En ce petit matin de septembre, les hautes lianes feuillues, chargées de cônes verts, s’étirent le long de câbles tendus jusqu’à six mètres de hauteur. Rien ne prédestinait ce terrain d’un demi-hectare dans un pays ensoleillé et venteux à accueillir une plante qui pousse naturellement au bord des rivières… si ce n’est la volonté de Vincent Marconnet, accompagné de son frère en 2016 et de son fils aujourd’hui. À une dizaine de kilomètres au sud de Valence (Drôme), nous voici dans une houblonnière, là où est produit le houblon, ingrédient indispensable à la fabrication de la bière.
«Il y a un siècle et demi, en France, il y avait probablement du houblon partout où il y avait des brasseries», raconte celui qui est également président de l’Association des producteurs de houblon en Auvergne-Rhône-Alpes (Aphara). Si 80 à 90% du houblon français est produit en Alsace et dans le Nord, de nombreuses petites houblonnières voient le jour ailleurs depuis une dizaine d’années, portées par la nécessité de produire cette plante grimpante au plus près des micro-brasseries. «Il y a des groupements de producteurs dans toutes les régions», se réjouit Vincent.
Des variétés savoureuses et résistantes
Chinook, Cascade, Centennial… sur son terrain, plusieurs variétés de houblon ont déjà été récoltées en cette fin d’été, il faut maintenant récupérer le Nugget, le plus tardif. Après une année 2022 catastrophique, la récolte ne s’annonce pas trop mauvaise cette fois-ci.
«On a essayé de choisir des variétés mixtes, qui apportent de l’amertume et qui soient aromatiques, tout en veillant à consommer le moins d’eau possible», explique Vincent. À ses côtés s’activent son fils Quentin et Bastien, houblonnier en Ardèche venu donner un coup de main. En un rien de temps, les pieds sont coupés sur toute une rangée à une soixantaine de centimètres de hauteur, puis les lianes sont tirées d’un coup sec et tombent au sol de tout leur poids. Chargés dans la camionnette, les végétaux sont déjà en route vers la trieuse.
Cette grosse machine grise a été achetée d’occasion il y a deux ans par les deux houblonniers et la Brasserie La Vieille Mule. Construite dans les années 60, elle est capable d’isoler les cônes de houblons et leur fait gagner des semaines de travail manuel. Les strobiles — c’est leur nom — sont ensuite rapidement séchés, puis stockés. Ils seront transportés dans l’Ain pour y être conditionnés en pellets, des sortes de granulés que les brasseurs utiliseront pour les arômes, la conservation et l’amertume.
Un marché prometteur
Chaque année, Vincent et Quentin produisent environ 150 kilos de houblon bio vendu autour de 45 euros le kilo. Ils estiment qu’avec quatre hectares (contre leur demi-hectare actuel), ils pourraient se dégager de quoi vivre modestement. Mais il est très difficile de trouver un terrain adéquat et d’obtenir des prêts, sans compter l’augmentation du prix des matières premières comme le bois pour les poteaux, les câbles ou la quincaillerie.
Pourtant, le marché est prometteur. La région Auvergne-Rhône-Alpes compte 280 brasseries, dont 160 artisanales, d’après la Chambre régionale d’agriculture. Avec quatre malteries et une douzaine de micro-houblonneries — presque toutes bio -, et même si plusieurs projets sont en train de se créer, l’offre ne répond pas encore à la demande. Les brasseurs locaux, assez gourmands en houblon dans leurs recettes, l’achètent souvent en provenance des États-Unis, d’Allemagne, de Pologne, ou de Nouvelle-Zélande.
«Le renouveau de la bière en France se fait avec du houblon bio américain. Mais ça ne peut pas être pérenne, ça doit être une transition vers autre chose, estime Benoît Ritzenthaler, de la brasserie de la Pleine Lune à Chabeuil, à l’est de Valence. Il y a dix ans, j’utilisais quasiment 100% de houblon américain bio. Aujourd’hui, je suis descendu à 50%. Le reste, c’est 30% de houblon d’Alsace et 20% de la Drôme, pour un total de trois tonnes par an environ. J’espère qu’on pourra passer à 50% de local d’ici à la fin de la décennie, tout en conservant la qualité, mais cela prend du temps».
«Les néo-houblonniers sont pour la plupart des néo-agriculteurs»
À la Pleine Lune, où le houblon de Vincent a déjà permis de créer des bières éphémères, la motivation réside dans «la possibilité de réduire l’impact carbone et de pouvoir aller dans le champ avec la personne qui a dorloté le houblon».
Pour pérenniser la filière naissante, la Région a mis sur la table une enveloppe de 1,7 million d’euros dans un «plan filière brassicole» étalé de mi-2021 à 2024. Piloté par l’association Aphara, il vise notamment à accompagner les agriculteurs qui se lancent en production de houblon ou d’orge pour le malt, afin d’«offrir à terme une matière première locale pour les brasseries».
De quoi aider un peu la filière à se stabiliser. «Les néo-houblonniers sont pour la plupart des néo-agriculteurs. Or, d’une part, c’est difficile quand on n’est pas du sérail d’intégrer le réseau et, d’autre part, beaucoup de jeunes font face à des aléas qu’ils n’avaient pas anticipés. Parfois, ils retournent à leur vie d’avant, même s’il y a de nouveaux arrivants aussi», analyse Vincent.
Désormais lancée, l’aventure des micro-houblonneries dépendra aussi de la conjoncture : en 2023, entre le Covid, la réduction des festivals, l’inflation et la hausse des prix de l’énergie, de nombreuses brasseries artisanales ont fermé leurs portes en France. Gare à la mise en bière.
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