Reportage

Procès Mazan et Depardieu, campagne «Notre Ohrage»… le mouvement climat fait feu de tout bois contre les violences sexistes et sexuelles

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Elles et ils étaient 200, ce mercredi 30 octobre au Hasard ludique à Paris, pour le lancement de la campagne féministe «Notre Ohrage», en soutien à Clara Achour, qui veut faire condamner la France devant la Cour européenne des droits de l’Homme pour «déni de justice», après l’acquittement de son violeur. Cet automne, les nombreux procès pour agressions sexuelles et viols mobilisent les activistes pour le climat et la justice sociale, dans une continuité des combats.

«Vois en nous cette rage au milieu de l’orage. Mon ami·e, on ira jusqu’au bout!», chante Hélène Martinelli, alias Koclico, dans son clip dévoilé sur écran géant. Un frisson parcourt la salle. Ce mercredi soir, une partie du mouvement pour le climat est réunie au Hasard ludique, à Paris, pour le lancement de la campagne artistique et féministe «Notre OhRage». Celle-ci vise à donner de la voix au recours de Clara Achour devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).

Hélène Martinelli et Rachel Dano, le 30 octobre au Hasard ludique à Paris pour le lancement de la campagne «Notre Ohrage» © Clara Lamoure

En juin 2018, Clara Achour, 18 ans à l’époque, dépose plainte pour viol. Elle affirme qu’un «homme qu’[elle] considérai[t] à l’époque comme [s]on ami» l’a droguée et violée au cours d’une soirée. Du 4 au 6 avril 2022, l’affaire est jugée devant la Cour d’assises de Paris ; son violeur est acquitté. Révoltée par ce qu’elle qualifie de «déni de justice» dans une pétition, elle décide de porter plainte contre la France auprès de la CEDH. Sept autres femmes – anonymes et qui ne se connaissent pas – ont chacune saisi la Cour pour les mêmes raisons dans autant de recours. Celle-ci rendra son avis d’ici début 2025 – la date exacte n’est pas connue.

La même rage, le même amour

Hélène Martinelli, 31 ans, est chanteuse, comédienne et activiste pour la justice sociale et le climat, engagée auprès de l’association Action Justice Climat Paris (ex-Alternatiba Paris). En 2022, elle est invitée par l’association féministe NousToutes lors d’une manifestation contre les violences sexistes et sexuelles à chanter son titre «OhRage», qui évoque la rage face à l’inaction climatique. Pour l’occasion, elle adapte les paroles au thème de la manifestation, qui résonne avec sa propre histoire. «J’ai été victime d’une agression et d’un procès. On m’a dit que j’étais une menteuse, j’ai subi cette double peine pendant des années», confie-t-elle à Vert.

Destruction du vivant, destruction des femmes : c’est la même révolte qui gronde – et le même amour. «Il n’y a pas d’écologie sans féminisme, raconte la chanteuse. On ne peut pas prôner un monde respectueux de la dignité du vivant si des personnes sont écrasées et piétinées en France et si on n’arrive pas à exiger une justice valable, qui répare et qui ne détruit pas des vies supplémentaires».

«On a besoin de l’art pour toucher les gens»

Au printemps dernier, Hélène Martinelli et son amie Rachel Dano, 21 ans, réalisatrice et scénariste rencontrée lors des grandes marches climat de 2019, décident de lancer une campagne de dons pour financer leur clip «Notre Ohrage». Puis, une campagne de mobilisation pour soutenir Clara Achour dans son recours auprès de la CEDH. Grâce à leur énergie communicative, elles agrègent rapidement une petite équipe bénévole : réalisatrice, producteur·ices, technicien·nes, cheffes de chœur et choristes.

Le clip de «Notre Ohrage». © Koclico

Des plateaux de BFMTV à la place de la République, à l’occasion des rassemblements en soutien à Gisèle Pelicot, aux abords du tribunal de Paris, en appui aux deux plaignantes qui accusent Gérard Depardieu d’agression sexuelle, des activistes pour le climat font entendre leur voix contre les violences sexistes et sexuelles.

«Si on sensibilise sur ce sujet, on sensibilisera sur les autres. Le but, c’est de trouver la fenêtre dans le cœur des gens et pour ça on a besoin de l’art», dit encore Hélène. Les marraines de la campagne, la technoactiviste Mathilde Caillard, alias MC danse pour le climat, et la dessinatrice Blanche Sabbah, sont aussi «artivistes» – mélange des mots «artistes» et «activistes».

«C’est évident d’être là»

Au Hasard ludique ce soir-là, des représentantes de la Fondation des femmes et d’associations de terrain montent sur scène. Elles représentent la coalition «pour une loi intégrale» qui, avec sa cinquantaine d’organisations, porte un paquet de mesures ambitieuses pour lutter contre les violences sexuelles. Leur calendrier de mobilisation coïncide avec celui de la campagne Notre Ohrage. «Les planètes sont alignées», commente l’une d’elles. «On leur a proposé ce projet et elles ont vu l’opportunité d’utiliser l’art et d’aller chercher les gens grâce à l’émotion, raconte Rachel Dano. On mêle nos forces».

Le chœur de femmes présent dans le clip de la chanson «Notre Ohrage», le 30 octobre au Hasard ludique à Paris ©Clara Lamoure

«On voit que les campagnes qu’on mène depuis des années n’ont pas assez porté leurs fruits, remarque auprès de Vert Karine Jacquemart, militante des droits humains et directrice de l’ONG Foodwatch engagée pour le droit à l’alimentation. Le rôle des “artivistes” comme Koclico et MC danse pour le climat donne de l’élan et de l’espoir. Elles ont une force fédératrice pour rassembler davantage de citoyens dans ces luttes collectives et remettre de la joie et de l’espoir dans un moment difficile. Tous les droits fondamentaux et humains sont liés et doivent être défendus. On doit sortir de nos silos pour montrer que les violences et les discriminations sur le droit à l’alimentation, le problème du climat, de la biodiversité traversent notre société».

La campagne Notre Ohrage va s’étendre tout cet automne. Un appel à témoignages en faveur des victimes de la justice sera lancé, ainsi qu’un happening le 23 novembre lors de la marche nationale contre les violences sexistes et sexuelles. Dès ce mardi 5 novembre, à 17 heures devant la Sorbonne, à Paris, Notre Ohrage soutiendra le rassemblement en faveur de l’étudiante iranienne qui s’est dévêtue, samedi 2 novembre, en signe de protestation contre le régime islamiste.