Fer, lithium, titane ou encore graphite. Vendredi, il devait être question de ces précieux minerais, lors de la rencontre entre le chef d’État ukrainien Volodymyr Zelensky et Donald Trump, à la Maison-Blanche. Les deux dirigeants devaient négocier la poursuite du soutien militaire et financier des États-Unis à l’Ukraine dans la perspective de négociations de paix avec la Russie.
En échange de l’aide américaine pour garantir la sécurité de son territoire, dans le cas d’un cessez-le-feu, l’Ukraine s’apprêtait à accepter d’offrir un accès privilégié aux Américain·es aux minerais critiques présents dans son sous-sol. Ces ressources sont essentielles à la fabrication de technologies bas carbone (éoliennes, batteries électriques), au numérique (écrans tactiles) et à la défense (drones).
Mais cette rencontre à la Maison-Blanche a débouché sur un fiasco, où Volodymyr Zelensky s’est fait invectiver et éconduire par Donald Trump. Dans la foulée, le président ukrainien s’est rendu dimanche à un sommet avec 19 pays européens, à Londres (Angleterre). La France, l’Allemagne ou encore l’Espagne l’ont alors assuré de leur soutien pour décrocher un cessez-le-feu qui ne lèserait pas l’Ukraine. Des États dont les dirigeants sont tout aussi intéressés par les minerais critiques de leur voisin. Mais d’où vient cet appétit pour les métaux ukrainiens ?
Les terres rares dans le viseur de Donald Trump
Si le gouvernement de Donald Trump semble réticent à renouveler son soutien militaire et financier à l’Ukraine après trois années de guerre, il n’en demeure pas moins intéressé par les richesses minières du pays. Le président américain y voit une manière pour l’Ukraine de «rembourser» les États-Unis pour l’aide financière qui lui a été accordée jusque-là. Mais ce n’est pas tout, précise à Vert Emmanuel Hache, adjoint scientifique à l’IFP énergies nouvelles, et directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) : «À l’argument économique s’ajoute un argument géostratégique majeur, explique-t-il, selon une vision qui consiste à dire : si ce n’est pas nous – les États-Unis – qui le faisons, une autre puissance développera les métaux en Ukraine : la Chine.»
Cette dernière est le premier exportateur de graphite, un composé utilisé dans les écrans tactiles, les panneaux solaires ou encore les voitures électriques. Un accès aux ressources ukrainiennes permettrait donc aux États-Unis de «diminuer les risques d’une potentielle future dépendance à la Chine», indique l’expert. Ce pays produit également 70% des métaux appelés «terres rares» dans le monde : lanthane, cérium, praséodyme ou néodyme.
Cette famille de 17 composés est tout aussi indispensable à la fabrication d’éoliennes ou de panneaux solaires, et à celle des appareils numériques (ordinateur, smartphone, disques durs). Ces technologies fonctionnent grâce à des aimants, qui sont constitués en partie par ces métaux. Or, la Chine a déjà restreint ses exportations de deux métaux rares et de graphite vers les États-Unis en décembre 2024 et juillet 2023.
Moins de 1% des terres rares en Ukraine
Si Donald Trump s’est montré intéressé par les terres rares, l’Ukraine n’est pour autant pas connue pour détenir ces métaux. Elle regroupe moins de 1% de ces ressources mondiales et aucune mine pour les exploiter n’existe pour le moment sur le territoire. D’ailleurs, l’institut de géologie des États-Unis ne répertorie pas l’Ukraine parmi les pays qui ont des réserves de terres rares.
Et même pour les quelques matières répertoriées, «il ne suffit pas d’avoir une ressource dans son sous-sol pour l’exploiter, souligne Emmanuel Hache. Il faut qu’elle soit présente en grande concentration pour être développée d’un point de vue économique».
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Malgré les dires du président américain, «ces deals intéressent davantage les États-Unis pour développer le lithium, l’uranium et le graphite, plutôt que les terres rares», selon l’expert. En 2022, le pays était aussi le dixième producteur mondial de fer, selon World mining data. Il regorge également de manganèse, de gallium et de graphite, qui, lui, est essentiel à la fabrication de batteries électriques.
Il est difficile de savoir précisément ce que réservent les sous-sols de l’Ukraine. Les estimations reposent sur des analyses géologiques réalisées entre la fin de l’époque soviétique et les premières années d’indépendance du pays, au début des années 1990. Selon le BRGM, le service géologique national français, le centre et le nord-ouest ukrainien contiennent entre autres métaux, du tantale, (le taux estimé serait le plus élevé d’Europe), du titane ainsi que du graphite (20% des ressources mondiales estimées).
Une incertitude demeure : une partie du graphite et du lithium se situe dans des zones occupées par la Russie. Environ «40% des gisements ukrainiens de lithium se trouvent dans ces territoires», à l’est du pays, indique Emmanuel Hache. La situation militaire rend donc incertaine l’exploitation de ces ressources. Il faudra reconstruire des routes et des réseaux d’électricité, assurer des apports en eau pour développer des mines, le tout dans un pays à reconstruire après les destructions de la guerre.
D’autant plus que «l’activité minière de l’Ukraine ne représente que 6% du PIB ukrainien et se concentre sur l’exploitation du fer, du charbon et du titane à l’heure actuelle», rappelle Emmanuel Hache. Pour les autres minerais, il faudra donc partir de zéro, s’assurer de concentrations suffisantes par des forages avant d’exploiter le sous-sol.
«Un front pionnier des métaux»
Développer les mines dans le pays pour approvisionner les États-Unis représenterait un chantier d’au moins une dizaine d’années. «Donald Trump ne verra aucune production ukrainienne sortir d’une mine avant la fin de son mandat», souligne l’expert en géopolitique des métaux.
Au-delà de ces difficultés d’exploitation, se pose aussi le problème de la pollution que génèrerait le développement de ces ressources. «Quand on voit ce que Trump souhaite faire aux États-Unis en minimisant les normes et en allégeant les contraintes environnementales, on se dit qu’il peut très bien faire de même avec les entreprises américaines à l’étranger», redoute le scientifique.
Il relève que «seulement 15% du potentiel minier était exploité avant la guerre en Ukraine. Le secteur n’était pas considéré comme la principale ressource du pays. Donc bâtir le renouveau ukrainien sur la mine, c’est très paradoxal quand on voit les dégâts environnementaux occasionnés par la guerre. C’est comme s’il y avait un deuxième front qui s’ouvrait, un front pionnier des métaux.»
Les États-Unis ne sont pas les seuls à lorgner sur les richesses minières de l’Ukraine, l’Union européenne a également proposé un accord à Volodymyr Zelensky, a révélé le média Politico. Stéphane Séjourné, le commissaire européen à la stratégie industrielle a affirmé que «21 des 30 métaux critiques dont l’Europe a besoin peuvent être fourni par l’Ukraine dans un partenariat gagnant-gagnant».
En amont de la rencontre de vendredi, Volodymyr Zelensky avait rappelé que «l’Ukraine n’est pas à vendre», en réponse à la proposition américaine de céder pour l’équivalent de 500 milliards de dollars – soit 475 milliards d’euros – de minerais aux États-Unis. L’Ukraine produit un «effet eldorado», selon Emmanuel Hache. Elle attire les convoitises de ses alliés, alors que le chemin reste long à parcourir pour développer les mines. Reste à savoir si cet appétit fera avancer les négociations pour la paix.
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