C’est un tout petit village du sud de l’Orne : Vaunoise. Entre les petites maisons de pierre et les pâquerettes vivent quelque 103 habitants. En apparence, le bourg semble préservé de tout chantier. Mais il suffit de s’éloigner de quelques mètres en amont de la commune pour voir le paysage changer : des barrières rouges et blanches bordent les routes, la terre est retournée, et des canalisations en plastique émergent du sol. «Il y a des travaux depuis plusieurs mois, ils remplacent tout les tuyaux», rapporte Simone, habitante du village.
Cet article est le troisième et dernier volet d’une série sur le chlorure de vinyle monomère, un gaz toxique et cancérogène présent dans de nombreuses canalisations en PVC et pourtant largement méconnu par le grand public. Une enquête en trois parties réalisée pour Vert par Hugo Coignard, Marie-Aimée Copleutre et Marti Blancho.
Ces travaux ont commencé cet hiver pour résoudre un problème sanitaire : la présence de CVM dans l’eau potable, un gaz reconnu comme cancérogène. Au total, «plusieurs maisons sont touchées, toutes situées à l’extérieur du village», précise la maire de la commune, Sophie Fontaine (sans étiquette). Si ces foyers sont contaminés au CVM, c’est à cause de canalisations en PVC, posées avant les années 1970, qui relâchent ce gaz dans l’eau.
À ce jour, environ huit foyers sur une cinquantaine sont contaminés par le CVM à Vaunoise, mais il est difficile d’obtenir un chiffre précis du nombre de logements touchés, car les mesures de pollution n’ont pas été réalisées sur l’ensemble de la commune. Seul «un point» situé à «l’extrémité du réseau a été prélevé», indique l’Agence régionale de santé (ARS) de Normandie, en charge des prélèvements et de la qualité de l’eau sur le territoire.

Vaunoise est l’exemple type des 5 506 localités concernées par cette pollution en France (voir notre carte) : rurale, isolée, avec des habitations dispersées. «Ce sont les maisons en bout du réseau d’eau qui sont touchées par le CVM : plus une maison est éloignée de la source initiale de distribution, plus l’eau va stagner dans les tuyaux et se charger en CVM», précise Gaspard Lemaire, chercheur en sciences politiques et enseignant en droit de l’environnement à Sciences Po, qui a consacré une étude à ce sujet.
L’Orne est pour ces raisons l’un des départements les plus pollués au CVM avec 1 196 points de contaminations répertoriés par l’ARS de Normandie.
Une pollution qui dure depuis 10 ans
À Vaunoise, le problème ne date pas d’hier. Selon des données de l’ARS, des traces de CVM ont été détectées dès 2014, et à des niveaux bien supérieurs à la norme européenne de 0,5 microgramme par litre, au-delà de laquelle l’eau est considérée comme non potable.
Les relevés parlent d’eux-mêmes : en octobre 2014, le taux atteint 5,5 microgrammes ; en mars 2016, 5,4 microgrammes et en 2020, 3,6. La présence du gaz baisse parfois légèrement, mais elle repasse rarement sous le seuil réglementaire. À l’été 2024, le résultat culmine à un pic inquiétant : 9,5 microgrammes, soit 19 fois la limite autorisée.
Alertée par ce chiffre très élevé à cette période, la maire Sandrine Fontaine a appelé l’ARS de Normandie, qui lui a alors répondu alors que des travaux allaient être initiés et qu’une distribution d’eau en bouteilles plastiques serait mise en place pour les habitant·es concerné·es. L’objectif est que l’eau du robinet ne soit plus consommée directement, ni utilisée pour un usage alimentaire.
Des taux de CVM supérieurs à la norme
Mais pourquoi avoir attendu dix ans avant de réagir depuis la première alerte en 2014 ? Contacté, le président du syndicat d’eau du Perche du Sud, Arnaud Loiseau, chargé d’informer les habitants et d’initier les travaux, se justifie : «Depuis que j’ai pris la présidence du syndicat en 2020, c’est un sujet que j’observais attentivement, et nous n’avons pas rien fait puisque nous avons mis en place des purges».
Les purges sont effectivement l’une des solutions recommandées par les autorités sanitaires. Elles ont l’avantage d’être faciles à mettre en œuvre en situation d’urgence, et généralement efficaces. Elles consistent à faire couler de grandes quantités d’eau à travers les canalisations, jusqu’à leur évacuation dans le sol, afin de réduire le temps de séjour de l’eau dans les tuyaux en PVC et, ainsi, diminuer la concentration de CVM dans l’eau du robinet.
Un recours cependant perçu comme du «gaspillage» par les riverain·es, qui restent peu informé·es des raisons de ces purges. «Les habitants coupaient régulièrement les vannes automatiques des purges, c’était compliqué», soupire Arnaud Loiseau.

De son côté, l’ARS, justifie également la prise en charge tardive du problème à Vaunoise par ce recours aux purges automatiques, «mises en place dès 2015». Elle ajoute qu’il n’y avait pas lieu d’intervenir avant l’été 2024, puisque le suivi trimestriel des relevés montrait que «l’eau distribuée était conforme». L’ARS précise : «C’est uniquement en 2024 que le contrôle sanitaire de l’eau sur ce secteur a mis en évidence des teneurs en CVM supérieures à 0,5 microgrammes par litre d’eau.»
Pourtant, selon les données transmises par l’ARS, que nous avons consultées, les purges automatiques n’ont pas permis de maintenir les taux de CVM en dessous de ce seuil. «On a eu des hauts et des bas, c’était un effet yoyo. Bon, on a fermé les yeux pendant longtemps, parce qu’on n’avait pas le temps et que c’était lourd, mais il y a des risques pour les habitants», finit par concéder Arnaud Loiseau.
Loi non appliquée et habitants peu informés
Vaunoise s’ajoute à la longue liste des communes françaises concernées par un dépassement de CVM où, malgré la loi interdisant la distribution de l’eau polluée, des mesures obligatoires n’ont pas été mises en place par les autorités.
Un cas similaire à la commune ornaise, et très médiatisé en début d’année, concerne les communes de Sury-aux-Bois et de Châtenoy, dans le Loiret. Comme pour Vaunoise, des taux élevés de CVM on été détectés dès 2014 dans les deux communes, mais les habitant·es n’ont été informé·es qu’en 2023. Aujourd’hui, une dizaine de citoyen·nes portent une action en justice contre leur syndicat des eaux et l’État, dénonçant notamment l’absence d’informations reçues.
Parmi les riverain·es présent·es à Vaunoise, très peu semblent avoir été informé·es de la présence de CVM. Une habitante du bourg interrogée déclare «ne pas connaître ce gaz». Rien d’anormal, selon la mairie, qui précise qu’uniquement les résident·es concerné·es par la présence du gaz dans leur eau – soit celles et ceux qui vivent à l’extérieur du village – ont été prévenu·es.
Pourtant, l’écho est bien différent du côté des habitant·es qui boivent une eau contaminée par le CVM. Simone reste perplexe quand on lui demande la raison de ces travaux, pourtant situés à moins d’un mètre de son jardin «Je ne sais pas, ils sont venus changer ça, mais j’ai pas trop suivi». Elle ajoute «ne jamais avoir été chercher de l’eau à la mairie».
Un peu plus loin, dans l’une des fermes concernées par le changement de canalisations, le propriétaire réagit au mot CVM par un hochement de tête : «Oui, je connais. On a été mis au courant par la mairie, et on reçu des bouteilles d’eau. Mais nous n’avons pas reçu de courriers, ni de relevés précis sur la quantité de CVM dans l’eau.»
Sur ce flou informatif, l’article R. 1321-30 du code de la santé publique est clair. La personne responsable de la production ou de la distribution d’eau – ici, le syndicat d’eau – doit prévenir les consommateur·ices concerné·es, dès lors que le non-respect des limites de qualité est constaté, en leur demandant de ne plus consommer d’eau.
Le syndicat de l’eau temporise : «Des flyers ont été laissés dans les boîtes aux lettres des habitants concernés par le dépassement de CVM. Il est possible qu’entre les publicités, ils soient passés inaperçus». Un flyer a effectivement bien été distribué, selon l’ARS, qui précise également que les résultats des taux de CVM sont publiés et disponibles sur le site du ministère de la santé.
«Disponibles sur internet ? Ah peut être, mais vous savez ici, en ruralité avec les personnes âgées, le courrier papier c’est important, rétorque un habitant de la commune. On aurait aimé en savoir un peu plus, ça reste cancérogène.»
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