Entretien

Pierre Larrouturou : « la semaine de quatre jours est un sujet tabou en France »

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Député européen (Nou­velle Donne), Pierre Lar­routur­ou défend la semaine de qua­tre jours depuis plus de 30 ans. A Vert, il rap­pelle les principes fon­da­men­taux de cette mesure qui doit per­me­t­tre de lut­ter con­tre le chô­mage de masse et redonner du temps libre aux citoyen·nes.

Quel est le principe fondamental des 32 heures ?

L’idée a été avancée la pre­mière fois en 1993 par Antoine Riboud, le PDG de Danone, dans une tri­bune pub­liée dans Le Monde. Elle a ensuite été défendue en octo­bre 1995 par Jean Bois­son­nat, mem­bre du con­seil de la poli­tique moné­taire de la Banque de France, dans un rap­port du com­mis­sari­at général du plan por­tant sur « le tra­vail dans vingt ans » qui pré­con­i­sait de réduire la durée du tra­vail effec­tive de 20 à 25 % en 20 ans.

Aujourd’hui, le chô­mage de masse, la stag­na­tion des salaires et la baisse du niveau de vie sont en par­tie liés à la durée trop élevée du temps de tra­vail. Il n’est plus pos­si­ble de miser sur le retour de la crois­sance pour créer de l’emploi. En revanche, deux leviers per­me­t­traient aujourd’hui de créer 2,5 mil­lions d’emplois : un vrai plan cli­mat (900 000 emplois) et la mise en place de la semaine de qua­tre jours avec un finance­ment dédié (1,6 mil­lion d’emplois).

Cela aurait-il un effet sur l’âge de départ à la retraite ?

Non, car ces 2,5 mil­lions d’emplois seraient de vrais métiers avec de vrais salaires per­me­t­tant de cotis­er, donc cela équili­bre les retraites.

Comment cette mesure permet-elle de créer de l’emploi ?

En juin 1996, la loi Robi­en sur l’aménagement du temps de tra­vail donne l’occasion de tester le dis­posi­tif auprès de 400 entre­pris­es français­es. Mamie Nova ou Fleury Michon fran­chissent le cap, tout comme de nom­breuses PME. Pen­dant deux ans, on con­state que la mise en œuvre fait con­sen­sus : au total 17 000 salariés passent à la semaine de qua­tre jours, l’absentéisme recule, les gens gag­nent en qual­ité de vie et la nature du tra­vail effec­tué est enrichie. Une étude du min­istère du tra­vail, pub­liée en 1998, a estimé à 1,6 mil­lion le nom­bre d’emplois qui auraient pu être créés si le dis­posi­tif avait été élar­gi.

Par la suite, la mise en place des 35 heures a per­mis de créer 350 000 emplois, mais la sec­onde loi Aubry n’a pas per­mis d’appliquer un dis­posi­tif suff­isant. Pour véri­ta­ble­ment créer de l’emploi, la semaine doit être de qua­tre jours et de 32 heures, pas de qua­tre jours et 38 heures. Quand la mesure ne crée pas d’emploi, c’est que les salariés n’étaient pas assez pro­duc­tifs avant sa mise en œuvre, ou que la durée réelle­ment tra­vail­lée est supérieure aux 32 heures.

Comment voyez-vous la mise en œuvre de cette mesure ?

Elle ne peut pas être instau­rée de la même manière dans chaque secteur et les modal­ités d’application peu­vent claire­ment dif­fér­er. L’essentiel est que la diminu­tion de temps de tra­vail soit régulière, pour une qual­ité de vie nou­velle. Avec la loi Robi­en, elle était financée par le biais d’une exonéra­tion des coti­sa­tions chô­mage pen­dant sept ans. Aujourd’hui, les coti­sa­tions ont telle­ment bais­sé qu’il faudrait éla­bor­er un autre mode de finance­ment.

Pourquoi le sujet, malgré le consensus qui entoure la mesure, provoque-t-il si peu d’enthousiasme chez les candidats à la présidentielle ?

Ce blocage sur la ques­tion n’est pas nou­veau en France : de l’instauration de la semaine de cinq jours à celle des con­gés payés, c’est une his­toire com­pliquée. Hen­ry Ford, aux Etats-Unis, se moquait de ce pays « où l’on pense qu’en lais­sant plus de temps libre aux ouvri­ers ils passeront leur temps à boire et ne tra­vailleront plus ! »

Aujourd’hui le sujet est remis au goût du jour en Bel­gique et en Espagne. Il faudrait qu’il revi­enne sur le devant de la scène en France, avec un grand débat sur le chô­mage et la crois­sance, une relance de l’expérimentation et une réflex­ion sur la for­ma­tion.

Imaginons qu’une telle mesure soit instaurée, que faire de tout ce temps libre ainsi créé ?

Nous avons eu en France un min­istère du temps libre entre 1981 et 1983. Mais ce n’est pas au poli­tique de définir la teneur de ce temps. En revanche cette ques­tion est essen­tielle pour réfléchir aux modal­ités d’accès à la cul­ture, à la for­ma­tion, à l’engagement citoyen dans des activ­ités asso­cia­tives, sportives, et dans la vie publique. Le risque, autrement, est de génér­er d’autres types d’inégalités entretenues notam­ment par les GAFAM qui nous détour­nent de l’essentiel en nous habit­u­ant à vivre dans un monde arti­fi­ciel, avec un flux d’images aux empris­es très claires.