle. Elle m’a donné envie de faire des vidéos drôles. Elle en faisait sur le racisme systémique et a sorti un spectacle qui s’appelle «Fécondée», disponible sur France 4. Elle y parle de la grossesse, le traitement des docteurs, les fausses couches, l’avortement, l’instrumentalisation du corps. Elle est trop forte, bosseuse, drôle.
Lundi 11 décembre, Swann Périssé sera au théâtre du Cabaret Sauvage, à Paris, pour enregistrer deux épisodes de «Y’a plus de saisons» avec l’auteur et réalisateur Cyril Dion et un invité surprise. A partir de janvier, elle sera en tournée au Grand Palais des Glaces à Paris, et dans toute la France à partir d’avril, avec «Calme», son nouveau spectacle.
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