Malgré le temps maussade et une bruine froide et tenace, elles et ils étaient une cinquantaine à manifester devant le tribunal administratif de Melun (Seine-et-Marne) pour dire «non à Nonville», jeudi matin. «Eau en danger» ; «Puits de pétrole à Nonville, c’est non» pouvait-on lire sur les banderoles. Nonville, c’est cette commune Seine-et-marnaise dans laquelle Bridge energies, déjà bien implanté, compte augmenter sa production de pétrole. Un projet qui suscite une large levée de bouclier depuis que l’entreprise a annoncé en 2020 vouloir ouvrir dix nouveaux puits de pétrole.
Bridge energies a d’abord essuyé des refus mais, le 30 janvier 2024, la préfecture a autorisé par arrêté «l’ouverture de travaux miniers» préalables au forage de deux nouveaux puits. Eau de Paris, l’entreprise publique qui produit, transporte et distribue l’eau dans la capitale, craint une pollution et a décidé de porter l’affaire devant la justice.
Protection des captages de Villeron et Villemer qui alimentent les robinets d’eau potable de près de 200 000 Parisien·nes et de Seine-et-Marnais·es ; sauvegarde de la nature et de la biodiversité ; transition énergétique… peu avant le début de l’audience, les soutiens d’Eau de Paris, qui demande l’annulation de l’autorisation, ont réaffirmé les raisons de leur opposition. Parmi ceux-ci, six associations, qui sont aussi intervenues au cours de l’audience : les Amis de la Terre France, France nature environnement (FNE) Île-de-France, FNE Seine-et-Marne, Notre affaire à tous, Reclaim finance et le Réseau action climat France. Deux syndicats des eaux et une petite dizaine de communes font également partie des opposant·es au projet, et réclament l’annulation de l’arrêté.
Les futurs puits, situés à un jet de pierre des habitations de Nonville, se trouvent dans le périmètre de la biosphère de la forêt de Fontainebleau, à 1,5 kilomètre en amont de points de captage d’Eau de Paris et à 150 mètres d’une zone Natura 2000. Pour les opposant·es, le projet frôle l’absurde : dans le premier puits, il est question d’extraire de l’eau, qui contient seulement 1% de pétrole. L’«intérêt» du second puits est de récupérer l’eau du premier.
La production sera minime et la société emploie en tout et pour tout trois salariés. Difficile d’invoquer la préservation de l’emploi. De plus, les textes sont clairs : la loi Hulot de 2017 prévoit un «arrêt de la recherche et de l’exploitation des hydrocarbures dans le cadre de la lutte contre les changements climatiques en application de l’Accord de Paris».
Pas de risque de pollution de l’eau, pour le rapporteur public
Le dossier est «très technique» glissait le porte-parole du tribunal administratif de Melun quelques minutes avant l’audience. Il aura ainsi fallu près d’une heure au rapporteur public, le membre de la juridiction administrative qui a pour mission d’éclairer les débats en toute indépendance, pour présenter ses conclusions.
De très longues minutes d’exposé technique et juridique pour conclure que selon lui, parmi la batterie de risques majeurs et de faiblesses du dossier soulignés par les requérant·es, deux seulement étaient recevables. Pour lui, il n’y a «pas de risque de pollution de l’eau», même si les forages traversent des nappes phréatiques. Si la route où doivent passer les camions-citernes est trop étroite pour de tels véhicules, et si un éventuel accident fait peser un risque de pollution sur la rivière voisine du Lunain – comme le dénoncent les opposant·es -, la question de voirie n’a pas sa place ici, a-t-il avancé. Par ailleurs, le projet est bien compatible avec le plan local d’urbanisme (PLU) de Nonville, contrairement à ce qu’affirment les requérant·es.
Le rapporteur a donné raison à Eau de Paris sur deux points : l’étude d’impact présentée par Bridge energies est insuffisante, et amène à faire une réserve sur la protection effective des espèces protégées. «Dans l’étude d’impact, on envisage surtout l’impact sur les humains», remarque le rapporteur. Il a aussi souligné des manques quant aux garanties financières à produire pour permettre la restauration du site en cas d’abandon de l’activité.
Loin de prôner l’annulation de l’arrêté, le rapporteur a proposé un sursis à statuer de six mois, c’est-à-dire qu’il a enjoint le tribunal à prendre le temps d’éclaircir ces deux points avant de rendre sa décision. Des conclusions qui n’ont pas rassuré les opposant·es.
«Nous sommes déterminés à faire annuler ces forages»
«On est sur une ressource en eau très sensible», a plaidé l’avocate d’Eau de Paris. Une éventuelle pollution aux hydrocarbures serait catastrophique, car les installations de dépollution, conçues pour débarrasser l’eau des pesticides, et pas des hydrocarbures, seraient inopérantes. Pour l’avocat des associations, le constat est simple : «cette autorisation est illégale. Le PLU a été modifié et interdit les activités minières». Une interprétation opposée à celle du rapporteur.
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Du côté de Bridge energies, on fait profil bas. Il n’y a «aucune nouvelle extension» a plaidé l’avocat de l’entreprise, qui invoque «un petit opérateur indépendant dont le seul titre minier est la concession de Nonville. La poursuite de l’exploitation est un enjeu majeur pour la survie de l’entreprise». D’après les comptes publiés au registre du commerce, cette entreprise accumule les pertes années après années, et a réalisé en 2023 un chiffre d’affaires d’un peu moins de 1,5 million d’euros, pour un déficit de 451 000 euros.
«Nous sommes déterminés à faire annuler ces forages», a redit Dan Lert, président d’Eau de Paris et adjoint à la maire de la capitale en charge de la transition écologique, du plan climat, de l’eau et de l’énergie, à la sortie du tribunal. Il regrette au passage que «l’État s’entête à les soutenir». Les juges rendront leur décision dans trois semaines.